Quoi de mieux pour Halloween, que de nous pencher sur la couleur la plus maléfique de toutes, et sur la race qui la représente par excellence ? A moins que ce ne soit une lecture trop manichéenne de l'essence de Magic... Ainsi, je vais tenter de défendre cette honorable couleur en allant un peu plus en profondeur dans la roue des couleurs.
Pour une reconnaissance des démons
Une roue qui tourne mal
La roue des couleurs, en tant qu'innovation, est un incroyable fondement à la fois pour créer un jeu et le monde et les histoires qu'il raconte. Les faiblesses qu'on y trouve, tant dans l'aspect mécanique que thématique, ont été abordées à plusieurs reprises dans le temps pour en faire finalement un outil.
La plupart des descriptions primitives des cinq couleurs reposaient sur des clichés en deux dimensions. A cause de leur profond enracinement dans l'imaginaire collectif, ces clichés conservent une lourde influence même quand on dit explicitement les extraire. En dépit de cela, la plupart des couleurs ont acquis de la profondeur grâce à un effort pour étendre l'ambiance et leur portée. Cela a été fait en général en explorant les vices des autres couleurs : on pense non seulement à la tendance à l'hybris caractéristique du blanc qui se prend avec certitude pour la couleur de la justice, ce qui la fait devenir plus tyrannique que n'importe quelle autre couleur et accomplir d'inhumaines exactions. Les couleurs plus neutres moralement, comme le rouge, ont quant à elles eu plus d'espace pour trouver à la fois des aspects positifs et négatifs. Ainsi, on rappelle de plus en plus le rouge comme la couleur de l'émotion, et par là de la joie et de l'amour. Cela peut aussi être incarné à travers les races emblématiques : les elfes, caractéristiques du vert, sont parfois dépeints, comme sur Lorwyn, comme des élitistes violemment xénophobes.
Cependant, une rédemption à grande échelle du noir a été laissée de côté. On a certes tenté de créer moins de personnages ouvertement méchants ou de (anti)héros sur lesquels le noir avait le monopole. Mais en profondeur, l'ambiance n'a que difficilement progressé pour s'associer à cet effort. Il est vrai que l'on peut brandir le récent contre-exemple d'Eldraine où les chevaliers de Lochtwain représentent la vertu de la persistance ; mais même cet aspect est plus dit que montré, et ils gardent dans leur représentation une tendance à l'étrange et au morbide.
Il est presque drôle de voir comment ils tentent d'évacuer certains aspects maléfiques du noir en les associant à d'autres couleurs à la place pendant que le caractère fondamentalement mauvais du noir reste inamovible. Ainsi, le vert embrasse désormais la mort comme une partie de sa vision du monde, un élément naturel du cycle de la vie, et le blanc a pu avoir des zombies en la personne des momies d'Amonkhet.
L'on peut certes arguer que cet impossibilité de rachat du noir est positive. Cependant, il est difficile d'écrire quelque chose de profond avec des factions aussi simplement divisées. Plus encore, cela n'est pas la volonté de Magic depuis plus d'une décennie.
Mark Rosewater a dit :
Je ne peux pas parler du noir sans en venir à un problème épineux. Le noir est-il synonyme de maléfique ? Je ne crois pas. Bien sûr, les gens associés au noir peuvent l'être. La plupart des antagonistes maléfiques de fantasy correspondent à cette couleur. Et l'histoire de Magic à ses débuts jouait clairement avec la malveillance du noir. Mais ce n'est pas être maléfique que d'avoir une haute prédisposition à l'être.
Foutu Jugement dernier...
Une énorme pierre à l'édifice de cette idée est son association avec les démons. En tant que créature iconique du noir, cela permet un état des lieux assez profond quant à la couleur. Cependant, pour toutes les créatures nommées ainsi depuis Alpha, la définition dans le contexte de Magic est assez ardue. A travers la fantasy, la représentation des démons varie d'un auteur et d'un média à l'autre. Même entre Donjons & Dragons et Magic: The Gathering, propriétés de Wizards of the Coast, elles sont relativement différentes : ceux qui jouent aux deux de longue date auront remarqué l'interversion de couleur entre démons et diables, qui dans l'un sont rouges et l'autre noirs.
