Annie Flash ne combat pas ses fantômes, elle les fuit. Cette fuite l'a menée jusqu'à une ville au bord de la frontière, dont les dunes sont emplies de dangers. Vous trouverez l'article original ici.
Les Hors-la-loi de Croisetonnerre : Un sang plus épais que du venin
Il fait nuit, la chambre surplombant Brousselle est éclairée à la bougie et à la lueur de la lune, lorsqu'Annie Flash quitte le lit d'un inconnu. Tout dans ce moment est suspendu dans l'entre-deux, là où on ne peut plus feindre le naturel. Il semble approprié qu'un tel moment soit rempli d'ombres. Alors qu'elle se rhabille, quelqu'un d'autre s'assoit dans le lit.
« Tu n'as pas à t'enfuir d'ici. »
Tu n'as pas à n'est pas la même chose que tu ne devrais pas. Et même si Annie suppose qu'elle n'a pas à partir, elle devrait le faire, et c'est ce qu'elle fait.
« Désolée, Jordan. J'ai mon propre lit pour rester au chaud. » La frange de ses bottes, perlée d'os et de turquoise, cliquette lorsqu'elle les enfile.
L'ombre penche la tête. « Jody. Je m'appelle Jody. »
– Oh, c'est vrai. Désolée. »
Annie n'est pas désolée, pas plus qu'elle n'a oublié le nom de Jody ni aucun détail de la triste histoire qu'il lui a racontée. Jody Charpentier, qui avait laissé son ancienne vie derrière lui un an plus tôt quand la seule femme qu'il ait jamais aimée est morte lentement et douloureusement dans leur lit.
Annie se lève, jetant sa tresse sur son épaule.
« Ça va. » L'ombre se rapproche. « Je dis juste que ton lit pourrait probablement survivre sans toi pour une nuit. »
Ni Jody ni son ombre ne voient Annie grimacer, trop douée pour garder son sang-froid et ne pas lever la main. Mais la formulation de son invitation fait se nouer son estomac. Elle doit rentrer chez elle, et vite.
« J'espère que tu ne t'es pas fait de fausses idées, » se plaint Annie. Elle tend la main vers la table de chevet pour attraper son blaster – une petite chose insignifiante comparée à ce qu'elle avait l'habitude de porter, mais une arme tout de même. « Je ne cherche rien d'autre que ce que j'ai. »
Rangeant le blaster dans son étui à la cuisse, elle jette un coup d'œil au visage de Jody. Il est beau, avec ses boucles argentées et ses yeux vert foncé, ses lèvres charnues et sa barbe, mais il n'y a jamais eu d'homme assez beau pour retenir son attention. Parmi tous les mensonges qu'Annie pourrait raconter, c'était là une vérité.
Jody hausse un sourcil et se penche en arrière, s'appuyant sur ses oreillers et repliant ses mains sur son ventre nu. « Moi non plus. »
Elle lui fait un clin d'œil à cette rebuffade inattendue. « Oh ?
– J'ai eu mon grand amour. Je ne fais que passer le temps. » Il hausse les épaules. « Ça ne veut pas dire que tu ne peux pas dormir avec ta tête sur ma poitrine. Nous sommes quand même des personnes. » Jody a l'audace de faire un clin d'œil quand il ajoute : « Même si je ne veux pas être ton petit ami. »
– Hmm." Elle réfléchit à l'offre. Elle sait qu'elle ne peut pas rester, et ce pour plusieurs raisons. Comme le fait qu'on a besoin d'elle ailleurs. Ou le fait qu'il faudrait qu'elle perde la tête pour s'endormir vulnérable face à un étranger.
Mais tout de même. Ce n'est pas la pire chose au monde que d'imaginer comment les choses pourraient être différentes si elle pouvait dire oui. Si sa vie était le genre de vie qui lui permettait de passer la nuit avec de beaux veufs aux mains chaudes et rugueuses.
Ah, merde. Inutile de fantasmer. Les choses sont comme elles sont.
« A bientôt, Joey. » Elle lui fait un petit clin d'œil avant de partir. Derrière elle, elle jure que l'ombre glousse.
En descendant les escaliers et en sortant dans le ventre de la place principale de Brousselle, le clair de lune est plus brillant que dans la chambre poussiéreuse de Jody. La lueur jette un brouillard sur la ville endormie, vidée de ses habitants à l'exception d'Annie elle-même. Pendant un moment, elle fait semblant d'être la seule au monde, juste elle et l'obscurité, la lune et les ombres qu'ils font tous les trois.
Le moment passe. Annie perçoit un mouvement au loin, une ombre rampante qui se faufile dans la périphérie de son regard. Elle penche la tête en direction des dunes qui s'étendent autour de la ville, et ses yeux vairons se rétrécissent pour mieux distinguer la forme.
Mais il n'y a rien. Ce qu'Annie a cru voir a disparu ou n'a jamais existé. Les dunes sont aussi calmes et vides que le reste de cet endroit.
