Mornebrune. Les enfants du carnaval (Histoire secondaire) - Magic the Gathering

Mornebrune. Les enfants du carnaval (Histoire secondaire)

Mornebrune. Les enfants du carnaval (Histoire secondaire)

Les survivants de Mornebrune ont appris qu’il y a quelques endroits sûrs dans la Maison – de moins en moins. Combien de temps en restera-t-il ? Et surtout, pour qui ?

  La storyline de Magic / Mornebrune : la Maison de l'Horreur

Les survivants de Mornebrune ont appris qu’il y a quelques endroits sûrs dans la Maison – de moins en moins. Combien de temps en restera-t-il ? Et surtout, pour qui ?

  La storyline de Magic / Mornebrune : la Maison de l'Horreur



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le , par Drark Onogard
92

Les survivants de Mornebrune ont appris qu'il y a quelques endroits sûrs dans la Maison – de moins en moins. Combien de temps en restera-t-il ? Et surtout, pour qui ?

Vous trouverez l'article original, de Mira Grant, ici. Pour ceux qui voudraient explorer – en toute sécurité – l'architecture de la Maison et connaître – sans risque – ses habitants, le Guide du Planeswalker est fait pour vous ! Enfin, si vous voulez connaître l'hospitalité des rares survivants de la Maison, bienvenue chez vous : cette histoire secondaire devrait vous plaire !

Mornebrune. Les Enfants du Carnaval. Partie 1



Nul ne savait d'où venait le vent. Il n'aurait plus dû souffler : les murs de la Maison étaient hauts et solides, sans fissures ni lézardes entre lesquelles un courant d'air aurait pu se faufiler. Les fenêtres étaient fermées au verrou. Régulièrement, à quelques années d'intervalle, quelque groupe de jeunes moissonneurs arrogants décrétait que tout le monde avant eux avait mal fait les choses, prenait des briques, des houes, tout ce qu'ils avaient sous la main, et entreprenait le long voyage jusqu'à la fenêtre en verre la plus proche, afin de défoncer le carreau et de libérer le monde.

Quand Mornebrune se sentait charitable, on retrouvait leurs corps. Quand le Maison avait faim – ce qui arrivait bien plus souvent – il n'en resterait rien, pas même les os, qui témoignât de leur destinée. Leurs noms seraient ajoutés aux contes dont la morale était : « Ne cassez pas les fenêtres », et leurs parents pleureraient en secret, pour éviter que leurs plus jeunes enfants ne le voient.

Les jeunes enfants le voyaient, bien sûr. Les enfants voyaient toujours.

Les enfants voyaient combien de gens quittaient les zones sûres et ne revenaient jamais. Toujours plus chaque année. Les chemins autrefois praticables qui traversaient le corps de Mornebrune devenaient de plus en plus dangereux ; certains avaient de la famille qui avait déménagé vers d'autres zones sûres après avoir versé promesses sur promesses. « Je reviendrai toujours te voir. » « Ce sera toujours chez moi. » « Qui échangerait sans regrets un carnaval contre une Bienfaiterie ? »

Et certaines des promesses s'étaient montrées vraies, et certaines n'étaient que de jolis mensonges brillants, et certaines étaient tout comme, quand ceux qui les avaient faites ne revenaient jamais. Aube était assise sur le mur de pierres qui marquait la frontière entre la sécurité du carnaval et les roses traîtresses qui menaient à l'ouest, lançant des morceaux de pierre sur les roses pour les voir s'y briser.

Elle savait qu'il valait mieux ne pas trop s'en approcher, sans quoi elles plongeraient leurs épines en elle. C'était le truc avec les zones sûres : vous pouviez apprendre leurs frontières, mais tout peut apprendre. Voyager hors des zones sûres, c'était plus que traître, car la plus grande concentration de monstres de la Maison se trouvait juste aux frontières. Ils rôdaient là, dans l'attente que quelqu'un franchisse les limites temporaires qui avaient été formées entre les zones sûres et le reste de la Maison, dans l'attente qu'un imprudent se fasse de lui-même la cible de tous les assauts.