La seule vérité fondamentale quant aux démons de Magic est qu'ils sont définis comme des êtres de mana noir pur. Ils sont en cela les parfaits miroirs des anges, qui sont des concentrations de pur mana blanc. Il existe certes d'autres créatures de pur mana, comme les élémentaux, mais elles ne sont pas toujours anthropomorphiques et sont plus souvent bestiales, et par conséquent il est difficile de trouver un mobile à leurs actions. Ainsi, alors que les anges des débuts étaient des êtres d'une parfaite bonté, ils ont fini par acquérir quelques défauts et se varier en suivant le mouvement générale donné à la couleur. L'histoire d'Avacyn et des anges d'Innistrad est sans doute celle qui vous vient à l'esprit, ces anges devenant fous sous impulsion emrakulienne et développant leur obsession de la pureté morale en une croisade contre leurs protégés. Mais les anges d'Amonkhet, entièrement dévoués au Dieu-Pharaon, ne protègent pas mieux leurs ouailles des flots d'Eternels qui déferlent sur Naktamôn.
Pendant ce temps, les démons n'ont pas ce genre d'arc de rédemption. Les histoires des échecs des anges, comme sur Zendikar contre les Eldrazi, et des paradis perdus comme le Royaume de Serra s'enchaînent, mais nous avons à peine effleuré l'idée de ce que cela signifierait pour un démon d'être racheté. Là où les anges constituent des groupes et ont un but, les démons sont presque toujours solitaires et n'ont pas une fonction définie dans le Multivers. Leur seul trait commun semble être la passion pour la torture des âmes et la démesure, on ne distingue rien de plus qu'un mélodrame larmoyant et un sadisme nihiliste.
Leur seule raison apparemment inébranlable d'exister est celle que montrent des cartes dès le Précepteur diabolique, mais aussi avec le Démon scarifié de runes, Vilis, courtier de sang ou Razaketh au sang immonde : c'est l'idée qu'il y a des connaissances interdites, et que seules ces connaissances sont celles qui ont de l'intérêt. Et encore ! on conteste la possession de cet aspect au noir, sous le prétexte que ce serait le territoire du bleu, comme si ces couleurs adjacentes ne devaient rien partager, comme si le noir souillait tout ce qu'il touche.
Alors, comment donner toute une myriade de personnages au noir ? A quoi ressemblent les teintes amorales, plus qu'immorales, du noir ?
Yin Yang
L'idée d'un héros moralement neutre est loin d'être nouvelle dans la culture populaire. Ce peut être une sorte d'anti-héros. Même Magic a pu montrer des personnages associés au noir sauver le monde : Toshiro Umezawa, quoiqu'il soit l'un de ceux qui ont mis fin à la Guerre des Kamis, n'avait pour seul intérêt que sa propre conservation, ce qui n'est pas un motif extrêmement moral. Mais il s'agit plutôt de l'exception qui confirme la règle. Il est assez fréquent que les personnages noirs se rangent du côté du bien en luttant contre une organisation maléfique tout en ne servant que leur propre intérêt. Si j'étais vert, je dirais qu'ils sont le bras armé du destin afin d'accomplir leur fonction. Mais rien de tout cela n'accorde une si grande place au mana noir dans le Multivers.
On pourrait se demander si la victoire sur le mal ne pourrait pas mener à des terribles conséquences. L'idée de l'équilibre entre le bien et le mal est sans doute à approfondir. Il est possible d'y voir la lutte entre deux énergies primordiales, nécessaire pour conserver le mouvement, et par là pour conserver la vie du Multivers, ce qui est une vision des choses assez verte.
Mais une telle analyse fait toujours du noir le simple reflet déformé du blanc, c'est-à-dire une couleur fondamentalement mauvaise et qui n'existe que pour pouvoir lutter contre son antagoniste, sans autre fin que cette lutte.
Nous pourrions proposer une autre vision des ténèbres démoniaques dans Magic. L'un des fils conducteurs dans la magie noire, et ce depuis les premiers jours, est celle de pactes et d'échanges. La servitude en échange du pouvoir, des coûts acceptés en toute volonté – en son âme et conscience. Les démons auraient donc quelque rapport avec les fées et autres lutins des contes pour enfants, qui scellent eux aussi des échanges. Aurait-on trouvé un but à ces obscurs êtres amoraux ?