Le malaise la fait grincer des dents. Elle envisage d'utiliser son don, la vue de son œil droit doré, pour fouiller les dunes de plus près.
Frustrée d'y avoir songé, elle se détourne et part en trombe en direction de sa maison. Il n'y a rien dehors. Sa paranoïa ne fait qu'empirer, elle pense toujours qu'un croque-mitaine est tapi au coin de la rue.
Bien sûr, pour sa défense, c'est souvent le cas. Du moins, c'est ce qui s'est passé jusqu'à présent. Et même si Brousselle a l'air abandonné, on ne sait pas qui se cache derrière les fenêtres et les portes obscures. Elle doit rentrer chez elle.
Jody est peut-être une personne, mais Annie est une arme. Elle ne peut pas juste se reposer.
La maison est à une distance de marche suffisamment longue pour que les cuisses d'Annie soient brûlantes lorsqu'elle l'aperçoit. Sa jambe gauche, toujours en mouvement, a un mouvement particulièrement prononcé lorsqu'elle se dirige vers la porte d'entrée. La ferme des badlands n'est pas sa maison depuis longtemps, mais c'est déjà quelque chose. Peut-être qu'un jour elle appellera cet endroit sa maison et qu'elle le pensera vraiment.
« Hé, toi, » lance-t-elle en s'approchant de la grange.
Toute sa vie, Annie a côtoyé des animaux, appris à apprivoiser une créature puis une autre, mais aucune ne l'a jamais laissée perplexe comme Fortune. Elle ne sait pas trop d'où il vient ni ce qu'il est, mais elle sait qu'il est à elle et qu'elle est à lui. Bâti comme un étalon de dix-huit ans, avec un pelage aussi rouge que l'argile et des cornes enroulées sur son crâne, Fortune a des yeux sombres comme des canyons jumeaux.
« Tu protèges le fort ? » demande-t-elle, ses ongles émoussés grattouillant le cou de la bête en guise de salut.
La question est rhétorique, et elle ne l'est pas. Annie ne s'attend pas à ce que Fortune s'occupe de la ferme en son absence. Et pourtant. Il piaffe, tape du pied et penche la tête pour la regarder plus attentivement dans les yeux.
« Ne commence pas. Je ne suis pas partie si longtemps. »
Il souffle, secoue la tête jusqu'à ce que sa main se détache.
« En plus, je peux prendre soin de moi. Ne fais pas de crise. Tu deviens plus paranoïaque que moi. »
Fortune penche lentement la tête en arrière, comme s'il était offensé. C'est de bonne guerre.
« D'accord, d'accord. Je suis désolée. » Annie soupire et jette un coup d'œil à la ferme. Même si elle ne prend pas la décision consciente de vérifier, ses yeux se dirigent directement vers une fenêtre en particulier. Elle n'est pas surprise de voir qu'une lumière jaune brille à l'intérieur. Malgré l'heure tardive, une ombre se déplace dans la pièce au-delà des rideaux. « Il est resté éveillé tout ce temps ? »
Fortune hoche la tête.
« D'accord. Je m'en occupe à partir de maintenant. Toi, dors un peu. » Elle lui donne un coup sur le côté. « Nous devons retourner en ville demain, il ne faudrait pas que tu t'effondres en chemin. Tu as déjà assez tendance à tomber quand tu es dans ton meilleur état. »
Encore une fois vexé, Fortune se retourne et s'éloigne d'elle en trottinant. Annie glousse et marmonne « Je t'aime aussi » avant de rentrer à l'intérieur.
Il règne dans la maison une sorte de trop grand silence qui fait dresser les cheveux sur la nuque d'Annie, même si elle sait que cela ne veut rien dire. La maison est toujours aussi calme. Ce n'est pas comme dans les badlands, où même à l'heure la plus tardive, il y a des bestioles qui se faufilent au-delà du champ de vision, qui trillent et qui crient les uns après les autres. Ce n'est pas non plus comme Brousselle après la tombée de la nuit, où il y a encore de la vie derrière chaque porte, même si elle ronfle.
Non, il n'y a plus beaucoup de vie dans la maison d'Annie. L'endroit ressemble à un tombeau quand l'heure avance. L'idée lui donne envie de pleurer, mais elle ne se laisse pas faire. Elle n'a pas le temps, de toute façon.
Au bout du couloir, ses doigts se resserrent autour de la poignée d'une porte, se préparant à ce qu'il y a à l'intérieur. Elle inspire profondément. Expire lentement entre ses dents.
Tommy est au lit quand elle entre dans sa chambre, réveillé et regardant par la fenêtre. Il ne prend pas la peine de la regarder quand elle entre. Ce n'est pas nouveau, pourtant. Son neveu a l'habitude de ne pas la regarder ces derniers temps. Annie ne peut pas lui en vouloir.
Visage émacié, peau brune deux tons plus pâle qu'elle ne devrait l'être, cheveux noirs devenus gras et fins sur les côtés, Tommy n'a plus rien à voir avec ce qu'il était lorsqu'il a emménagé avec elle au début. Quand Annie l'a impliqué pour la première fois dans sa vie et dans tous les problèmes qui en découlaient...