Aube se pencha en arrière pour lancer un morceau de pierre particulièrement gros sur une rose jaune, qui la saisit au vol et l'avala, sa tige gonflée à mesure que la pierre descendait jusqu'à ses racines. En nourrissant un rosier d'assez de pierres, vous pouviez boucher les racines et le tuer, mais vous pouviez aussi transformer le rosier en une sorte de fronde, les roses recrachant les projectiles sur quiconque à portée. Les anciens désapprouvaient qu'on les nourrisse.

Aube s'en moquait. Elle ne comptait pas vivre au carnaval toute sa vie. Même si ses inventions n'avaient jamais suffi à saisir l'attention des Bienfaiteurs, il y avait d'autres zones sûres dans la Maison – son frère s'en était allé dans un campement du grenier, et un de ses cousins était dans la région du labyrinthe végétal – et ni l'un ni l'autre n'avaient les anciens locaux sur le dos. Oh, ils avaient leurs propres anciens, mais ces anciens ne la connaîtraient que comme l'adulte qu'elle serait, pas l'enfant qu'elle avait été. Ces anciens-ci la verraient au contraire toujours comme quelque chose à protéger, à contenir, à contrôler, et elle en avait plus qu'assez.

Mais elle n'allait pas avoir à gérer tout ça, parce qu'elle allait construire les meilleurs pièges, les meilleurs systèmes d'alarme, et les Bienfaiteurs allaient lui demander de les rejoindre et de les aider dans leur combat contre la Maison. C'était tout ce qu'elle avait toujours voulu.

Du mouvement sur le route sûre au-delà du jardin. Aube se leva, les pieds plantés fermement sur le mur, impatiente de voir qui arrivait. Le bonheur la submergea et, d'un bond, elle descendit du mur – du côté protégé, pas celui des roses, déçues – pour courir vers l'ouverture dans le mur, là où le chemin aboutissait pour mener les voyageurs dans l'enceinte du carnaval.

Dans sa course, le vent fouettait ses cheveux, portant le parfum familier du popcorn et du sucre. Le carnaval était une zone sûre, mais la Maison réapprovisionnait encore ses leurres, les odeurs délicieuses qui avaient attiré les premiers survivants vers les chapiteaux bariolés. Mais tout le reste devait être rassemblé, en voyant dans la zone sûre pour récolter les moissons ou en envoyant des groupes de cueillette dans les autres pièces. Certaines des salles à manger et des cuisines se remplissaient régulièrement, des leurres placés pour piéger des survivants.

Le mieux restait quand ils n'avaient pas à partir à la cueillette, bien sûr. Aube pouvait nommer une demi-douzaine de personnes – des gens forts, malins – qui y étaient partis, pour ne jamais revenir. Chaque excursion dans la Maison pouvait être la dernière. Alors, elle courut vers la clôture, le cœur battant, pour voir les cueilleurs de retour.

Tous les trois étaient revenus. Ruisseau avait une grosse balafre sur un bras, droit au travers du tissu de son manteau en toile et en papier peint, mais la chair qu'Aube pouvait voir au travers du trou était encore rose et avait l'air saine, et non transpercée d'échardes ou ornée de hameçons. Tombée-du-jour marchait comme si sa cheville droite lui faisait mal, s'appuyant sur Ville et geignant chaque fois qu'il posait le pied.

Ville, évidemment, avait l'air en pleine santé. Comme toujours. C'était le plus rapide et le plus fort des cueilleurs actuels, trop malin pour être moissonneur, et de loin ; il avait accompli des missions dans le corps de la Maison depuis le jour où il a eu l'âge, prenant de plus grands risques que tous les autres, pour toujours revenir. Chacun d'eux avait le nom de choses qui avaient existé dans le monde extérieur, rêves évanouis de liberté et de confort, hérités d'un temps où ces mots avaient encore un sens – Aube était presque sûre que son nom et celui de tombée-du-jour avaient le même sens, et que Ruisseau avait à voir avec l'eau, mais elle n'avait jamais fait l'expérience de ces choses elle-même. Ses parents non plus, ni ses grands-parents, ni quiconque qu'elle avait pu rencontrer.

Avant la Maison, beaucoup d'entre eux avaient vécu dans une ville. C'était un endroit où ils faisaient leurs maisons et construisaient des créations merveilleuses, où ils tissaient leur magie et passaient leurs vies dans le confort et la plénitude. Rien à voir avec les vies qu'ils traînaient à présent, grappillant les miettes de la Maison, fuyant ses monstres.

