À minuit commence le duel de Kellan. Damnation accueille des hôtes indésirables. Vous trouverez l'article original écrit par Akemi Dawn Bowman ici, et un résumé à la fin de cette traduction opérée par les petits soins de votre humble serviteur.
Pour rappel : Kellan est une jeune homme originaire du plan d'Eldraine, qui mêle contes de fées et ambiance arthurienne. Ayant appris que son père n'est autre qu'un fae, le Planeswalker Oko, il a décidé de se mettre en quête de ce dernier, profitant des percées de présage pour explorer le Multivers. Après Ixalan et Ravnica, le voici sur le tout nouveau plan de Croisetonnerre. Tout nouveau, en effet : ce plan d'ambiance Far West n'était pas habité avant que les percées de présage n'y amènent des flots d'aventuriers, en mal de découvertes ou désirant fuir leur passé. Un monde plein de possibilités, de richesses, mais aussi sans foi ni loi : voici ce dans quoi vous allez être plongé dans un instant.
Si vous avez raté les premiers épisodes, pas de crainte : le premier est juste là, le deuxième juste ici, le troisième là, et voici le quatrième.
Les Hors-la-loi de Croisetonnerre : Épisode 5 : Lune haute
Douze coups jaillirent de la tour de l'horloge en fusion. Ses arêtes tranchantes brillaient d'un rouge sinistre et son ombre s'étendait sur l'énorme cour en contrebas. Des poteaux de clôture en os et en fer noir étaient enfoncés dans le sol, encerclant le périmètre pour créer une enceinte.
Le terrain de duel de Damnation.
Kellan se tenait au bord de l'arène, flanqué d'une paire d'Enferéperons. Une porte s'ouvrit derrière lui en grinçant, faisant dégringoler des pierres de la paroi rocheuse environnante. Des pas résonnaient dans le tunnel sombre. Oko, Vraska et Annie apparurent, toujours enchaînés. Leurs ravisseurs les conduisirent vers les tribunes des spectateurs, où des dizaines d'autres membres de l'équipe d'Akul poussaient des cris de joie et des huées.
Vraska se contenta d'un léger signe de tête en direction de Kellan. Une reconnaissance ou un au revoir, Kellan n'en était pas sûr.
Oko jeta un regard de dédain à l'homme qui le poussait vers l'avant. Arrivé en haut des escaliers, Oko ajusta l'armure Enferéperon qu'il avait portée pour se déguiser. Kellan était surpris que les os et le tissu cintré n'aient pas été une illusion, mais malgré les attaches antimagiques à ses poignets, l'armure pendait de la carrure de son père, tordue et salie par les heures passées dans une cellule de détention.
Annie croisa le regard de Kellan et s'élança vers l'avant, se heurtant aux gardes. « À la seconde où tu en as l'occasion, envole-toi d'ici, réussit-elle à dire avant qu'ils ne l'éloignent d'un coup sec. Tu dois te sauver pendant que tu le peux encore ! »
Kellan tenta de répondre, mais l'Enferéperon à sa gauche le poussa dans l'arène. Il trébucha, dérapant contre les rochers. Se remettant debout, il serra les poings et fit face au centre de l'arène.
Des filets de lave s'écoulaient entre les fissures de la terre, envoyant des volutes de vapeur dans l'air. Le sol tremblait, grondant comme le ventre d'un volcan, et une silhouette sortit du sombre tunnel. Le clair de lune baignait Akul, faisait scintiller ses écailles. Il s'avança dans l'arène, ses yeux dorés lançant des éclairs, et décrivit de lents cercles prédateurs autour de Kellan.
Kellan ravala le nœud dans sa gorge. « Quelles sont les règles ? Le gagnant est celui qui fait couler le premier sang, n'est-ce pas ? » demanda-t-il avec espoir.
Un concert de ricanements jaillit de la foule. Kellan essaya de ne pas avoir l'air malade.