Aujourd'hui, une couche de sueur recouvre chaque centimètre de lui qu'elle peut voir. Pourtant, il frissonne assez fort pour faire claquer ses dents, les jointures blanches alors qu'il s'agrippe aux côtés de son lit. Elle se demande s'il essaie de se tenir tranquille ou de rester silencieux. Aucun des deux ne fonctionne. Alors qu'il tremble, un faible gémissement s'échappe de sa poitrine, un cliquetis derrière sa cage thoracique qui lui donne envie de crier et de s'arracher les cheveux.
« La douleur est forte ce soir ? » demande-t-elle en enlevant son chapeau et en le posant sur la chaise à côté de son lit. Le fauteuil dans lequel elle dort plus souvent que dans sa propre chambre. Tommy grimace, comme si le son de sa voix aggravait la douleur, et acquiesce.
Refusant de remarquer la façon dont il détourne son énergie d'elle, Annie se dirige vers l'armoire dans le coin. À l'intérieur, il y a une étagère de bandages, d'antiseptiques, de remèdes à base de plantes et – ce qu'elle cherche – une bouteille de fumée bleue tourbillonnante, l'analgésique le plus puissant de ce côté du Multivers.
Ils n'ont plus qu'un quart de la bouteille. Elle soupire et enroule sa main autour du goulot, la portant au chevet de Tommy. C'est pourquoi elle se rendra en ville dans la matinée. Un quart de bouteille devrait leur permettre de tenir une semaine ou deux, mais Annie ne prend jamais le risque de se retrouver si près du vide sans réserve. Elle était allée en ville ce matin-là pour la même raison, mais l'alchimiste n'avait plus rien à vendre – il avait dit que la nouvelle cargaison arriverait à l'aube. Alors, Annie y arriverait aussi.
« Tiens. » Elle tient la bouteille sous son nez et la débouche, regardant Tommy inspirer profondément, entraînant la fumée bleue dans ses poumons. Une fois qu'il a respiré à fond, elle remet le bouchon en place, en veillant à ce qu'il n'en reste pas.
Il frissonne, peut-être de soulagement, peut-être de dégoût face à sa proximité, et ses yeux se ferment.
Annie s'installe à son chevet. Elle y reste toute la nuit.
Lorsque le soleil se lève, plongeant le monde au-delà de sa fenêtre dans un brouillard bleu pâle, Annie abandonne la ruse du sommeil. La tête pleine et palpitante, elle jette un dernier coup d'œil à Tommy – qui s'est finalement endormi profondément après des crises de douleur intermittentes toute la nuit – avant de se diriger vers sa propre chambre dans le couloir.
Annie a encore moins dormi que son neveu, mais elle n'a pas le luxe de s'endormir à l'aube. Dès que l'idée lui traverse l'esprit, elle se maudit en silence. Quelle insensibilité, de considérer sa souffrance comme un luxe. Elle accuse le manque de sommeil.
L'air de sa chambre est chaud et vicié, et Annie ouvre la fenêtre pour laisser entrer le matin. Elle ne se souvient pas de la dernière fois où elle est restée ici plus longtemps que le temps de s'habiller. Malgré toute la nouveauté de la ferme, toutes les façons dont elle ne s'est pas encore habituée à se sentir chez elle, il n'y a pas d'endroit aussi dépouillé que la chambre d'Annie. Elle pourrait tout aussi bien appartenir à un fantôme. Elle jette un coup d'œil au lit parfaitement fait, qui n'a pas été dérangé pendant des jours, avant de se glisser dans son placard pour se changer.
Après s'être changée, Annie prend soin de défaire sa longue tresse, de peigner ses cheveux et de les recoiffer soigneusement. Dans chaque section, elle tisse un fil de cuir perlé, des touches de bleu et de blanc apparaissant dans ses cheveux sombres comme des fleurs sortant de terre. Elle se regarde dans son miroir, la tête penchée sur son propre reflet, étudiant les lignes usées par le soleil, gravées au coin de ses yeux vairons. Avec un soupir, Annie se détourne et sort.
Dès qu'elle ouvre la porte d'entrée, elle est prise de court. Elle aurait dégringolé les marches du porche si elle avait été moins observatrice. Sur le perron, un panier qui n'y était pas la veille, une caisse en osier sans prétention, comme si quelqu'un s'était rendu à un pique-nique et avait fait demi-tour sur le pas de sa porte. Annie jette un coup d'œil sur le terrain avant de la propriété, comme si elle pouvait les apercevoir, un étranger errant dans son jardin, à la recherche de son panier.