Ville était le meilleur et le plus puissant de leurs noms, et il était naturel que le meilleur d'entre eux soit celui qui le porte. Ville allait les guider, un jour, Aube en était sûre, et ce jour-là, il trouverait un moyen pour mettre fin à la lente érosion des routes sûres entre les camps. Il s'assurerait que leur monde serait de nouveau stable.

On pouvait vivre une vie heureuse entouré de monstres, tant qu'on savait où jeter les pierres et où poser ses pieds.

Et Aube savait y faire. De la même manière qu'elle savait que ce n'était pas normal que deux membres d'une équipe reviennent blessés quand le troisième avait l'air en pleine santé. Elle lança un regard plein de malaise à Ville alors qu'elle venait soutenir Tombée-du-jour, l'aidant à retirer du poids de son pied blessé.

« Qu'est-ce qui s'est passé ?
– Embuscade à la sortie d'une chambre froide, dit Ruisseau. Tu aurais dû voir – plus de meules de fromage que j'en ai jamais vu ! Et du jambon ! Du vrai jambon, dans des pots ! »

Aube écarquilla les yeux. Le jambon en pot, c'était le meilleur. Après avoir avalé cette douceur, il te restait du verre pour faire des armes, des pièges, ou mêmes des scanners de base, ceux qui ne te préviennent qu'à quelques secondes d'avance sur une engeance des caves ne sorte du mur et ne t'attrape. Les meilleurs scanners nécessitaient de meilleurs matériaux. Il y a quelques mois, l'une des équipes de récolte était revenue au carnaval avec une pleine boîte d'argenterie qu'elle avait pu fondre pour en faire des câbles.

« Vos détecteurs, demanda-t-elle abruptement, ils ne se sont pas déclenchés ?
– Ce n'était pas une engeance des caves, répondit Ruisseau, la voix creuse. « Nous étions profond dans les Brûlestagnes, très loin des Hantebois, mais ce n'était pas une engeance des caves.
– Alors quoi ? demanda Aube.
– Un osier, » répondit Tombée-du-jour.

Aube s'efforça de ne pas reculer, ses yeux sautant sur la coupure au bras de Ruisseau.

« Vous avez nettoyé le bois ? » Juste une écharde, et elle pourrait...
« Ce n'est pas notre première sortie, dit Ville, cassant, contre son habitude. Ne fais pas comme si tu aurais fait mieux. Nos détecteurs n'étaient pas calibrés pour des osiers. Il n'y avait pas de raison qu'ils le soient. Alors, ils nous ont pris au dépourvu.
– Mais il nous reste du fromage, dit Tombée-du-jour, s'efforçant de paraître joyeux. Ce n'est pas un échec total.
– Je l'ai nettoyé, dit Ruisseau. Rien n'y est logé. J'aurais juste voulu savoir pourquoi ils chassaient là. C'était si près de la route sûre...
– Et rien ne vous a attaqué en terrain sûr ? »

Ruisseau secoua la tête. Aube souffla de soulagement.

Les chemins sûrs au travers de la Maison avaient été tracés avec difficulté, au prix du sang, pendant des années. La Maison ne voulait pas qu'ils soient en sécurité où que ce soit, évidemment ; elle avait besoin de leur peur, et un lit où rien n'essaierait de vous saisir dessous les couvertures était aux antipodes de ce qu'elle cherchait. Mais les gens avaient besoin de sécurité pour rester humains. Ils avaient besoin de temps pour s'arrêter et respirer, avant que le stress n'arrête leur cœur et les laisse à pourrir, n'étant plus des sources de terreur pour nourrir la Maison.

Alors, peu à peu, ils avaient établi les traités. Rien d'écrit, bien sûr, des choses qui pourraient être oubliées ou mal transmises, alors demeurait la question de savoir si le chemin sur lequel on était était vraiment sûr, ou n'en avait que l'air. Cependant, en restant sur les chemins, attentifs aux sigilles, on pouvait se déplacer entre les zones sans trop de risque.

« Nous avons vu un autre de ces groupes d'étrangers, dit Tombée-du-jour. Ils portaient des vêtements, je n'en ai jamais vu de tels, et ils erraient comme s'ils n'avaient aucune idée qu'ils étaient en danger. Et tous avaient une lueur avec eux ! Tous !
– Argh, » dit Aube.