Akul grogna entre ses dents. « C'est Damnation, mon garçon, et nous aimons être divertis. » Il tourna la tête vers les tribunes et rugit : « C'est un combat à mort ! »
Les Enferéperons répondirent à sa rage par un enthousiasme débridé, et Kellan recula à ce bruit, sentant son estomac tomber comme une lourde pierre. Il chercha à nouveau Oko dans les tribunes et le trouva en train de brosser la charpie de sa manche. L'un des os se détacha du plastron, et Oko tourna ses yeux au sol, distrait.
La déception qui traversa Kellan était viscérale.
Le feu se mit à étinceler autour de la cour, bloquant toutes les issues. Akul agitait sa queue d'un côté à l'autre, le tonnerre crépitant sur sa poitrine où brillait le médaillon.
L'augmentation de la température fit rougir les joues de Kellan. Il ne se souciait pas de la clé, ni de l'argent, ni du pouvoir. Il ne se souciait que de son père. Et pourtant...
Les pensées de Kellan lui donnaient le vertige. C'est peut-être la dernière fois que nous nous voyons, et il ne me regarde même pas.
L'une des Enferéperons se tenait sur une plate-forme en bois et criait à la foule de se calmer. « À mon signal ! » hurla-t-elle dans l'arène.
Akul faisait les cent pas. Kellan essayait de faire le vide dans sa tête, de laisser la magie bruire au bout de ses doigts. L'attention d'Oko n'allait pas le sauver, même s'il la désirait ardemment. Si Kellan voulait s'en sortir vivant, il devait le faire seul.
Prenant une lente inspiration, il s'arma de courage et se prépara à se battre.
L'Enferéperon pointa un pistolet tonnerre vers le ciel et appuya sur la gâchette. De l'énergie bleue jaillit dans l'air, éparpillant des étincelles au-dessus de la foule. Les acclamations se succédèrent comme un tsunami.
Kellan recula et Akul chargea. Ses mâchoires s'élancèrent vers lui et Kellan s'écarta, évitant les crocs du dragon. Il atterrit sur le sol et se prépara à une nouvelle attaque, manquant de peu l'ardillon scintillant au bout de sa queue, qui passa tout près de lui. La queue heurta la terre, creusant un profond sillon dans la roche noire.
Kellan aspira l'air entre ses dents, essayant d'ignorer le rire menaçant qui résonnait à ses oreilles. Il esquiva un autre coup du dragon, puis un autre, bondissant en vol partiel pour éviter un coup de tonnerre.
Kellan savait qu'il ne pourrait pas maîtriser le dragon. Il ne faisait pas le poids – ni la taille, ni la force. Mais peut-être que s'il parvenait à l'épuiser, à le fatiguer...
C'était une petite chance. Minuscule, même. Mais quelles étaient ses autres options ?
Malgré ce qu'Annie lui avait conseillé de faire, s'envoler n'était pas une option. Même s'il parvenait à sortir du canyon sans être abattu par les Enferéperons, cela signifierait abandonner les autres. Oko, Vraska, Annie... On les ferait souffrir, et quand Akul et sa bande auraient fini de s'amuser avec eux, on les jetterait au feu. Personne ne viendrait les chercher, tout comme personne ne venait chercher Kellan. Le seul moyen de s'en sortir vivant était de gagner.
Puisant dans sa magie, Kellan redressa ses épaules et invoqua un lasso d'or. Il le brandit en direction d'Akul, mais le dragon lança sa queue, déchirant la magie. Kellan fléchit les mains et tenta de rassembler toutes ses forces. Une bouffée de chaleur le traversa, de son cœur jusqu'à l'extrémité de ses doigts. L'énergie jaillit de son poing et se transforma en une lance dorée. Il la lança vers Akul avec ardeur. Elle se dirigea droit vers le cœur du dragon, laissant des traînées de poussière dorée dans l'air. Au moment de l'impact, la lance rebondit et s'écrasa sur le sol. Les écailles d'Akul étaient trop épaisses pour être percées.
Akul ricana, montrant deux rangées de crocs aiguisés. Il étira ses mâchoires pour révéler un orbe de tonnerre crépitant qui se construisait à l'intérieur de lui. Kellan resta bouche bée, horrifié. Le tonnerre était un pur chaos, une magie qui détruisait tout ce qu'elle touchait – et Akul l'avait avalée.