Bien sûr, il n'y a personne. Et quand Annie soulève le couvercle de la caisse pour en vérifier le contenu, elle trouve exactement le genre de choses qu'elle aurait pu s'attendre à trouver pour un pique-nique : une miche de pain encore chaude, un pot de miel, un autre de conserves de fruits, de la viande séchée. Si tout cela n'a pas été abandonné par un pique-niqueur égaré, c'est qu'il s'agit d'un cadeau. Peut-être que Jody est passé pour essayer de la courtiser avec des amuse-gueules. (De toutes les propositions mal ficelées qu'elle a reçues au cours de sa vie, cette idée n'est pas si mal).
Elle rentre le panier à l'intérieur, le laissant juste dans l'embrasure de la porte, et essaie de se convaincre qu'elle est bien dans sa peau. Mais elle n'arrive pas à se débarrasser de l'enchevêtrement de nœuds qu'est devenu son estomac. Ce n'est pas le fait que Jody soit venu et lui ait laissé quelque chose qui pose problème, c'est le fait qu'Annie soit restée debout toute la nuit et n'ait entendu personne s'approcher de la maison.
C'est de l'insouciance pure et simple. Et l'insouciance est une chose qu'Annie ne peut pas se permettre.
Plus jamais.
Une fois acquises deux bouteilles fraîches de fumée bleue, Annie se dirige vers la place principale de Brousselle, avec en ligne de mire l'écurie où elle a laissé Fortune. Il y a déjà plus d'une heure qu'elle s'est levée pour la journée, mais le reste du plan commence tout juste à se lever, les rideaux s'ouvrent, les chiens aboient et les enfants sont jetés dehors pour se bagarrer avant le petit déjeuner. Une épaisse couche de rosée s'accroche à tout, et les rayons du soleil s'accrochent eux-mêmes aux gouttelettes comme un millier de petits prismes qui projettent des ombres teintées d'arc-en-ciel. Un sourire, qui n'est destiné qu'à elle-même, se dessine au coin de la bouche d'Annie.
« Je ne savais même pas que vous pouviez faire ça, » chantonne une voix familière, la stoppant dans son élan.
Elle lève un sourcil épais et sombre et tourne la tête vers Jody. Il lui sourit, les bras croisés sur sa poitrine – qui n'est plus nue, mais cachée par une chemise noire à boutons.
« Faire quoi ?
– Sourire. »
Annie aimerait lui tordre le cou. « N'y lisez pas trop de choses. C'est une belle journée, c'est tout. Ce n'est pas toi qui m'as fait sourire, Joey. »
Sans se laisser décourager, le sourire de Jody ne fait que s'accentuer. « Tu étais plutôt heureuse hier soir. »
– La nuit dernière, c'était bien jusqu'à ce que tu commences à être collant. » Annie hausse les épaules. « Et puis, le panier de pique-nique ? C'est vrai ? Si tu penses que je suis le genre de femme qui retournerait dans ton lit pour une bonne miche de pain... »
La confusion qui se lit sur le visage de Jody fait reculer les mots d'Annie. Elle fronce les sourcils. Il pourrait feindre l'ignorance, mais à quoi cela servirait-il ? Une cour ne marchera pas si personne ne sait qui fait la cour.
« Tu n'as pas laissé de nourriture sur le pas de ma porte ce matin ?
– Annie, j'ai beaucoup apprécié ta compagnie. Mais j'apprécie encore plus mon sommeil. » Jody s'esclaffe, son expression a quelque chose de si affectueux qu'elle se méfie. « Et je ne fais absolument pas de pain. C'est probablement quelqu'un d'autre en ville. Tu as fait l'objet de beaucoup de ragots, tu sais. »
Le nez d'Annie se renfrogne. Certainement pas. »
Et elle n'aime pas ça du tout. Qu'est-ce qu'ils racontent ? Quelle histoire ont-ils raconté sur ses origines et sur ce qu'elle a fait ?
« Les gens d'ici s'inquiètent pour toi, là-bas, toute seule. Je suppose que quelqu'un a décidé qu'il fallait offrir un rameau d'olivier, pour ainsi dire. »
Oh.
Eh bien... ce n'est pas du tout ce à quoi elle s'attendait. Annie déglutit. Pour la deuxième fois de la matinée, son estomac s'enroule en un nid de branches emmêlées. Mais cette fois, ce n'est pas vraiment de la nervosité. C'est autre chose. Quelque chose qu'elle n'a pas ressenti depuis longtemps et qu'elle ne sait pas regarder en face.
Elle n'en a d'ailleurs pas l'occasion. Avant qu'Annie ne puisse répondre aux paroles de Jody, la place principale éclate en un chœur de cris.
La tête d'Annie bascule en arrière, ses yeux cherchant la direction du chaos, saisissant déjà son blaster et le tirant hors de son étui. Les habitants de la ville courent dans sa direction, les parents arrachant leurs bébés à la rue, les couples se poussant l'un l'autre pour accélérer la cadence.
Derrière eux, quelque chose de massif se rapproche.