Il y avait eu une grande secousse dans la Maison à quelques cycles de moisson de cela, faisant tout tomber des étagères et de la poussière des plafonds. Et puis c'était passé, et tout était revenu à la normale – en apparence.

D'étranges portes avaient commencé à apparaître hors des zones sûres. Des portes qui apparaissaient et disparaissaient de leur propre gré, ce n'était pas une nouveauté, mais pas à ce rythme – de plus en plus chaque semaine, apparemment. Ruisseau en avait vu une ouverte, et l'air qui avait soufflé depuis la porte avait été frais et doux, si doux qu'elle en avait eu mal à la gorge, comme s'il soufflait d'un autre monde. De plus en plus d'étrangers avaient commencé à apparaître avec ça. Jamais beaucoup en même temps, mais un flux assez stable pour que tout le monde soit au courant. Depuis toujours, des gens disparaissaient des bords des zones sûres. Ce n'était que depuis l'apparition des portes qu'ils avaient commencé à disparaître des chemins.

« Tu ne peux pas marcher plus vite ? » exigea Ville.
Aube fronça les sourcils. « Tombée-du-jour est blessé. Il va aussi vite qu'il peut. Tu ne portes rien d'assez urgent pour qu'on ait à se presser.
– Désolé, s'excusa Ville. Je suis juste... fatigué.
– On y est presque. »

Ils atteignirent le sommet de la petite colline qui coupait le carnaval en deux, et c'était devant eux : leur maison. L'un des rares endroits que Mornebrune n'avait jamais réussi à ternir ou tacher, une zone sûre depuis le début.

Les tentes étaient une débauche de couleurs, murs de toile rapiécée et oriflammes qui claquaient dans la brise. Des lumières magiques enrobaient les mâts des tentes et s'étiraient entre les tentes elles-mêmes, créant une toile d'un sanctuaire promis. Le feu central était allumé ; quelqu'un jouait de la flûte, un air pareil à un estomac plein et un lit chaud. Aube souffla. Parfois elle s'irritait contre ce devoir d'être une bonne membre de la communauté, mais elle ne pouvait nier la joie qu'elle sentait en voyant son chez-elle.
Ruisseau et Tombée-du-jour avaient l'air de ressentir la même chose. Ville, cependant... Son visage était froid et solennel, pas un sourire en vue. Il prit la tête pendant qu'ils descendaient la colline vers la tente principale.

« Tu sais, Aube, dit-il, tes détecteurs nous ont gardés en sécurité pendant des années. Sans toi, nous serions morts une dizaine de fois. C'est pour ça que nous voulions que tu continues à moissonner et à façonner jusqu'à ce que les Bienfaiteurs viennent te chercher, plutôt que tu ne viennes avec nous à la cueillette.
– Je sais, dit-elle, flattée. Pourquoi est-ce que tu me le dis maintenant ?
– Parce que les choses ont changé. »

Aube trébucha.

Ville se tourna pour la regarder dans les yeux. Les avait-il toujours eus si bleus, si brillants ? Ou n'était-ce qu'un effet de la lumière du carnaval ?

« Mornebrune nous donnait de la sécurité parce que nous donnions à la Maison ce dont elle avait le plus besoin : des gens pour la nourrir.
– Je ne...
– Mais quelque chose a changé. Dehors. Et maintenant, Mornebrune peut faire ce que nous avons toujours fait. Maintenant la Maison peut chasser. » Ville avait l'air sincèrement plein de regret, quand il s'arrêta de marcher et fit un tour sur lui-même, retirant son manteau.

Sous celui-ci, il portait un tabard où étaient brodées les ailes d'un énorme papillon de nuit coloré. Un grand sourire fendit son visage quand il étendit les bras, le sourire de Mornebrune, un sourire terrible à voir.