Kellan regarda d'un côté à l'autre, cherchant un endroit sûr pour se mettre à l'abri. La lave coulait autour de lui, s'infiltrant par les brèches creusées dans le sol, là où la queue d'Akul avait causé le plus de dégâts. Des poches de vapeur jaillissaient de la terre, faisant perler la sueur sur le front de Kellan.
Il n'y avait nulle part où fuir.
Ce n'est pas comme ça que ça se terminera, pensa-t-il frénétiquement, son esprit s'emballant. Tu n'as pas traqué ton père à travers le multivers pour mourir avant d'avoir pu le connaître !
Le cœur de Kellan battait la chamade, et le désespoir qu'il portait depuis des mois remontait à la surface. Il voulait encore croire que son père n'était pas qu'un simple illusionniste. Qu'avec suffisamment de temps, Kellan pourrait rencontrer l'homme que sa mère a aimé, et non celui qu'elle avait quitté. Mais si Kellan mourait des mains d'Akul, il n'en aurait jamais l'occasion. Il ne le saurait jamais vraiment.
Et il y avait tant d'autres choses qu'il voulait savoir. Sur son héritage de fae, et sur ce que cela signifiait d'être mi-fae, mi-humain. Il voulait embrasser la partie de lui-même qu'on ne lui avait jamais appris à comprendre. Il voulait être le vrai fils d'Oko. Kellan avait besoin de passer plus de temps avec son père, et il n'allait pas laisser Akul le lui enlever.
Quelque chose prit vie dans la poitrine de Kellan, et ses yeux s'illuminèrent d'une magie indomptée. L'énergie le traversa, se répandant dans ses veines. C'était à la fois étranger et familier, une magie qui avait le goût du chardon et du pin, des profondeurs des bois – un pouvoir inexploité qui dormait en lui depuis sa naissance, attendant d'être libéré, accepté.
Kellan croisa le regard d'Akul, le fixant comme s'il voulait transformer sa fureur en quelque chose de malléable. Quelque chose qu'il pourrait plier à sa propre volonté.
Le dragon se déconcentra, le tonnerre jaillissant de ses dents dans un soupir inoffensif. Il hésita, clignant des yeux de confusion, bercé par un calme illusoire.
Il fallut un moment à Kellan pour réaliser ce qui s'était passé, mais lorsqu'il le fit, son visage se rembrunit sous l'effet de la surprise. Il retourna ses mains, étudia ses paumes et cligna des yeux.
Comment ai-je pu faire ça ?
Les hurlements de colère provenant des gradins attirèrent son attention, le forçant à revenir à la réalité. Akul se balançait toujours devant lui, en transe. Vulnérable.
Kellan lança une liane dorée dans un large arc de cercle, l'enroulant autour du cou d'Akul. Il tira aussi fort qu'il le put, enfonçant ses talons dans la terre. C'était sa chance d'abattre le dragon, et il n'allait pas la gâcher.
Akul ne réagit pas, pas même lorsque l'air lui fut arraché. La brume laiteuse dans les yeux du dragon tourbillonnait, et il commença à faiblir, ses genoux tombant mollement.
Encore quelques secondes, supplia l'esprit de Kellan, luttant contre la culpabilité qui l'envahissait à l'idée d'ôter une vie à quelqu'un d'autre.
Il fallait le faire. Il n'y avait pas d'autre solution.
Mais lorsque les intentions de Kellan vacillèrent, sa magie fit de même. Akul sortit brusquement de sa transe. De la vapeur sortit de ses narines lorsqu'il réalisa ce que Kellan essayait de faire, et il trancha violemment la liane magique qui lui enserrait la gorge. La tension rompue, Kellan tomba à la renverse, son dos se brisant contre la pierre dure. Il glapit lorsqu'Akul s'élança de toutes ses forces vers lui, enfonçant ses griffes dans la terre qui se déformait.
Kellan était coincé sous lui, incapable de bouger.