La main de Jody touche le sternum d'Annie, ce qui lui coupe presque le souffle alors qu'il l'entraîne dans le magasin général. Une foule les accompagne, menaçant de forcer Annie à se mettre à l'écart. De sa main libre, elle saisit le poignet de Jody et l'écarte, espérant que cela lui fasse mal. Elle n'a besoin de personne pour la sauver, et sûrement pas de lui. Poussant les corps, Annie n'arrête pas de donner des coups de coude jusqu'à ce qu'elle atteigne les fenêtres de l'entrée, donnant sur la place principale maintenant abandonnée.
Presque abandonnée. Abandonnée par les gens, en tout cas.
Glissant sur son ventre plaqué d'or, la peau comme une armure épaisse, une énorme guivre-crotale se faufile dans les rues de Brousselle. Il ouvre et ferme la bouche, exhibant des dents géantes. La main d'Annie se resserre autour de son arme, ses muscles se tendent pour un combat qu'elle ne veut pas, mais devant lequel elle ne reculera pas.
Mais le combat n'a pas lieu. Le monstre, incapable de trouver de la nourriture à l'air libre, continue son chemin, se faufilant à travers la place et sortant de l'autre côté des bâtiments, retournant dans les dunes de sable d'où il est venu.
Les dunes de sable. Annie se souvient de l'ombre de la nuit précédente et sa gorge se serre. Si elle avait écouté son instinct hier soir, si elle avait pris la peine d'enquêter plus avant, cela ne serait pas arrivé aujourd'hui.
Mais ce n'est pas grave, n'est-ce pas ? Personne n'a l'air d'avoir été blessé.
Jody se faufile entre les gens pour l'atteindre, mais Annie est la première à se glisser à l'extérieur. Elle accélère, un tremblement presque imperceptible dans sa faible jambe gauche qui s'efforce de suivre le rythme imposé par sa jambe droite, impatiente d'arriver aux écuries. Lorsqu'elle y parvient, elle pousse un soupir de soulagement, son souffle se mêlant à l'odeur du fumier et du foin. Fortune l'observe depuis son box, l'air sombre, et s'ébroue pour la saluer.
« Je n'ai pas aimé ça, marmonne Annie en lui palpant doucement le museau. Tu as eu peur toi aussi ? »
Un autre grognement. Il enfonce sa tête dans sa main, et elle passe le bout de son doigt sur les crêtes d'une corne.
À bien des égards, Fortune est son seul compagnon. Il lui arriverait quelque chose, ce lui serait insupportable. Mais il va bien. Tout va bien. Annie n'a pas à se sentir coupable de n'avoir pas enquêté plus tôt sur la guivre-crotale. Cette fois, son inaction a été sans conséquence.
Dès qu'elle y pense, un enfant hurle à l'extérieur des portes de la grange.
Rien n'est à échanger entre Fortune et elle – déjà sur la même longueur d'onde, ils se déplacent en synchronisation, sortant de l'étable et retournant sur la place.
La foule a commencé à revenir, les citadins migrent vers le centre de la cour. Autour d'elle, les gens prennent des nouvelles de leurs voisins, cherchent leurs amis et s'embrassent, l'adrénaline commençant à s'estomper.
La poitrine d'Annie se serre. Elle ignore cette sensation.
Près du centre de la foule, un cloître s'est formé, un groupe entourant une petite fille – une fille qui hurle à tue-tête. Elle ne doit pas avoir plus de neuf ans, mince comme un fouet et pâle comme un clair de lune. Son corps osseux s'agite.
Un garçon, peut-être plus âgé d'une dizaine d'années, la tient dans ses bras. Ils ont le même nez retroussé et les mêmes taches de rousseur. Aux spectateurs, il explique : « Je pensais l'avoir éloignée assez vite, mais elle l'a touchée. »
Une vague de marmonnements compatissants déferle sur la foule.
« Je savais que ça allait arriver.
– Ce n'était qu'une question de temps.
– La bête se rapprochait depuis des jours.
– Pauvre Mira.
– Pauvre Bo. »
Annie connaît la conversation qui n'est pas la sienne. Pourtant, elle se tourne vers le garçon – Bo – et demande : "Pourquoi personne n'a tué cette chose ? »
Les lèvres de Bo s'écartent. Elle le regarde s'efforcer de trouver une réponse.
Comme rien ne vient, quelqu'un propose : « Comment ferions-nous cela ? C'est... c'est énorme.
– Tout peur mourir. » Annie passe son pouce sur le manche de son blaster.
Mira pousse un nouveau cri de douleur. Annie sait à peine ce qu'elle fait, mais elle fouille dans la poche de sa veste pour en sortir les bouteilles de fumée bleue. Elle la débouche et s'avance pour la presser sous le nez de Mira.
« Inspire, » lui dit-elle.
La jeune fille s'exécute, tout en tremblant. Même si Annie la regarde, ce n'est pas seulement elle qu'elle voit. Cela ne serait jamais arrivé si elle avait écouté son instinct et réglé le problème la veille.
Ses molaires grincent. Fortune se cogne la tête contre son épaule, mais elle ne veut pas croiser son regard.
Quand elle se ressaisit et range la bouteille, Annie dit : « Je vais le faire.