« Mornebrune n'a plus besoin de nous, » dit-il sous les yeux terrifiés d'Aube et de Tombée-du-jour, pendant que Ruisseau lâchait un soupir d'horreur. « Mais il y a un moyen de survivre, si on est assez malin pour le voir. Il reste un endroit pour ceux d'entre nous qui souhaitent servir le Père Dévorateur, au sein du Culte de Valgavoth. Rejoins-moi, Aube. Étends tes ailes et vole jusqu'à sa lumière. »

Ruisseau et Tombée-du-jour étaient blessés. Aube fut la seule à reculer, à trébucher, loin de la forme soudain menaçante de son ami. Derrière elle, quelque chose se brisa. Elle regarda par-dessus son épaule. Un sangrasoir énorme défonçait la clôture, une armée entière de monstres de Mornebrune derrière lui.

Elle se retourna et s'enfuit.

Le temps de la trêve avait pris fin, mais peut-être, si elle avait de la chance, pourrait-elle trouver l'une de ces mystérieuses portes. Peut-être qu'elle pourrait être celle qui découvrirait d'où venait le vent.

Aube courait, et le carnaval s'effondrait, hurlant, derrière elle.

Mornebrune. Les enfants du carnaval. Partie 2.



Aube courait, et ce carnaval qui était la seule maison qu'elle ait jamais connue brûlait derrière elle, créatures et monstres faisaient des cabrioles dans les flammes, pendant que les survivants se séparaient pour sauver leur peau. Elle avait été parmi les premiers à courir, parce qu'elle avait croisé Ville et les autres de retour de leur mission de cueillette ; les monstres de Mornebrune étaient encore en train de se mettre en position. Elle fuyait, et les survivants qui couraient après elle mouraient en criant, saisis par des cauchemars ou enlacés par des osiers rôdant là, qui avaient eu l'intelligence de la laisser passer pour attraper ceux qui la suivaient, plus nombreux.

Elle courait, et chaque fois qu'un cri s'interrompait d'un coup derrière elle, elle se sentait plus mal de courir. Elle aurait dû voir les signes de danger plus tôt qu'elle n'avait fait, aurait dû se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond en les voyant revenir si tôt, par ce chemin des roses parfois imprévisible plutôt que par la route plus stable qui se déroulait derrière la grande roue. Il y avait eu tant de signes, et elle les avait tous manqués, et maintenant son foyer était en flammes.

Malgré ses poumons qui lui faisaient mal comme si on l'avait frappée à la poitrine, Aube s'arrêta et se retourna vers le feu, vers les formes qui fuyaient devant lui, et vers les grandes formes qui sautillaient au milieu du chaos. Elle essaya de graver cet instant dans sa mémoire, de l'écrire pour toujours dans ses pensées. Elle savait que les détails s'évanouiraient, mais elle pouvait au moins essayer.

Une fois son souffle repris, elle se retourna pour reprendre sa fuite, et cria en voyant Ville sortir des bois face à elle, le visage tordu dans un rictus horrible, les dents trop blanches et les yeux trop brillants, les mains tendues pour la saisir.

« Le Père dévorateur a toujours faim, » dit-il, et il ne lui restait nulle part où fuir, nulle part où aller...

Aube se réveilla en hurlant, se dégageant d'un coup de pied de sa fine couverture – plutôt une bande de rideau arraché – qu'elle s'était mise à utiliser pour se protéger du froid du grenier. Les gardes de service à la trappe qui menait à l'étage du dessous se tournèrent pour la regarder avec un désintérêt irrité.

« Chut, » siffla l'un, tandis que l'autre se contentait de secouer la tête et de revenir à sa garde.

Les dents serrées d'embarras, Aube fit un geste d'excuse et se leva, pliant soigneusement sa couverture de rideau sur le côté. Quelqu'un d'autre dormirait avec plaisir maintenant qu'elle était debout, et la personne en question apprécierait le geste. Il y avait un certain confort indéfinissable dans le fait de déplier la couverture sous laquelle on dormirait, comme si ce petit acte de destruction rendait le sommeil plus agréable.

Le pliage accompli, elle saisit son unique autre ensemble de vêtements et se précipita dans le vestiaire.

Trouver un tunnel qui ne soit pas gardé dans le campement du grenier avait été une pure chance, une chance sur un million qu'elle n'aurait jamais dû avoir. Elle était arrivée couverte d'hématomes et d'éraflures à cause de sa longue fuite dans la forêt, mais sans autre blessure, et elle avait pu prévenir les chefs du camp de ce qui était arrivé au carnaval avant que les monstres ne commencent à tambouriner aux portes du grenier.