« Assez ! » grogna Akul, la salive volant entre ses dents. Il leva le poing, les serres arquées et prêtes à tuer. « C'est fini maintenant. »
Un coup de tonnerre frappa Akul dans le cou, le faisant reculer d'un bond. Kellan s'envola, de la poussière dorée s'échappant de ses pieds, et trouva un coin de l'autre côté de l'arène. Il s'accroupit, le cœur battant la chamade, et chercha la source de l'attaque sur la crête.
Au sommet de la colline, des rangées de mercenaires s'alignaient les unes après les autres. Leurs armures argentées reflétaient le crépitement du tonnerre le long de leurs armes, et au centre se trouvait Ral Zarek, les yeux brillants tandis que des éclairs se formaient dans ses paumes. La société Argenfin avait trouvé Damnation et avait amené une armée.
Le front de Kellan se plissa tandis que ses yeux parcouraient l'espace pour essayer de comprendre ce qui se passait. Akul n'attendit pas d'explication, il lança une charge vers la première rangée de mercenaires, faisant voler en éclats un bâtiment voisin. La société Argenfin ouvrit le feu, et les Enferéperons déferlèrent des collines avec leurs fusils et leurs armes blanches. Le tonnerre et le feu déchiraient le monde autour d'eux.
Kellan chercha son père dans le chaos. Il s'attendait à le trouver encore ligoté avec des liens de fer et retenu par les Enferéperons – au lieu de cela, Oko semblait étrangement calme, regardant le dernier os de son gilet tomber au sol. Oko donna un coup de tête à l'Enferéperon derrière lui au moment où Titos apparurent, assemblé à partir des os tombés de l'armure d'Oko. La petite créature enfonça sa main dans sa cage thoracique et en sortit une clef, libérant le reste de l'équipe.
Seuls quelques Enferéperons étaient restés en arrière. Vraska leur fit face, ses vrilles se balançant dans l'air, et les regarda l'un après l'autre jusqu'à ce qu'ils soient tous pétrifiés. Titos fut secoué de rires erratiques avant de grimper sur l'épaule d'Oko. Oko frotta les bleus sur ses poignets à l'endroit où se trouvaient les menottes et répondit au choc visible de Kellan par un clin d'œil. Il s'approcha des flammes sans perdre une seconde. « Tu t'es bien débrouillé, petit. Maintenant, lance-moi le médaillon. »
Kellan regarda entre Oko et Titos. Il ne comprenait pas. S'il était là depuis le début... Si Oko avait prévu une évasion...
La déception transforma ses pensées en un tourbillon. Kellan oublia de respirer.
Oko tendit la main, l'expression se durcit. « La clef. Vite ! »
Kellan fronça les sourcils. « Je ne l'ai pas. » Il se retourna vers le dragon, qui était trop occupé à se frayer un chemin dans la foule des gardes de l'Argenfin pour remarquer quoi que ce soit d'autre.
Le médaillon gisait sur le sol rocailleux, scintillant de la lumière des braises voisines. D'une manière ou d'une autre, il avait été arraché du cou d'Akul.
Des coups de tonnerre résonnèrent tout autour, faisant se pincer le cœur de Kellan d'inquiétude. Il avait un million de questions à poser, mais elles devraient attendre. Il bondit en avant, arracha la clef du sol et la lança à travers les flammes vers la main d'Oko qui attendait.
Oko l'attrapa en plein vol, ses doigts s'agrippant fermement au métal. Une brève expression de faim se dessina sur son visage. Kellan le vit enfin : le besoin de gagner d'Oko. Le monde était plein de jeux, et Oko savait comment les truquer.
Il rangea le médaillon dans sa poche et se tourna vers les autres. « Annie, peux-tu nous guider à travers la ville ? Nous devons atteindre l'entrée de la chambre forte. Malcolm nous attend.
– Malcolm ? Je croyais que tu avais dit... » commença Kellan, mais une explosion lui coupa la parole. Il se baissa, se couvrant la tête alors qu'une pluie de braises s'abattait sur la cour.
Les yeux d'Annie s'illuminèrent d'une lueur orange alors qu'elle regardait vers le canyon. « Par ici, » dit-elle rapidement, et elle prit la rue la plus proche, suivie de près par Vraska.
« C'est notre signal, petit, » dit Oko en faisant signe à Kellan de le suivre.