– Quoi ?
– Je vais tuer cette chose. »
Un autre murmure parcourt la place, plus frénétique cette fois.
Bo serre Mira plus fort. « Je viens avec vous. Je veux vous aider. C'est ma sœur... Je dois aider. »
D'autres hochent la tête, appelant à se porter volontaires. Annie ignore la brûlure de sa gorge.
D'une voix rauque, elle dit : « D'accord. Nous partons des badlands demain, à l'aube. »
Trop consciente des regards reconnaissants, Annie saisit les rênes de Fortune et s'en va.
C'était une décision tout à fait stupide.
Plus la journée s'éternise, plus Annie se demande ce qui lui est passé par la tête. Cette guivre-crotale est un gros problème, mais pas le sien. Elle est capable d'assurer sa propre sécurité – la plupart du temps – et elle n'offre pas ses services à la légère. Pourtant, la veille au soir, elle prépare un sac à dos qu'elle emportera dans les dunes le lendemain matin. Elle y jette les viandes séchées du mystérieux panier de pique-nique.
À vrai dire, elle sait exactement pourquoi elle a fait ça. Parce qu'elle regardait Mira, mais elle voyait Tommy. Elle fixait cette fille, envenimée par le serpent, et pensait à son neveu, et à la douleur chronique qu'il porte à cause de sa propre erreur stupide, imprudente.
Ce n'est pas comme si tuer cette chose allait arranger les choses entre elle et Tommy. Mais une partie d'elle voit le visage d'Akul, le chef vicieux des Éperenfers qui a mis la vie de Tommy en danger à cause d'un faux pas d'Annie. Peut-être que si elle tue ce monstre, elle pourra tuer la partie d'Akul qui la hante depuis cette nuit-là.
Terriblement stupide. Mais il est trop tard pour faire marche arrière.
Ses pas sont interrompus par un gémissement grave provenant du fond du couloir. Annie n'hésite pas, laisse tomber ce qu'elle fait et se dirige vers la chambre de son neveu. Ses mains se tendent déjà vers la bouteille de fumée bleue dans l'armoire avant qu'elle ne demande : « La douleur s'intensifie ? »
Mais lorsqu'elle lui tend le flacon, il détourne la tête, la lèvre supérieure retroussée comme s'il était dégoûté.
« Tu ne veux pas de médicaments ?
– Non, » grogne-t-il.
Annie fronce les sourcils, essayant de trouver l'explication cachée sur le visage de son neveu.
« Fatigué... tout le temps. » Ses jointures deviennent blanches comme de l'os tandis qu'il s'efforce d'articuler les mots.
L'un des effets de la fumée bleue est la fatigue qui l'accompagne. C'est censé être un avantage, aider les gens à dormir malgré la douleur, quelque chose que Tommy ne pourrait pas faire sans. Elle ne devrait pas être surprise qu'il en ait assez et qu'il veuille réduire sa consommation. Ça fait presque depuis qu'ils ont emménagé dans la ferme qu'il vit dans cette pièce. Mais cela lui donne toujours la nausée.
« D'accord. » Elle ne discute pas, même si elle aimerait le faire. Tommy a grandi, et elle a déjà prouvé qu'elle ne devait pas faire ses choix à sa place.
En rangeant la bouteille, elle dit : « Je ne serai pas là demain. J'ai accepté de m'occuper d'une guivre-crotale qui terrorise Brousselle. »
Tommy ne répond pas. Annie s'occupe de ranger le contenu de l'armoire. Elle ne tremble pas facilement, mais Tommy réussit à le faire sans essayer. « Je pars avec quelques cow-boys en herbe à l'aube. Je ne sais pas quand je rentrerai. Avant la fin de la journée, en tout cas. »
Il ne dit toujours rien. Finalement, Annie se force à fermer l'armoire et à se retourner. Son visage est figé, son expression indéchiffrable.
Quand le silence s'éternise, Annie baisse les épaules et se voit sortir. Elle ne sait pas si c'est la douleur dans son corps ou la colère dans son cœur qui a rendu Tommy aussi étrange qu'il l'est. Quoi qu'il en soit, tout est de sa faute.
Le lendemain, les premiers mots qui sortent de la bouche d'Annie sont : « Mais qu'est-ce que tu fous ici ? » Lorsqu'elle entre sous son porche, Jody l'attend avec Bo et les autres.
Le veuf sourit, imperturbable. « Désolé, j'ai dû me tromper quand j'ai vu que tu dirigeais les troupes – ce n'est pas une sortie pour le centre du troisième âge ? »
Malgré elle, Annie esquisse un bref sourire. « Je te rappelle, papa, qu'un seul d'entre nous a un blaster sur lui en ce moment. »
Son sourire s'élargit. « D'accord, d'accord. Je suis juste là pour saluer les héros sur le départ, c'est tout. »
Le sens qu'il a l'air de donner au mot de départ manque de lui faire écarquiller les yeux, mais elle se rend compte que c'était son intention. Avant qu'elle ait le temps de répondre, la porte derrière elle s'ouvre. Et quand Annie se retourne, tout ce qu'elle aurait pu vouloir dire s'évanouit.
