Tazri hurla tandis que la réalité s'effondrait. Elle revivait chaque souvenir... Non, chaque véritable instant de son passé avait lieu maintenant, simultanément, tel un kaléidoscope sans fin. Le halo qu'elle portait au cou, celui de l'ange, était à présent d'un blanc incandescent et la brûlait. Et alors même que son esprit tentait de trouver refuge pour échapper à l'assaut du passé, il était attaqué par l'avenir...
Un scintillement
Tazri eut un large sourire. Son maître tenait Gideon. Le Planeswalker hurla et un bouclier doré l'enveloppa brièvement avant de disparaître. Son maître était le seigneur du temps et de l'espace, et il n'autorisait pas ce genre d'insulte à l'ordre des choses.
Les cadavres des autres importuns jonchaient le sol. C'était ici qu'ils avaient décidé de monter leur ultime assaut, et il avait été aussi bref que risible. Les restes cendreux de la mage de feu fumaient encore après qu'elle eut essayé futilement de blesser le maître de Tazri. La coque desséchée de l'elfe, qui avait tenté de fusionner son essence avec le monde et qui du même coup, avait partagé son sort, gisait un peu plus loin. Et il y avait aussi le corps mutilé du mage de l'esprit. Il avait conjuré des centaines d'illusions dans un ultime effort, et avait vu avec horreur ses propres créations se retourner contre lui, lui transperçant le corps de leurs épées illusoires. À chaque coup d'épée, elles criaient son nom,
« Kozilek. »
Kozilek. Le nom emplissait son esprit, le vide qu'elle avait en elle... Il avait redonné un sens à sa vie. Elle se rappelait à peine la vague scintillante qui l'avait enveloppée, qui avait tué tous ses faux amis mais maintenue en vie, sans aucun souvenir. Quand elle avait repris conscience, elle ne connaissait plus que ce nom, résonnant comme un doux carillon dans son âme.
Kozilek. Kozilek. Kozilek. Tout était maintenant si clair. Elle avait combattu pour Kozilek et suivi la marche inexorable de l'armée, culminant par cette grande victoire.
Ulamog et ses engeances avaient disparu. Peut-être avaient-ils étés tués, ou étaient-ils partis... Cela n'avait aucune importance. Il ne restait sur le champ de bataille que les armées loyales de son maître. Et le dernier ennemi. Le dernier envahisseur étranger à éliminer, Gideon Jura.
Dans son ancienne vie, avant d'être sauvée par Kozilek, elle n'avait pas aimé Jura. Mais elle avait maintenant encore plus de raisons de le détester. Sa simple présence était une offense. Comment un vaisseau aussi frêle pouvait-il avoir la témérité de défier le seigneur de la réalité en personne ? Gideon Jura devait être puni.
Kozilek serra, et nulle forme mortelle n'aurait pu résister à une telle pression. Gideon Jura explosa. Un sac sanguinolent de chairs déchirées et d'os brisés tomba sur le sol crayeux, rejoignant les cadavres de ses amis. Tazri applaudit et sautilla, extasiée d'être le témoin d'une telle gloire.
Un étrange bourdonnement monta dans ses oreilles. Il ne venait ni de l'air, ni du sol. Il provenait du plus profond d'elle-même. Le bourdonnement se fit plus fort encore, et peu à peu, la militaire devina ce que c'était.
Il ressemblait à un rire. Le rire de Kozilek.
Le bourdonnement résonna dans toute la sphère. Tazri partageait la joie de son maître, mais elle ignorait quelle en était la cause. Kozilek leva un bras. Il y eut une ondulation dans l'espace, et Gideon Jura réapparut, indemne, en vie. Il était une fois de plus empoigné par Kozilek, mais à en juger par sa terreur et ses cris, il était évident que Jura se rappelait. Il se souvenait de sa mort, et savait qu'il allait mourir à nouveau. Kozilek serra et le Planeswalker succomba une fois de plus à l'étreinte de la mort.
Tazri gloussa de délice. Maintenant, elle comprenait la cause de la joie de son maître. Il manipulait le temps et l'espace. Quelle était la conséquence de manipuler une partie infime de ce pouvoir pour assurer les souffrances d'un ennemi ? Encore, et encore, et encore.
Un autre sursaut, une autre ondulation, et Gideon Jura renaissait, et ses hurlements de terreur étaient délicieux.
Un scintillement
La tempête faisait rage. Des nuages de bismuth en fractales explosaient en hèdrons enchantés, tandis que les équisingularités pleuvaient sur des asymétries défiant la gravité.
Cela ne fonctionnait pas. Rien ne fonctionnait.