Kellan sauta dans les airs, la poussière dorée virevoltant derrière lui alors qu'il se frayait un chemin au-dessus du feu – mais l'explosion suivante était encore plus proche que la précédente. Le rocher jaillit du sol, et l'impact le propulsa dans l'arène. Il roula maladroitement sur des traînées de lave, hurlant de douleur lorsque la peau de ses bras fut brûlée. Une main calée contre sa poitrine, il lutta pour se mettre debout. Il ne fit que deux pas avant qu'un garde de l'Argenfin ne lui assène un coup de massue derrière la tête. Kellan s'effondra sur le sol, le corps tremblant. Le monde s'assombrit. Sa vision fut réduite en un tunnel. De l'autre côté du feu, il vit son père qui l'observait avec une étrange résignation dans les yeux.
Kellan s'attendait à ce qu'il fasse quelque chose, qu'il l'aide, mais au lieu de cela, Oko se tourna vers la route et laissa son fils derrière lui.
Un deuxième coup atterrit à l'arrière de la tête de Kellan, et toute la lumière disparut.
Annie était accroupie derrière une caisse en métal au fond du saloon, ébranlée par la vue des Titos qui fouillaient le sol à la recherche de pièces perdues. Oko lui avait menti. Il avait un plan depuis le début et l'avait caché à l'équipe. Maintenant, c'était Kellan qui en payait le prix.
Vraska vérifia la fenêtre la plus proche pour s'assurer qu'ils n'avaient pas été suivis. Oko passait rapidement d'une pièce à l'autre, à la recherche d'armes. Il revint avec plusieurs couteaux qu'il répartit entre les membres de l'équipe.
Annie regarda la lame d'un air renfrogné.
« C'est juste le temps d'atteindre la chambre forte, assura Oko. Braies s'est occupé de ton fusil à tonnerre. »
Annie rangea le couteau dans sa ceinture. « Nous devons retourner chercher Kellan.
– Impossible, dit Vraska qui faisait les cent pas près de l'encadrement de la porte. Nous ne tiendrions pas deux secondes si nous essayions de retourner dans la cour. La plupart des routes sont déjà barricadées.
– Alors envoyez le squelette s'il le faut, aboya Annie. Il n'a pas eu de mal à se faufiler la première fois. »
Titos croqua dans l'une des pièces, vérifiant que c'était l'or. Lorsqu'elle ne plia pas, il poussa un cri d'irritation et la jeta par-dessus son épaule.
« La société Argenfin pille la majeure partie de Damnation, et les Enferéperons sont distraits en essayant de protéger leur territoire, dit Oko, dédaigneux. C'est notre chance d'atteindre la chambre forte sans nous faire remarquer. »
Les joues d'Annie s'assombrirent, et elle attrapa le bras d'Oko pour le rapprocher. « Pourquoi ai-je l'impression que tu savais qu'il y aurait une embuscade ? »
Oko retira ses doigts, effleurant la manche de sa chemise. « Bien sûr que je le savais. Je n'allais pas nous laisser affronter un dragon sans stratégie de sortie. J'ai veillé à ce que Bertram Eaugrise reçoive les coordonnées de Damnation et je nous ai laissé suffisamment de temps pour nous rapprocher d'Akul avant l'arrivée de la société Argenfin. La distraction nous a donné l'occasion parfaite de voler le médaillon. »
Annie fit de son mieux pour garder une voix égale, mais la chaleur montait en elle plus vite qu'elle ne pouvait la contrôler. « Tu es en train de me dire que te faire capturer faisait partie de ton plan depuis le début ?
– Nous avons réussi notre coup à merveille. » Oko sourit, triomphant. Ils ne se sont jamais doutés de rien.
– Nous non plus, » fit remarquer Vraska d'un ton glacial. Elle lança un regard à Oko, ses yeux jaunes s'illuminant en signe d'avertissement. « Je n'apprécie pas d'être tenue dans l'ignorance.