Tommy se tient là, une canne sous le bras. Il est pâle, son souffle est irrégulier, mais il est debout.
« Toi, » grogne Tommy en pointant Bo d'un doigt noueux.
Les joues déjà pâles de Bo perdent toute trace de couleur.
« Tu reviens avec ma tante. Ou tu ne reviens pas. Tu m'entends ?
– Euh... non, je veux dire, oui, totalement, compris. Je ne laisserai rien lui arriver et si c'est le cas, je me coucherai et je mourrai.
– Bien. » Tommy baisse son bras.
Annie ne sait pas quoi faire de tout cela. Elle aurait pu prédire que la matinée se déroulerait de cent façons différentes et n'aurait jamais vu cela venir. L'affection – aussi bourrue soit-elle – avait disparu de sa relation avec Tommy depuis longtemps. Cela lui donne envie de pleurer de la ressentir à nouveau. Et... se faire dorloter devant un groupe d'étrangers lui donne envie de s'arracher la peau.
« Allons-y, » aboie-t-elle finalement, se retournant pour appeler Fortune et mettre la troupe en route.
En moins d'une heure, Annie décide que Bo est la personne la plus attachante et la plus agaçante qu'elle ait jamais rencontrée. Ce garçon ne devrait pas être dans les dunes à chasser les guivres-crotales. Et il semble le savoir, car il est suffisamment nerveux pour ne pas s'arrêter de parler. Au lever du soleil, Annie connaît l'histoire de ce garçon.
« Nos parents sont morts il y a quelques mois. Je veux dire, notre père est mort il y a sept ans, en fait, mais notre mère est morte plus tôt cette année. Bref. Donc, c'est arrivé. Donc, je suppose que nous sommes orphelins. Ou je ne sais pas, je ne suis plus un enfant, je ne pense pas que je puisse être orphelin. Et je suppose que Mira n'est pas vraiment orpheline non plus, parce que je m'occupe d'elle. De toute façon, il n'y a que nous. Tu sais, on est tout ce qu'on a. Bon, d'accord, nous et les gens de la ville, tu sais. Ils ont tous aidé notre mère quand nous sommes arrivés ici, et ils nous ont aidés quand elle est morte. Je ne sais pas comment nous aurions fait si nous avions été seuls. Je veux dire, personne ne peut être sérieusement seul, n'est-ce pas ? Personne ne peut survivre comme ça. »
Personne, hein ?
Le peuple d'Annie partage le sentiment de Bo depuis des temps immémoriaux. Dans la patrie qui lui a donné la vie, tout le monde était de la même famille et la famille était tout. Entendre Bo parler de la façon dont les gens de Brousselle ont pris soin de lui et de sa sœur, c'est comme ça que ça se passait chez eux. Les jeunes étaient la responsabilité de tous. Tout le monde était responsable de tout le monde.
C'était la vie qu'Annie avait connue pendant longtemps. Et puis ce n'était plus le cas. Aujourd'hui, cette partie de son passé ressemble à un rêve dont elle ne peut saisir les détails, mais dont elle ne peut se défaire non plus.
Elle pense au panier de nourriture sur son comptoir. La pression de la main de Jody sur son sternum.
Perdre quelque chose d'aussi sacré que son peuple, c'est mourir un peu. Elle ne pouvait pas oser espérer ressentir à nouveau quelque chose de semblable. L'espoir pourrait être assez grand pour qu'il l'engloutisse, si elle se mettait à espérer.
Alors que le soleil levant peint le paysage, Annie écarte ses pensées pour plisser les yeux à l'horizon. Un mouvement se dessine au loin. Si elle ne savait pas quoi chercher, elle pourrait ne pas le remarquer du tout. Il se peut aussi que ce ne soit rien.
Elle resserre sa prise sur son blaster, l'air sombre. Elle ne peut pas prendre le risque de s'approcher sans savoir avec certitude ce qu'il y a là-bas.
« Cela peut sembler un peu étrange de l'extérieur, prévient-elle Bo. Reste silencieux et crois qu'il se passe des choses que tu ne peux pas voir. Compris ?
– Hmhm, oui ? Bien sûr. »
Ceci étant réglé, Annie fait face à la direction du mouvement indéchiffrable et utilise sa vision améliorée.
Ses autres sens s'émoussent. Bien qu'il ne se passe rien à l'extérieur, Annie est propulsée dans l'espace à l'intérieur. Soudain, elle se retrouve à une centaine de mètres de là, au sommet d'une montagne de sable, regardant des écailles scintillantes. L'anémone s'enfonce dans la terre, disparaît presque entièrement avant de ressortir de l'autre côté d'une petite dune. Tout près, il y a une ouverture dans le sable, l'entrée du repaire de la créature.
« Je te tiens, » murmure-t-elle, et son blaster se réchauffe dans sa main, l'attachant à son corps.