Si l'attaque n'était pas venue du côté opposé de celui de son arrivée, elle aurait soupçonné d'avoir elle-même guidé les forces de Mornebrune droit sur eux. Ainsi, bien qu'elle eût reçu un abri, la plupart des survivants de son âge la traitaient avec soupçons. Sa fuite du carnaval avait été trop facile, surtout étant donné le timing de l'attaque qui suivit.

Presque tout le monde dans le grenier avait perdu quelqu'un dans l'une de ces deux attaques. La Maison n'avait jamais été un endroit sûr, mais elle était soudain devenue hostile même vis-à-vis de ses standards les plus horribles. Chaque campement et lieu de rassemblement avec lesquels ils avaient gardé contact avaient été attaqués pendant les dernières semaines ; plusieurs d'entre eux avaient complètement disparu. C'était comme si la Maison, après des années à traiter leurs vies comme une ressource à thésauriser prudemment, s'était soudain rendu compte qu'elle n'avait pas besoin d'eux du tout. Et c'était terrifiant.

Vivre à Mornebrune – non pas que quiconque ait eu le choix, ou que quiconque aurait choisi de rester s'ils avaient eu le choix – n'avait jamais été facile. La Maison était une terre prédatrice remplie de monstres, et elle massacrait les imprudents en un instant, le temps de prendre une inspiration et de hurler. Pourtant, c'était leur terre prédatrice jusqu'à récemment, et maintenant qu'elle ne leur donnait plus le temps de reprendre leur souffle entre les assauts, il était impossible de savoir combien de temps chacun pourrait tenir.

Aube s'avança dans le vestiaire vide, allumant une lanterne, et la portant dans les coins pour vérifier les ombres avant de changer de vêtements. Traditionnellement, la Maison n'attaquait pas ici. Mais ses cauchemars et engeances de cave pouvaient venir de n'importe où, même des murs du grenier, et « traditionnellement » était un mot qui perdait rapidement du sens sous le poids de la réalité.

Rien ne plongea pour la saisir. Aube s'attacha les cheveux en une queue de cheval lâche et sortir de la pièce, vers le grenier sombre, profondément silencieux. La nuit et le jour étaient des concepts qu'elle ne connaissait que grâce à des livres et de vieilles histoires ; parfois les pièces étaient plus lumineuses ou plus sombres, mais il n'y avait pas de grand cycle, pas de modèle prédictible des caprices de la Maison. Cependant, il y avait des périodes pendant lesquelles la Maison était active. Il valait mieux cueillir juste après une attaque majeure, quand les monstres rassasiés dormaient, et dormir après cela, pendant que les gardes surveillaient quoi que ce soit qui n'aurait pas eu un repas suffisant.

Aube fit un signe de tête en direction des gardes tandis qu'elle repassait devant eux, cette fois-ci se dirigeant vers une porte du mur d'en face. Un coup d'œil rapide lui montra que son atelier était encore de l'autre côté, pas encore emmené par la Maison, si bien qu'elle put traverser la pièce et s'asseoir face à l'établi qu'elle avait bricolé à partir de planches brisées et de morceaux d'équipement dépareillés, qui ne convenaient pas à son projet actuel.

Cela avait commencé comme une sorte d'instrument de cuisine, une sorte de boîte rectangulaire, avec deux emplacements sur le dessus et une résistance à l'intérieur. Aube ne pouvait imaginer ce à quoi il avait pu servir, ou comment il était censé fonctionner, mais la résistance demeurait un excellent conducteur, et en la branchant à une batterie, elle était certaine qu'elle pourrait faire quelque chose qui donnerait un méchant choc à tout ce qui le toucherait.

Elle n'avait pas d'amis dans le campement du grenier, pas vraiment. Elle ne connaissait pas leurs habitudes ou leurs traditions, et ils n'avaient pas assez confiance en elle pour la laisser partir à la cueillette avec eux. Bien qu'ils ramènent ce qu'elle demandait – bon gré mal gré, mais avec assez de sérieux pour qu'elle puisse reprendre la seule activité qui lui amenait une véritable joie, la seule chose que la Maison ne pouvait pas lui prendre, qu'importe combien de fois elle attaquait.

Elle reprenait le travail.