Pendant les premières dix mille années qui avaient suivi la disparition de Kozilek, Tazri avait utilisé ses nouveaux pouvoirs pour tenter une reconstruction. Mais Kozilek était un piètre créateur, contrairement à son frère plus âgé, et les dons de Tazri n'étaient qu'une pâle imitation de ceux de son maître.
Au départ, elle avait pensé que ce n'était qu'un problème de talent, d'expérience. Bien sûr, elle ne pouvait pas recréer Zendikar dans ses moindres détails dès sa première tentative. C'était impossible. Mais la centième fois ? La millième ? Si elle continuait ses efforts, éventuellement, inévitablement, elle pourrait recréer Zendikar, et ce parfaitement, dans ses moindres détails.
Puis il reviendrait. Zendikar reformé l'appellerait, comme il l'avait fait la première fois. Il le fallait.
Il faudrait seulement du temps, et le temps jouait en sa faveur.
Finalement elle réalisa son erreur de logique. Elle était encore trop humaine, même après des millénaires. Bien que son corps et son esprit eurent subi d'importantes transformations pendant le règne glorieux de Kozilek, elle était encore trop imparfaite, trop faible. Après la disparition du titan, sa puissance et son contrôle étaient certes immenses, car le contrôle de toute la strate des automates lui appartenait. Mais bien sûr, sa volonté n'était pas suffisante pour accomplir sa quête : elle était humaine.
Les humains ne pouvaient jamais aspirer aux ambitions des dieux.
Mais si au lieu de vouloir diriger le changement, elle fournissait simplement le bon environnement pour le déclencher ? Si elle parvenait à établir les bonnes conditions de départ, le bon Zendikar finirait par se créer de lui-même, probablement de la même manière que le Zendikar d'origine s'était formé.
Une fois de plus, il fallait juste du temps.
Sa dernière obsession en date était les intempéries. Mais même ses expériences les plus simples n'avaient pas les résultats attendus. Et tout effort qu'elle faisait pour créer des systèmes plus complexes dégénérait rapidement en chaos aléatoire. Il n'y avait aucun modèle, aucune beauté, aucune chance de faire réapparaître Zendikar.
Elle prit une grande inspiration
(pourquoi es-tu encore aussi humaine, cesse de respirer, tu n'en as pas besoin) et se remit au travail.
Elle voulait qu'il revienne.
Pourquoi m'as-tu quittée ? N'étais-je pas un bon soldat ? Nous avions gagné. Où es-tu maintenant ? Est-ce que je te manque ? Elle voulait à nouveau entendre son rire, sa présence réconfortante. Elle voulait que ce vide en elle soit à nouveau rempli. Elle continuerait d'essayer, de s'améliorer, de comprendre. Elle leva le visage vers l'étrange pluie, sentant ses formes géométriques couler sur ses joues simulées.
Un scintillement
Les étoiles et le soleil étaient morts et noirs depuis longtemps, et rien ne bougeait, rien ne vivait.
Tazri était ensevelie profondément sous terre, enveloppée dans des cocons d'énergie et de matrice. Elle avait stocké toute l'énergie possible des milliards d'années auparavant, déterminée d'attendre le plus longtemps possible.
Kozilek reviendrait. Elle le savait. Il fallait juste qu'elle soit là quand il le ferait.
La plupart du temps, elle dormait, mais elle devait s'éveiller de temps en temps pour réajuster ses cocons et s'assurer qu'elle ne périrait pas pendant sa prochaine période d'hibernation. Elle devait conserver toute l'énergie qu'elle pouvait. Pour se divertir, elle se racontait des histoires. Généralement, elle choisissait sa préférée : le jour où Gideon était mort.
Elle se la racontait, encore et encore, s'attardant sur la mort de chaque étranger, puis sur toutes les manières dont Jura périssait lors de cette journée sans fin.
L'histoire était si longue, mais quand elle avait terminé, elle recommençait. Chaque fois qu'elle prononçait les mots, elle se souvenait de la chaleur du rire de Kozilek, du sentiment de plénitude qui l'envahissait en sa présence.
Bien qu'elle ne l'eût pas vu depuis des billions d'années, elle savait qu'il reviendrait. Et tout irait bien.
Et pour combler le néant qui la séparait de cet instant, elle avait son sommeil et ses histoires. Cela lui suffirait jusqu'au retour de Kozilek.
« C'est l'histoire du jour où Gideon est mort. »
Un scintillement... Puis un autre
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Extrait de l'histoire officielle, par Ken Tropp
Le 25/02/2019
Il est vrai que ne pas mélanger sa bibliothèque donne tant d'information que je me demande si cela n'est pas trop puissant. Les autres effets conviennent, parce que c'est vrai qu'il en faut des vrais eldrazis pour faire mana infini... Mais celui-ci me fait douter.