– Je ne pouvais pas prendre le risque que l'un d'entre vous ait l'air trop sûr de pouvoir s'échapper, dit Oko en haussant les épaules. Nous avions besoin qu'Akul baisse sa garde, et c'est ce qu'il a fait. » Il souleva le médaillon de sa veste, inclinant le métal jusqu'à ce qu'il capte la lumière du feu. « Maintenant, nous avons tout ce qu'il nous faut.
– Et Kellan ? demanda Annie. « Est-ce que l'amener à combattre le chef des Enferéperons faisait aussi partie de ton plan ?
– Non, admit Oko. J'ai amené Kellan avec nous parce que je savais qu'il nous ferait attraper. Le reste, c'est lui qui l'a fait. »
Une tempête se déchaîne derrière les yeux d'Annie. « Tu es effronté, imprudent, et tu nous as tous mis en danger – et maintenant la société Argenfin va probablement exécuter Kellan pour son rôle dans l'aide qu'il t'a apportée. » Comme Oko ne disait rien, elle croisa les bras. « Tu pourrais au moins avoir la décence d'avoir l'air désolé d'avoir abandonné ton fils. »
Oko tressaillit, avant de se passer une main dans les cheveux. « Malcolm attend près de l'entrée de la chambre forte. Nous n'avons pas le temps de nous laisser distraire. Soit nous partons maintenant, soit nous perdons notre chance. »
Annie ne recula pas. « Je ne laisserai pas le gamin mourir. »
Vraska passa un ongle long au-dessus de son front, où deux profondes cicatrices s'entrecroisaient, et observa la fusillade par la fenêtre. « Il ira bien dans un jour ou deux. Tu l'as vu tenir tête à Akul, il est plus coriace qu'il n'y paraît.
– Et si Akul gagne ce combat ? Alors ? » Annie fait rouler sa langue contre ses dents et choisit ses mots avec soin. « J'ai vu de quoi il était capable. Il fera souffrir Kellan, bien plus que tu ne peux l'imaginer. »
La voix d'Oko s'adoucit. « Si tu retournes à Kellan, tu laisses Akul gagner. »
Ses narines s'agitèrent. Elle n'en pouvait plus de le laisser manipuler toutes les situations en sa faveur. « Je ne suis pas d'accord avec ça. » Elle fixa Oko. « Si ça avait été l'inverse, il ne t'aurait jamais abandonné. »
Oko se frotta le front et soupira. « Écoute, dès que nous aurons terminé le travail, j'irai moi-même chercher Kellan. »
Annie hésita, peu convaincue. « Le travail sera fait. Tu n'auras pas d'équipe. »
Oko fait un geste de la main comme si les détails n'avaient aucune importance. »Tu t'es plus ou moins portée volontaire pour te joindre à moi. Et Titos viendra si je lui verse un supplément. N'est-ce pas ? »
Titos était perché sur un tonneau. Il était occupé à verser du sable de son chapeau, en faisant claquer sa voix dans son idiome. Lorsqu'il devint évident qu'Annie ne le comprenait pas, il fit un geste enthousiaste de la main avant de s'ébrouer avec jubilation.
Annie n'était pas sûre de croire l'un ou l'autre, mais elle savait aussi qu'Oko avait raison au sujet d'Akul. S'ils n'atteignaient pas la chambre forte maintenant, les Enferéperons gagneraient. Ils trouveraient un moyen d'échapper à la société Argenfin, puis ils viendraient chercher le médaillon et le pouvoir qui se trouve dans le coffre.
Pour sa ville et pour Croisetonnerre, Annie n'avait pas le choix. Il n'y avait pas de temps pour une mission de sauvetage ce soir.
Où que soit Kellan, elle espérait qu'il comprendrait.
Kellan se réveilla à l'arrière d'un carrosse, les mains liées par du fer. Il essuya le sang sur sa lèvre, grimaçant à cause de l'ecchymose sur sa joue, et regarda par les fenêtres grillagées. Il y avait d'autres chariots de prisonniers alignés à côté du sien, et une petite patrouille de gardes de l'Argenfin qui semblaient plus préoccupés par la route que par Kellan – mais il n'y avait pas d'autres prisonniers. Chacun d'entre eux était encore à Damnation, en train de se battre.
Il n'y avait que Kellan, blessé et seul.