On peut aussi les voir comme les gardiens d'un certain ordre de la réalité. Rappelez-vous qu'Ugin, qui a emprisonné les Eldrazi, craignait que la destruction de ces créatures ne puisse avoir des conséquences plus graves que leur seule existence. Qu'est-ce qui pourrait donc être plus terrible que cela, faisant des Eldrazi une part acceptable du Multivers ? C'est un mal nécessaire, en effet.
Il n'y a aucune ironie dans le fait que ces scions du pouvoir et de l'individualisme soient liés à un service éternel de ce genre. En effet, ils sont liés aux contrats, à la puissance pour laquelle on doit payer. Nous pourrions ainsi penser que ces démons, si craints dans le Multivers, ne sont que des déserteurs ou des recruteurs d'une guerre qui nous dépasse. C'est en partie ce que pourrait sous-entendre la peur de la mort de Brerig, un des démons de Davriel dans Children of the Nameless. La mort, ce serait en effet le retour à ces ténèbres, à cette guerre. Et quoi de moins surprenant que ceux qui connaissent les horreurs qui gisent dans les abysses, patientes, affamées, ne deviennent d'affreux nihilistes ?
La plus grande objection que l'on puisse faire à une structure si unifiée est que les milices angéliques du Multivers sont variées et dissociées d'un monde à l'autre. Dans la mesure où il s'agit de reflets quasi-parfaits des démons, il n'y a donc pas de raison de penser que les démons du Multivers répondent eux à une structure unifiée. Pas plus que cela ne nous donne tort.
Accuser le miroir
Mais bien que l'idée de démons comme parts nécessaires de l'équilibre de l'univers soit fascinante, ce n'est pas la seule manière de faire de ces scions des ténèbres des créatures plus nuancées que malveillantes. La série littéraire Rachel Morgan présente une autre perspective sur les démons – alerte spoiler.
Dans cet univers, les démons sont l'une des espèces de créatures magiques qui ont évolué dans un univers parallèle, l'Outremonde. Dans le lointain passé, démons et elfes se déclarèrent la guerre. On peut définir cette guerre comme celle d'une puissance magique grandement supérieure, celle des démons, contre une force plus modeste qui pouvait attirer l'attention d'une entité surpuissante, en la personne des elfes et de leur déesse.
Un certain nombre de crimes de guerre de chaque côté et une apocalypse plus tard, les démons furent enfermés dans l'Outremonde, en pleine décadence, tandis que la majorité des autres êtres migraient définitivement sur Terre. Après cela, les elfes engagèrent une campagne de propagande multi-générationnelle afin de diaboliser (uhuh) tout à fait leurs ennemis vaincus, et d'empêcher toute compassion.
Ainsi, dans cet univers, les démons ne sont que des êtres perdus. Ils peuvent être tués, mais sont du reste immortels et piégés dans une prison dont la taille diminue sans cesse. Leur seul contact avec l'extérieur consiste en un cercle rétrécissant de pairs et les rares hommes qui osent risquer la censure de tous les bien-pensants dans un monde où ils ont été proscrits.
Cette éternelle damnation a pour conséquence de mener les démons aux actions immorales plutôt qu'amorales. Dans leur ennui et leur désespoir il leur arrive de transformer leur fierté, leur douleur ou leur peur en sadisme, en excès luxurieux afin de renforcer leur statut de violeurs des standards de la décence. Ainsi, c'est le regard qu'on leur porte qui les rend si mauvais.
Cependant, la majorité de leurs interactions sont menées par le désir de dépasser cet ennui éternel et ce fatalisme qui les ronge. Ils sont souvent parfaitement amoraux, exerçant leur pouvoir stupéfiant d'accomplir toutes sortes d'actes dans le but de ne rien faire d'autre que d'atténuer le poids de leur emprisonnement éternel. Cela comprend principalement l'acquisition de plaisirs charnels non souillés par leur monde mourant, la libération conditionnelle temporaire de leur incarcération, ou un autre avantage sur les seuls êtres dont les opinions valent la peine d'être prises en compte; leurs camarades éternels.