Sous ses outils et ses doigts habiles, les déchets et la ferraille devenaient des pièges à fantômes glitchés, des filets pour ralentir – pas arrêter, certes, mais quelques secondes pouvaient faire la différence entre la vie et la mort – un sangrasoir qui fonce, même des crache-feux qui arrêteraient un osier qui vous poursuit. Ses petits dispositifs étaient à peine plus que des jouets, et pourtant. Parfois on n'a rien de mieux que des jouets.

Le grenier avait accès à des matières premières différentes de celle disposait le carnaval, dans les côtés positifs comme négatifs. Il y avait moins de boulons et d'écrous, mais plus de tuyaux en cuivre ; pas autant de clous, plus de verre brisé. Elle s'adaptait. Les yeux fixés sur le dessous de son rectangle de métal, qu'elle imaginait déjà en boîte à chocs, elle cherchait des doigts l'endroit où elle placerait la batterie.

Les batteries étaient rares et le devenaient de plus en plus à chaque saison. C'étaient des artefacts des jours légendaires avant que Mornebrune ne recouvre le monde, des produits de la ville perdue créés pendant cette ère de paix et d'abondance impossibles. Des gens pouvaient le recharger avec leur talent magique qui leur permettait de canaliser l'énergie dans le métal, ou bien on pouvait les suspendre dans un endroit fréquenté par des fantômes glitchés, bien qu'on ne les retrouve alors pas toujours.

L'emplacement de la batterie était sur un côté de la boîte, facile à mépriser, mais vital. Aube trifouilla de sa main libre à la recherche de la batterie afin de l'y placer, et l'y poussa avec un clic qui sembla se réverbérer jusqu'à son coude. Replaçant le couvercle, elle appuya sur le bouton qui permettrait – elle l'espérait – d'activer sa dernière création.

Elle commença à vibrer, et la petite « pointe » en bois qu'elle avait attachée au bout avec une corde de cuivre tressée grésilla, montrant que c'était désormais dangereux à toucher. Aube eut un sourire d'autosatisfaction, pensant à quel point Ruisseau serait impressionnée quand elle verrait qu'elle avait enfin confectionné un choqueur, qu'Aube leur avait donné une nouvelle arme, même si elle nécessitait d'être bien plus près de l'ennemi qu'on ne l'appréciait.

Son sourire s'évanouit. Ruisseau ne le verrait jamais. Ruisseau était morte si elle avait eu de la chance, vivante mais attrapée sinon, transformée par la Maison en l'une de ses nombreuses horreurs. La gentille, la sérieuse Ruisseau. L'image d'elle mise en pièces par une engeance des caves était de loin préférable à la pensée qu'elle puisse être enfermée dans la peau tissée d'un osier, silencieuse et insensible pour toujours...

Son attention se détourna de son atelier, attirée par un coup porté de l'autre côté de la porte. Aube regarda autour d'elle, la boîte dans les mains, avant de lentement, consciencieusement se lever.

On ne vit pas longtemps sur Mornebrune sans apprendre les signes du danger. Personne ne criait, personne ne gémissait ni ne geignait.

Personne ne respirait non plus.

Il y avait une certaine qualité de silence absolu qui tombait sur une pièce dont les occupants avaient été tués. Aube s'éloigna de la porte, colla ses épaules au mur en tentant de réfléchir à ce qu'elle avait qu'elle pourrait utiliser pour se défendre. Quelques pièges à fantôme à moitié finis, quelques filets, et sa baguette à chocs. C'était tout. Insuffisant contre la chose qui avait pu éliminer un campement entier d'un seul coup.
Pendant un assez long temps, le seul bruit qu'elle entendait était les battements de son cœur, le sang qui déferlait dans ses oreilles, son souffle qui raclait sa gorge. Puis, de l'autre côté de la porte, elle entendit des pas.

Ils se dirigeaient vers son atelier, mais s'arrêtèrent avant de l'atteindre. Et une voix familière, une voix qu'elle avait aimée, dit, calme et sereine d'une sérénité qu'il n'avait jamais eue lorsqu'ils étaient ensemble au carnaval : « Il t'a laissée partir, tu sais. Je lui ai demandé ta vie, et il me l'a accordée, notre Père dévorateur a fait une faveur glorieuse à son nouvel acolyte favori. Mais je n'ai plus de faveurs à demander avant de les acquérir, par le sang, les os et la terreur. Je ne peux plus te sauver. Viens avec nous dans la Vallée de Sérénité. Viens les mains ouvertes et le cœur disposé, et nous te mènerons au-delà de ce seuil, vers la paix, pour toujours. Ou reste comme tu es, sans protection et sans aide, et sache que tu mourras comme tous les autres. Le choix est tien, Aube. Je ne peux que prier que tu choisisses sagement.