La vérité était plus douloureuse que n'importe quelle blessure : Oko l'avait abandonné.
Kellan, la tête appuyée contre la paroi du carrosse, regardait les rayons de lune qui passaient à travers les barreaux métalliques. Il était en cage, prisonnier de Bertram Eaugrise. Il allait devoir répondre des crimes qu'il avait aidé son père à commettre.
Il ferma les yeux, luttant contre la douleur qui avait un goût de bile dans sa gorge. Il avait été naïf. Oko n'était pas un père, c'était un étranger. Leur lien n'était rien d'autre qu'un fantasme d'enfant auquel Kellan s'était accroché trop longtemps. Les gens l'avaient mis en garde contre la vraie nature d'Oko. Ils lui avaient dit qu'on ne pouvait pas lui faire confiance. Il l'avait même vu de ses propres yeux.
Il pressa ses mains contre son visage, souhaitant retrouver sa voix pour pouvoir crier.
Le ciel se mit à clignoter et à vibrer sous l'assaut des nuages d'orage. Les chevaux environnants se cabrèrent, faisant trembler la calèche. Kellan trébucha en avant, s'appuyant sur le sol, lorsqu'un nouvel éclair éclata à l'extérieur de la fenêtre. Plusieurs bruits sourds retentirent lourdement dans le sable, suivis d'un tintement de métal et de bottes éperonnées. Une clef s'enclencha et la porte cochère s'ouvrit.
Ral Zarek se tenait dans l'encadrement, vêtu d'un long poncho qui flottait derrière lui.
Kellan se leva et regarda par la fenêtre. La patrouille de mercenaires de l'Argenfin était étalée sur le sol, inconsciente.
Le front noué, Kellan touche l'ecchymose à l'arrière de son crâne. Les gardes ont dû me frapper plus fort que je ne le pensais. L'homme qu'il avait trahi il y a quelques jours ne pouvait pas le faire sortir de prison. La seule autre explication était une commotion cérébrale.
Ral l'observa attentivement. « Je pense que toi et moi sommes du même côté et je vais te donner une chance de me prouver que j'ai raison. De plus, Kaya ne me pardonnera jamais si je laisse quelque chose t'arriver. » Il se pencha en avant et déverrouilla les menottes des poignets de Kellan, les laissant s'entrechoquer sur le sol en bois.
« Attendez, vous me laissez partir ?
– J'ai besoin d'une faveur. »
La bouche de Kellan se serra. Il savait ce que Ral voulait. C'est ce que tout le monde voulait. « Laisse-moi deviner. Vous en avez aussi après la chambre forte ? »
Ral haussa un sourcil. « C'est évident, hein ? »
Kellan sortit de la calèche, vérifiant une fois de plus que les gardes n'avaient pas bougé. Ce ne serait pas la première fois qu'il aurait été trop crédule pour voir la vérité. Mais pour autant qu'il puisse en juger, il ne s'agissait pas d'une nouvelle embuscade. Kellan détourna le regard, les yeux brûlants de regret. « Je vous dois des excuses pour ce que j'ai fait au quartier général. Je cherchais mon père depuis si longtemps, et quand je l'ai enfin trouvé... » Ses mots s'envolèrent comme de l'eau qui coule entre ses doigts.
« Je comprends. C'est compliqué, les histoires de famille. Et les pères sont, eh bien... » Le sourire de Ral était teinté de tristesse. « Ils vous font ou vous brisent, je suppose. » Il maintint le regard de Kellan. « Tu as toujours le choix d'être meilleur que la main qu'ils ont essayé de te tendre.
– En dévalisant la chambre forte ? le défia Kellan, méfiant.
– Oko a un lourd passif de menteur, de manipulateur et de meurtrier. Tu veux vraiment que quelqu'un comme lui ait accès au pouvoir de la chambre forte ?
– Personne ne devrait avoir ce genre de pouvoir, rétorqua Kellan. Mais c'est un meilleur choix qu'Akul ou Bertram Eaugrise.