Tout cela contraste fortement avec le moment dans la série où ils sont libérés de leur prison. Ayant enfin le choix, leurs intrigues et calculs se multiplient et... la plupart d'entre eux deviennent des citoyens tout à fait respectables afin de s'intégrer à la société.
Nous pourrions nous stopper ici avec un assez grand nombre d'utilisations possibles de la créature iconique du noir dans Magic. Cependant, un dernier mot sur cette série et le lien qu'elle a avec la vision du noir dans Magic. A travers un certain nombre de livres l'on découvre que l'utilisation de la magique démonique résulte en un assombrissement de l'âme et de l'aura.
Pour diverses raisons, dont la propagande contre les démons n'a pas la moindre part, c'est vu comme quelque chose de négatif. Cependant, voici ce que dit l'un des personnages les plus au fait des différents types de magie qui existent :
Kim Harrison, Pour une poignée de charmes a dit :
« Chaque fois que tu perturbes la réalité, la nature doit rééquilibrer le tout. Ce qui est noir sur ton âme n'est pas maléfique, c'est une promesse que tu fais pour ce que tu as commis. C'est une marque, pas une peine capitale. Et le temps peut t'en débarrasser. »
[...]
« Dis-tu parce que je porte l'odeur de la magie démoniaque que je suis quelqu'un de mauvais ? »
[...]
« Que Dieu ne montre aucune pitié ? demanda-t-elle, ses yeux verts étincelant. Que parce que j'ai fait une erreur dans la peur qui a mené à mille autres je brûlerai en enfer ? »
[...]
« Mon âme est noire, [...] je ne m'en débarrasserai pas avant que je ne sois mort, mais ce ne sera pas parce que je suis une mauvaise personne, mais parce que j'avais peur. »
Dans l'histoire, il y a deux marqueurs principaux du commerce avec les démons. L'un est une reconnaissance de dette physique marquée sur le corps du débiteur qui accorde au créancier le pouvoir sur eux, l'autre prend une mesure de cette tache sombre sur leur âme et leur aura.
Bien que la nature de ce « déséquilibre » et sa signification n'aient pas encore été pleinement explorées, je soupçonne que c'est un fil qui sera éventuellement exploré dans la série en cours. Quelle que soit la direction prise par Kim Harrison, ces concepts résonnent avec la tradition existante au sein de Magic et pourraient ouvrir des voies intéressantes supplémentaires pour explorer le contraste entre l'équilibre, l'interconnexion et les ténèbres.
Transmettre ses démons...
Voilà qui devrait vous donner à réfléchir quant à la place des démons dans Magic. Bien entendu, il y a encore beaucoup à dire, beaucoup à explorer, mais je voulais au moins esquisser ces voies pour vous laisser les suivre à votre convenance. L'idée de gardiens du Multivers me plaît particulièrement, comme me plaît l'idée des Eldrazi comme « recycleurs » de plans en fin de vie – les mystères des Eternités aveugles sont seuls à rester encore vraiment opaques, et sont sans doute à explorer.
J'espère sans trop y croire que notre futur retour sur Innistrad nous fera voir des démons plus nuancés que de simples seigneurs du mal – mais il semblerait que les démons soient loin d'y être centraux, et quoique ce ne soit pas sans déplaisir que je jouerai à une édition centrée sur les loups-garous, je dois avouer que ces créatures me manqueraient. Il y aurait un réel plaisir à poursuivre leur identité sous la plume de Brandon Sanderson, qui avait proposé une esquisse de démons sympathiques, avec un but et une personnalité.
Ne reste pour cela, que l'espérance... à moins que vous ne vouliez pactiser ?
Le 07/11/2020
Bon, j'avais écrit un commentaire, j'ai dû fermer la page avant qu'il ne s'envoie, j'ai la haine. Je vais donc faire plus bref.
Sur la différence entre Célestes et Fiélons, tu as bien expliqué en quoi le parallèle n'est pas tout à fait possible avec les anges et les démons dans Magic. Dans cette seconde licence, ce sont des êtres de mana pur ; dans la première, ils sont de nature différente, puisque nous avons d'un côté ce que nous pourrions interpréter comme des êtres de mana pur (les Célestes) et de l'autre des humains déchus en ayant commis la faute de la tentation. Mais cela reste intéressant à analyser, ceci dit.