Les pas de Ville s'éloignèrent ensuite, et le silence retomba. Aube tomba lentement au sol, le dos toujours pressé entier contre le mur, et regarda le dispositif dans ses mains, comme si elle espérait qu'il se recompose en quelque chose qui puisse changer le monde, qui puisse faire que, lorsqu'elle ouvrirait la porte, le campement du grenier ne serait pas perdu.

Rien ne changea.

Finalement, elle se leva sur des jambes flageolantes et s'avança pour ouvrir la porte du grenier. La scène de l'autre côté était à la fois ce qu'elle attendait et ce qu'elle n'attendait pas. Les corps étaient très rares. À ceux qui restaient, il manquait des morceaux, la peau surtout, mais aussi des membres ; un sangrasoir était passé. Aube s'arrêta pour décrocher une machette de l'un des cadavres, avant de se rediriger vers la trappe, la baguette à chocs dans l'autre main.

Elle descendit les escaliers sans que rien l'attaque. Les ombres, pour une fois, étaient entièrement vides et le restèrent tandis qu'elle traversait le hall, passant des échos désagréables des Brumetourbes à la fraîcheur humide des Fossinondes. Elle avait entendu des rumeurs qui prétendaient que des Bienfaiteurs étaient ici.

Elle n'avait nulle autre part où aller.

Elle traversait un hall orné de portraits lorsqu'une forme tremblante, glitchée, se tira d'un éclat de verre et tendit la main vers elle, terrible vide de couleur et de néant éternel. Elle dirigea sa baguette à chocs dans sa direction et appuya sur le bouton qui augmentait le voltage, et à la place d'une étincelle, c'est un rayon éblouissant de lumière qui jaillit, transformant le fantôme glitché dans un brouillard électrique. Aube, en reculant, trébucha, le bouton toujours fermement enfoncé, et espéra que le fantôme céderait avant la batterie.

Les deux arrivèrent en même temps, le fantôme éclata en un million d'éclats de lumière en même temps que la batterie grésilla et mourut. Soudain sans défense à l'exception de la machette subtilisée, elle clignait des yeux face à l'endroit où se tenait auparavant le fantôme, puis en direction de la baguette dans sa main, comme si elle avait oublié ce que c'était.

Des mains la saisirent de derrière, et elle fut emportée dans une autre pièce avant même de pouvoir crier, dans un théâtre poussiéreux, abandonné, où un cercle de survivants, en vêtements méticuleusement rapiécés, se tournèrent pour la regarder.

« Bienvenue parmi les Bienfaiteurs, dit celui qui l'avait tirée jusqu'à la sécurité douteuse de leur compagnie. Il paraît que tu nous cherchais. »

Aube rit, et commença à pleurer en même temps. Le cercle se resserra autour d'elle, et puis les mains prirent sa baguette à chocs, deux gens l'étudiant avant de dire qu'ils avaient des batteries fonctionnelles et de demander si ça la gênerait qu'ils les installent. Elle était en sécurité ici. Ils étaient en sécurité ici, du moins autant qu'on pouvait l'être quand la Maison changeait autour d'eux sans raison qu'elle puisse voir.

Et pourtant les mots de Ville résonnaient encore dans ses oreilles.

Le choix était sien.

Les morts, aussi.

Alors c'était comment ?

Vous aussi, louez son œuvre !


Si vous êtes l'une ou l'un de celles et ceux qui ont choisi la rébellion contre le brouillard de la toile qui étouffe les esprits, identifiez-vous pour participer. Sinon vous avez encore une chance d'éveiller vos sens, en rejoignant notre communauté de Magiciens Fous.

Le Dark Mogwaï

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Je savais qu'on n'aurait pas dû utiliser ces carrés de chocolat comme marqueurs +1/+1.

—Les 666 pires fins de partie possibles

Proposé par Dark Mogwaï le 19/06/2012

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