– Je suis d'accord avec toi, dit simplement Ral. C'est pourquoi je veux m'assurer que ce qui se trouve dans cette chambre forte y reste enfermé pour de bon. »
La bouche de Kellan s'ouvrit sous l'effet de la surprise. Avait-il bien entendu Ral ?
« Je suis venu ici pour découvrir de nouveaux moyens de communication entre les plans. Pas pour libérer un tas de magie incontrôlée d'une antique chambre forte que personne ici ne comprend. » Ral haussa les épaules. « Je pense que toi et moi pouvons aider à retenir ceux qui veulent nuire à ce plan. »
Kellan ne répondit pas, il était encore en train d'assimiler ce que Ral disait.
« Je sais que tu ne veux pas te battre contre ton père, dit Ral. Tu ne veux peut-être même pas le croiser à nouveau. Mais j'ai vu ce que peut faire le pouvoir entre de mauvaises mains. Et avec les Percées de présage, le risque est trop grand. Car ce n'est pas un seul plan qui pourrait être détruit, mais des dizaines. »
Trop de gens savaient enchaîner les mensonges et les faire passer pour la vérité, et Kellan savait rarement faire la différence. Mais s'il existait un moyen de sceller le pouvoir de la chambre forte pour de bon... Il croisa le regard de Ral. « Quel est votre plan ?
– On récupère la clef, on trouve le trésor dans la chambre forte et on l'enferme sur un autre plan où personne ne pourra le trouver, » expliqua Ral. Il marqua une pause, observant le changement d'expression de Kellan, et tendit la main. « Qu'en dis-tu ? Es-tu avec moi ? »
Si Kellan s'alliait à Ral, il irait à l'encontre d'Oko. Il irait à l'encontre de tout l'équipage.
Mais Kellan ne leur devait rien. Il ne leur devait plus rien.
Kellan mit sa main dans celle de Ral. « Je suis avec vous, » dit-il, impassible.
Résumé
À minuit, le duel de Kellan contre Akul s'engage, et il paraît clair que le garçon n'a aucune chance : le dragon maîtrise le tonnerre, peut l'absorber ; en plus, Oko, mis dans le public avec les autres prisonniers, se désintéresse manifestement de son fils. Mais, dans sa rage, Kellan découvre une nouvelle puissance magique en lui : il parvient à méduser Akul au point qu'il cesse toute attaque, et ne résiste pas quand le demi-fae l'étrangle d'une vigne.
Cependant, sa volonté fléchit lorsqu'il se rend compte qu'il va tuer quelqu'un, et fléchit sa magie. Akul reprend le dessus, quand un éclair le projette au loin : Ral et la société Argenfin sont sur les lieux. En même temps, l'armure d'os d'Oko s'est avérée être Titos désassemblé, et ils profitent du chaos pour se libérer. L'équipe d'Oko contre les Enferéperons contre l'Argenfin : dans la mêlée, Kellan est assommé et fait prisonnier par l'entreprise qu'il a trahie.
Oko avait tout prévu : il avait pris Kellan parce qu'il savait que grâce à lui, ils allaient être faits prisonniers ; il avait envoyé à l'Argenfin la localisation de Damnation, pour s'assurer qu'ils arriveraient à temps pour susciter le désordre ; il n'avait prévenu personne, afin qu'Akul baisse la garde – et en effet, il a perdu le médaillon qui sert de clef à la chambre forte !
Le fae est manifestement indifférent au sort de son fils : c'est la mission qui importe le plus. Même Annie, qui voudrait le sauver, finit par se résigner, car c'est le seul moyen d'empêcher Akul d'obtenir la toute-puissance qu'offrirait Maag Taranau.
Pendant ce temps, Kellan se réveille dans une calèche, seul prisonnier à bord. Assez de temps pour remâcher son amertume envers son père, qui n'est rien qu'un étranger qui s'est servi de lui. Mais au-dehors, des bruits sourds de corps qui tombent : Ral Zarek a assommé les gardes, et le libère. Le Planeswalker n'en veut pas au jeune homme, mais il a un service à lui demander : il leur faut coopérer pour obtenir les secrets de Maag Taranau... pour les cacher à tout le monde. Un tel pouvoir n'est bon dans les mains de personne.