« Tu es prêt, plus-un-enfant, à comprendre ce que tu dois faire. Viens avec moi, et je te dirai ce que tu es, ce que tu seras, pendant que je t'emmène vers là où tu dois aller. »
Cette histoire secondaire de Mira Grant, dont l'original est disponible ici, je vous en propose la traduction dès aujourd'hui ! Vous trouverez l'article original, de Mira Grant, ici. Si vous voulez une petite présentation du plan, rendez-vous sur le Guide du Planeswalker. Et n'hésitez pas à jeter un œil aux autres histoires, ici et là !
Mornebrune. Garde-les en vie.
Tu as grandi, mon enfant, tu es fort et solide, prêt à combattre les horreurs des halls. Laisse-moi te regarder encore un peu, te regarder avant que tu partes.
Le cocon a été gentil. Il ne l'est pas toujours. Quatre bonnes jambes et deux bons bras, des dents et des griffes aiguisées. Oh, tu seras un bon protecteur, un rempart solide contre les cauchemars qui rôdent, les dangers invisibles ! Tu seras un bon serviteur, tu protégeras avec tant de talent, et seras une ligne bien tracée sur la fresque de notre histoire !
Tu es prêt, plus-un-enfant, à comprendre ce que tu dois faire. Viens avec moi, et je te dirai ce que tu es, ce que tu seras, pendant que je t'emmène vers là où tu dois aller.
Nous sommes nés de la Maison, comme tout ce qui est bon – et tout ce qui est mauvais naît pour la Maison, c'est tout. Il existe des légendes d'un temps où la Maison n'était pas, où elle n'était qu'un murmure porté sur les ailes des papillons de nuit, qui nous disait ce qui arriverait un jour – mais ce ne sont que des légendes ; elles ne changent rien à notre vie d'aujourd'hui. Dans ces vieilles histoires, cependant, nous étions comme les garde-en-vie ; nous existions hors de la Maison. Puis les murs se fermèrent autour de nous, et vinrent les cocons, et dans les cocons, nous naissions de nouveau, bien que nous ne fussions pas des enfants quand la douce soie se referma sur nous. Nous étions des créatures déjà grandes et différentes de ce que nous sommes aujourd'hui, comme tu étais différent avant d'être dans le cocon. Ainsi va la Maison. Ce qui existe ici est transformé, tant pour sa propre sécurité que pour le plaisir de la Maison elle-même.
Bien sûr, je parle de la Maison comme d'une chose vivante. Quiconque marche ici peut voir qu'elle vit, la voir bouger, répondre, réagir. La Maison bouge consciemment. La Maison comprend ce qui arrive à son corps, au moins jusqu'à un certain degré. Ce degré, on peut le questionner. Pas sa vie.
Pas plus que la nôtre.
Quand les premiers émergèrent de leurs cocons dans l'horreur splendide de la Maison, nous errions sans comprendre notre but. Pourquoi existions-nous ? Il nous manquait la faim vorace des rejetons des caves, ou la malice corrompue des cauchemars. Nous avions des griffes et des cornes et des crocs, mais nous ne pouvions déchirer en morceaux comme les tranchesangs, ni englober et transformer comme les vanniers. Nous seuls, dans le corps de la Maison, errions sans but. Nos jours étaient longs et nos nuits sans repos, parce que nous étions trop intelligents pour être inactifs, et pas assez pour rester occupés.
Ces jours-là, nous vivions comme une meute, énorme et étrange, la cible d'occupants plus dangereux de la Maison, et il semblait que notre but pouvait être simplement de survivre. Mais c'était si petit, et nous avions en nous le potentiel d'être si grands ; c'était injuste d'être si limités. Et notre chef, au tout début, était une grande et terrible bestiole qui se faisait appeler Brochengeance. Il avait six jambes, trois bras, et assez de griffes pour creuser la pierre. Des cornes comme des lances, des crocs comme des couteaux, et une belle fourrure épaisse, bleue et verte, couverte de pois comme les yeux sur les ailes de grands papillons de nuit.
« Je connaîtrai notre but, » déclara-t-il, et il nous quitta, il quitta sa meute et les siens, pour marcher dans le corps de la Maison.
Il marchait de plus en plus profondément, loin des greniers et des grands halls où nous séjournions, et il croisa de nombreux dangers, des dangers profonds, des dangers terrifiants, des horreurs telles que nous ne les avions jamais imaginées – des horreurs même pour les horribles, des choses que fuyaient les autres enfants de la Maison. Il mena de nombreux combats, il aiguisa ses griffes sur les os, et il apprit qu'il était un terrible prédateur. Pour protéger ses yeux, il se fabriqua un masque d'os brisés et de ferraille ramassée. Cela aura son importance, mon enfant – souviens-t'en.