Toutefois, je ne te rejoins pas sur l'explication qui exprime l'idée qu'il est plus facile de passer du bien au mal que du mal au bien, en somme. "Il y a des héros en mal comme en bien," a dit La Rochefoucauld, et je le rejoins sur ce point. N'y a-t-il pas, en vérité, une certaine rigueur, une sévérité dans l'immoralité qui est aussi grande que dans la moralité ? Nous imaginons fort bien Lucifer déchu par son orgueil ; mais notre esprit n'a pas l'image de Satan qui s'évertue à être terrible, et qui ferait acte de compassion. Pourtant, je crois bien que l'une comme l'autre voie implique une grande volonté ; les plus grands monstres égalent pour moi les plus grands héros. Par conséquent, je ne crois pas que les démons soient plus fondamentalement mauvais que les anges ne sont fondamentalement bons. On pourrait tout aussi bien imaginer, en parallèle de la cruauté des anges, la miséricorde des démons. Je ne demande pas une édition complète centrée sur cela, mais cette seule possibilité envisagée, ce seul coup de pinceau donnerait plus de profondeur aux démons.
D'autre part, voir les démons qui apparaissent comme des fuyards irrémédiablement mauvais, comme subissant un trouble de stress post-traumatique spécifique à leur race, me plaît, même si j'avoue que cette théorie est peu probable. Expliquer le mal, c'est permettre la nuance, voire l'identification. Certes, voudrait-on que quelqu'un s'identifie à ces êtres que la peur a brisés, a rendus complètement nihilistes ? Je ne sais pas trop. Cela pourrait être un grand coup dans notre fragile morale...
Toutefois, il ne t'aura pas échappé que la vision que je préfère défendre ici est celle du rôle fondamental des démons dans la structure du Multivers. Or, je crois pouvoir déceler un tel rôle des démons, dans la nécessité du mouvement. Depuis les Grecs, on voit la perfection dans le statisme, car ce qui se meut change, et que ce qui est parfait ne saurait changer sans devenir du même coup imparfait. Mais cette théorie de la perfection n'est, à mes yeux, qu'une extrapolation malvenue d'un élément de langage. Autrement dit, la perfection est une vue de l'esprit tout à fait absurde pour notre monde. Je veux en venir au fait que les démons, tant fustigés, puisqu'ils empêchent le monde, proprement, d'atteindre la perfection, seraient avant tout des facteurs de mouvement, des créateurs de fluidité dans le Multivers. En détruisant, par la cruauté, en créant la peur, ils mettent proprement le monde en mouvement. De manière plus générale, le mana noir, fortement lié à l'égoïsme, est par conséquent celui de l'individualité, et en cela je serais tenté de dire que, d'une certaine manière, il précède le mana rouge. Tout cela pour dire que le noir m'apparaît comme la nécessité du mouvement, et par conséquent, bien plus propre à la vie que le blanc qui fige l'univers.
Sans doute est-ce que je suis moi-même peu blanc et peu moral dans ma manière d'analyser cette question...
Le 01/11/2020
C'est amusant parce que dans Donjons et Dragons, on retrouve aussi un déséquilibre similaire, entre les Célestes (type de créatures dont les anges font partie, mais aussi d'autres entités comme les ki-rin ou les licornes) et les Fiélons (types qui regroupe les diables et les démons ainsi que des entités comme les molosses infernaux ou les succubes/incubes).
(Si vous ne voulez pas me voir parler de D&D, sautez les paragraphes jusqu'à celui qui commence par "Finalement". Mais ma conclusion s'amorce déjà avant)
En effet, le Monster Manual dit :
Indiquant que bien que ce soit rare, les Célestes sont corruptibles. Un exemple frappant est celui de l'empyréen, qui bien qu'étant un Céleste a environ 25% de chances d'être Neutre Mauvais au lieu de Chaotique Bon.
Pour les Fiélons, on a ceci :
"presque inconcevable". Dans D&D, le Mal est plus ou moins gravé dans le code génétique des Fiélons.
Bien entendu, l'origine des deux (Célestes et Fiélons) n'est pas autant en miroir qu'elle ne l'est dans MtG.