Encore et encore, il marchait, le plus fort des nôtres, masqué et terrible. Et puis, dans une bibliothèque clairement détruite par quelque grande bataille, où il déferla avec la confiance assurée d'être un prédateur, il entendit un nouveau bruit. Un bruit terrible, qui fit émerger dans sa tête une douleur, comme des pointes enfoncées dans la peau. Cela ne s'arrêta pas, alors il se dirigea vers la source du bruit, appelé et repoussé en même temps.
Nous connaissons ce bruit très bien, à présent. Ça s'appelle un « cri », et c'est une chose terrible et merveilleuse. Terrible, qui veut dire la douleur. Merveilleuse, qui veut dire la vie.
Il dégagea une étagère tombée, et là il trouva trois créatures, l'une grande et deux plus petites, accrochées les unes aux autres dans les décombres. Il y avait cette odeur de sang, de viande fraîche, sans pourriture, et s'il avait eu faim alors, avant que le pacte ne soit signé, notre fresque serait bien différente.
Mais il n'avait pas faim, et la curiosité le rapprocha des créatures. Elles n'avaient ni fourrure ni griffes, pas de cornes non plus et une peau tendre, leurs visages correspondaient à leurs corps, contrairement aux nôtres. Elle n'avaient pas de queues, pas de crocs, mais s'habillaient avec de la toile. À cela, il reconnut qu'elles étaient intelligentes, parce qu'elles avaient façonné leurs fausses fourrures comme lui son masque, et il sentit un respect mutuel parce qu'ils avaient, pareillement, sans le savoir, créé ces choses pour se rapprocher. Elles couvraient leur peau à nu pour convenir à sa sensibilité, et il avait couvert son visage pour convenir à la leur, bien avant qu'ils ne se soient vus. Quel miracle était-ce. Quel instant. Quelle miséricorde.
Les deux petites créatures pleuraient, se collant contre la plus grande, comme les petits se rassemblent dans la tanière avant d'entrer au cocon. Brochengeance se rapprocha par curiosité, et la plus grande s'éloigna, serrant les petits contre lui. Il s'arrêta, les regarda, et attendit de voir ce qui arriverait ensuite.
Il attendit si longtemps que les échos du combat qui avait détruit cet endroit s'évanouirent de la mémoire de la Maison, et un rejeton des caves se tira d'un mur, affamée comme toujours l'était la Maison. Elle cherchait ces choses étranges, attirée par leurs pleurs comme Brochengeance l'avait été, et Brochengeance l'attaqua, la repoussant de sa découverte, son grand mystère à étudier, à comprendre.
Encore et encore il la repoussa, et elle combattait, mais il combattait avec plus de férocité, et finalement, elle fut abattue par son pouvoir et sa persistance, et il revint aux créatures.
Les deux petites criaient encore plus fort, tandis que la grande ne bougeait plus, un pieu de bois dépassant du milieu de son corps. Il y avait du sang, plus de sang que jamais, et même si la créature respirait, elle n'avait plus la force de crier.
Brochengeance se rapprocha, la renifla, et essaya de décider quoi faire ensuite, et la créature ouvrit les yeux. Elle fit bouger sa bouche en une forme appelée « sourire » – tu verras bientôt ton premier sourire, et cela t'illuminera de l'intérieur comme cela lui fit, et cela donnera de nouvelles couleurs au monde qui t'entoure, comme tu ne l'as jamais rêvé ! Je t'envie ce premier sourire, vraiment, car je reçus le mien il y a longtemps, et celui qui l'a porté n'est plus.
« Tu nous as... sauvés, » dit-elle.
Brochengeance acquiesça.
« Ou tu as... essayé, ajouta la créature dont le sourire s'évanouissait. Ah. Je ne pense pas que tu nous aies... tous sauvés. Mais tu as sauvé ce qui importait. Je ne peux pas être trop... mécontente. »
La créature parlait la langue de la Maison, la langue que parfois les tranchesangs et les cauchemars murmuraient. Brochengeance comprit assez pour savoir que la grande mourait, et il fut attristé, car il voulait en savoir plus.
Mais ensuite la grande créature poussa les deux petites vers lui, tandis qu'elles pleuraient et tremblaient.
« Je t'en prie... dit-elle. Une dernière... faveur... je t'en prie... garde-les en vie. »
Elle ferma alors ses yeux, et quitta la maison de la seule manière possible. Brochengeance entoura de ses deux premiers bras les petites créatures qui pleuraient et s'attachaient à sa fourrure, et il sut ce qu'elles étaient, parce qu'elles avaient été nommées par leur aînée quand elle les lui avait transmises.
C'étaient des garde-en-vie, et c'est exactement ce qu'il ferait. Il les garderait en vie, aussi longtemps que possible.
Brochengeance revint à nous avec ses nouvelles charges et nous dit qu'il avait trouvé notre but. Et ainsi, nous apprîmes beaucoup de choses.
Tout d'abord, qu'une bestiole est à son mieux quand elle a un garde-en-vie duquel s'occuper et à protéger. Nous ne pouvons pas les enlever aux leurs, mais nous pouvons les séduire, leur offrir des cadeaux et de l'amitié jusqu'à ce qu'ils nous donnent des sourires en retour. Une fois qu'un garde-en-vie t'a souri, tu seras toujours sien, même une fois qu'il aura quitté la Maison ou été emporté là où tu ne peux le suivre. Ils nous donnent des cadeaux égaux à ceux que nous leur donnons, et plus, car ils nous donnent une gentillesse qu'en vain nous cherchons au fond de nos os.
Ensuite, que les garde-en-vie sont terrifiés par nos vrais visages. Toute la gentillesse que nous puissions offrir, toute l'amitié passée avant que nos masques ne tombent, rien ne compte, car s'ils nous voient véritablement, ils nous craindront, et ils fuiront. On ne peut redevenir l'ami d'un garde-en-vie qui a fui, il est perdu. Nous sommes divisés, la meute, quant à comment gérer ces pertes. Certains disent qu'il faudrait les mettre à mort, pour que les autres occupants de la Maison ne les attrape pas. D'autres disent qu'il n'est jamais juste de tuer un ami, et les laissent simplement partir, même en sachant qu'ils ne vivront pas longtemps.
Ces deux premiers garde-en-vie, ils nous ont donné la fresque. Ils l'ont peinte sur les murs du grenier de leurs propres mains, avec la peinture que Brochengeance leur avait offerte d'une salle de jeu très profonde, volée alors qu'elle était sous la garde de cauchemars et d'engeances des caves. Ils ont peint un monde magnifique que nous n'avions jamais vu, et ils le remplirent de nos propres figures, de grandes bêtes hirsutes qui les surveillaient avec bienveillance, par bonté. Nous continuons d'y ajouter, nous nous peignons dans les champs qu'ils ont dessinés pour nous, nous dessinons nos silhouettes dans les espaces qui restent. C'est notre histoire, notre foyer, notre plus grand trésor, et nous combattrions la Maison elle-même pour la protéger.
Ils nous ont donné la fresque, et ils nous donné les leçons. L'un grandit, devint fort et intelligent sous la garde de Brochengeance, restant longtemps avec lui, jusqu'à la fin de leur histoire. L'autre vit le visage de Brochengeance sans masque, fuit dans les halls, et jamais on ne le revit. La perte de ce garde-en-vie brisa le cœur de Brochengeance, et il cessa de nous mener.
Sans sa lourde patte pour nous guider et nous façonner, nous nous séparâmes entre les meutes que nous occupons aujourd'hui. La fresque fut déclarée terrain neutre, partagé entre nous, trop précieuse pour que nous risquions de la donner à une seule meute, et nous nous dispersâmes dans la Maison.
Brochengeance et son garde-en-vie restèrent ensemble. Ils eurent de nombreuses aventures, jusqu'à cesser enfin ; jusqu'à ce que son garde-en-vie revienne à la fresque, le masque de Brochengeance en main, brisé en son centre, et qu'il pleure et geigne et cesse de sourire. Il n'accepta pas d'autre gardien et suivit le chemin de son semblable dans la Maison, pour n'être jamais revu.
Les os de Brochengeance reposent quelque part dans la Maison, cachés mais chers à notre mémoire.
Ton garde-en-vie est là aussi, il t'attend déjà, bien qu'il ne le sache pas. Fabrique un masque à partir de ces choses que j'ai rassemblées, drape-toi de choses colorées et plaisantes à l'œil, et va chercher ton compagnon. Nous avons un but dans la Maison, un plaisir.
Les garder en vie. Je crois en toi, plus-un-enfant, et Brochengeance croirait aussi en toi, s'il était toujours là. Tu es devenu fort et malin, tu as survécu à ton propre cocon, et tu es prêt à devenir le glorieux de compagnon de qui a besoin de toi.
Tu ne réussiras pas. Aucun ne réussit, pas pour toujours, et quand tu échoueras, tu reviendras ici, pour ajouter tes histoires à notre fresque, pour te réunir avec les tiens pour un temps, pour t'occuper des cocons comme je l'ai fait. Et puis tu repartiras, car nous savons pourquoi nous sommes ici, et nous savons ce que nous devons faire, et nous savons qu'un jour, si nous sommes malins, nous réussirons.
Les garder en vie.
Il ne faut rien de plus.