Les anges n'y sont pas des pures incarnations de mana blanc, mais presque. Ils sont générés par les Dieux bons pour leur servir d'émissaire, de messagers ou d'agents. Ils sont créés avec une unique mission qu'ils suivent sans s'en écarter. Ils ne cèdent jamais à autre que leur Dieu et s'estiment infaillibles car c'est dans leur nature. Si cet orgueil les amène à une faute, ils sont immédiatement déchus et coupés du lien avec leur Dieu, bien qu'ils conservent leur pouvoir. Ces anges déchus peuvent soit s'enfoncer dans leur orgueil et devenir plus ou moins des fiélons (c'est le cas de Zariel, une ange qui s'est déshonorée en intervenant sans autorisation dans la guerre entre les diables et les démons, qui fut déchue et devint une archidiablesse, maîtresse de la première strate des Enfers), soit se retirer en ermite dans le monde des hommes et tenter d'expier leur faute.
Les diables et les démons se forment et évoluent au cours d'une complexe lutte de pouvoir. Une compétition dictée par une précise hiérarchie chez les diables, ou par une compétition sauvage et brutale chez les démons, mais toujours dans une lutte pour gravir les échelons, réels ou non, des jeux de pouvoir des Enfers ou des Abysses. Néanmoins, dans les deux cas, ces Fiélons sont à l'origine des humanoïdes du Plan Matériel séduits par un Fiélon plus ancien ou par les valeurs que ces entités incarnent. Ce sont donc des hommes qui furent mauvais au-delà de la rédemption dans leur vie, qui ont refusé de se repentir, et qui ont par la suite évolué dans un environnement où la cruauté, le sadisme et la traîtrise étaient des armes précieuses pour survivre (notamment chez les démons, les diables ne valorisant pas forcément les deux premières). Ainsi, ces hommes, pour ne pas disparaître de l'existence, ont été forcés d'adopter des pratiques plus mauvaises encore qui, avec les décennies, les siècles et les millénaires, ont pu devenir une habitude puis un plaisir.
Finalement, le fait que les démons soient intrinsèquement mauvais n'est pas forcément un problème. Pour le noir, ça implique simplement de chercher sa nuance ailleurs que chez sa race iconique. Par ailleurs, un démon peut aussi être maléfique pour des raisons profondes et compréhensibles. On peut toujours s'attacher à un méchant si on comprend ses raisons, même si on n'accepte pas ses actions. On peut donc faire un personnage de démon nuancé, sympathique, avec un but et une personnalité, sans retirer de cette race cet aspect d'égoïsme cruel qui lui semble intrinsèque.
Dans cette non-rédemption des démons, on peut toujours voir une idée selon laquelle il est bien plus facile de succomber au mal quand on croit être du côté du bien et à l'absolu justesse de son opinion ("Seuls les Siths raisonnent en absolus"), que de revenir vers la lumière quand on est plongé dans les ténèbres et qu'on ne croit pas à la morale. Parce que l'orgueil peut nous faire plonger, mais il est bien plus ardu de remonter vers un bien auquel on ne croit pas.
On ne peut pas attendre du noir qu'il nous offre des personnages héroïques qui agissent pour le bien commun, parce que l'altruisme est contraire à sa philosophie. Le noir ne croit pas non plus en la destinée, et un personnage noir ne sera pas motivé par son destin à accomplir de grandes choses. Le noir croit en lui, en la fin qui justifie les moyens, et en son libre-arbitre. Le noir pourrait se rebeller contre un tyran au sein d'une révolution populaire, il pourra vaincre un mal ancien qui menace le monde, mais il ne le fera jamais pour autre chose que pour lui : pour reprendre sa liberté que le tyran lui a prise, pour s'emparer d'un objet que le seigneur maléfique a en sa possession. Liliana ne s'est pas sacrifiée pour Ravnica, pour Gideon ou pour Jace. Elle s'est sacrifiée pour mourir libre plutôt que de passer une éternité subordonnée à la volonté de Bolas. C'est Gideon qui s'est sacrifié pour elle.
Le noir ne croit pas à la morale. La morale est un concept blanc, et la rédemption est un concept qui est lié à la morale. Chercher à obtenir une rédemption du noir, c'est le soumettre à la vision du blanc, c'est le soumettre à une autre couleur. Et ce n'est pas lui rendre justice.
Edité 6 fois, dernière édition par Shagore le 01/11/2020