Quelques secondes avant de reculer, Annie hésite devant un éclair couleur de bronze à la périphérie de son regard. Elle regarde, le cœur serré dans la bouche, une autre guivre-crotale émerger. Celle-ci est nettement plus petite. Elle remue prudemment la tête, jetant un coup d'œil à son... parent. Celle-ci se tortille, faisant signe au bébé de la rejoindre. Toutes deux glissent ensemble dans le sable, leurs écailles frottant la terre qui se réchauffe.
Son cœur, coincé au fond de sa bouche, se met à battre plus fort.
Personne n'est censé survivre seul.
Et quiconque est acculé au pied du mur fera ce qu'il faut pour déjouer les pronostics et s'en sortir vivant.
La guivre-crotale n'est pas Akul. Annie ne peut pas se venger de la douleur de Tommy en tuant la créature qui a blessé Mira. De retour dans son corps, Annie comprend ce qu'elle doit faire.
« Tu l'as trouvé ? lui demande Bo.
– Je l'ai trouvée. Juste devant. » Elle remet son blaster dans son étui. « Maintenant, voilà ce que nous allons faire... »
Annie aurait pu s'attendre à la colère des habitants de Brousselle, pour avoir décidé de laisser vivre la guivre-crotale et son bébé, pour les avoir enfoncés plus profondément dans les dunes où les proies étaient plus nombreuses et les gens plus rares, au lieu de les exterminer comme elle l'avait promis. Ce n'est pas la première fois que les habitants de la ville la surprennent en adoptant avec enthousiasme une solution qui n'implique pas d'effusion de sang.
La nuit est tombée quand Annie rentre chez elle, endolorie par une journée bien remplie. Elle sourit en disant au revoir aux autres, les regardant partir ensemble. Fortune la bouscule en poussant des cris hilares. Elle l'embrasse sur le côté du museau, puis l'envoie dans l'étable.
À l'intérieur, elle sourit encore lorsqu'elle accroche sa veste.
« Victoire ? »
La voix de Tommy vient du coin de la rue et Annie se tourne vers lui.
Il est encore plus beau. Il se tient dans le couloir, la main enroulée autour du pommeau de sa canne. Fraîchement douché ?
« En quelque sorte. Il y a des gens bien dans cette ville, Tommy. Je pense que nous pourrions vraiment nous construire une vie ici. Je... »
Il grimace. La douleur, mais laquelle ?
Ses yeux le scrutent à nouveau. Cette fois, elle remarque le sac à ses pieds.
« Tu vas quelque part ?
– J'attendais juste de pouvoir te dire au revoir.
– Je... » Elle plisse les yeux et joint les mains devant elle. « Non. Où vas-tu ?
– A la maison, tata.
– C'est ta...
– Chez toi. » Il insiste, les yeux brûlant d'un feu que Tommy n'a pas eu depuis qu'il s'est mis à consommer de la fumée bleue. « De retour auprès de notre peuple. »
Un silence douloureux s'installe entre eux, demandant à être brisé.
Tommy acquiesce. « Je suis content que tu t'installes ici. Mais ce n'est pas chez nous. Je ne sais pas comment faire partie de cette vie dont tu parles. Et j'ai besoin... »
Il regarde le sol. « J'ai besoin de vrais soins. »
Il faudrait qu'Annie soit d'une cruauté inouïe pour le prendre en défaut. Cela n'empêche pas sa poitrine de menacer de se déchirer de l'intérieur.
« Je comprends, acquiesce-t-elle. Mais tu ne peux pas partir seul dans l'inconnu, au moins jusqu'à ce que...
– J'ai pris mes dispositions. Jody, en fait, m'a aidé à trouver un plan. C'est un type bien. »
Un type bien à qui Annie va briser le cou la prochaine fois qu'elle le verra.
« D'accord. » Elle déglutit. « Eh bien... merci d'avoir attendu. C'était gentil de ta part, vu que...
– Vu que ? » Tommy fronce les sourcils.
« Vu à quel point tu dois me détester.
– Haseya...
Son souffle se bloque dans sa gorge lorsque Tommy utilise son vrai nom, son nom d'Atiin, le nom que son peuple lui a donné. Il s'avance et la prend dans ses bras. Annie pleurerait si elle pouvait respirer. Il murmure : « Je ne peux pas te détester. Je t'aime. C'est juste que... ce n'est pas là que je suis censé être. »
Est-ce que c'est là qu'elle est censée être ? Elle ne le sait pas. Elle espère que si elle se laisse aller à pardonner ses erreurs, si elle se penche sur la question et construit quelque chose ici, peut-être que ça peut être le cas.
Et peut-être qu'elle se trompe encore.
« Je ferais mieux d'y aller. » Tommy effleure son visage de son pouce avant de ramasser son sac. Il y a encore un tremblement à chaque instant, un fil clair de douleur, mais il est mieux qu'elle ne l'a vu depuis longtemps.
Il sait ce qu'il fait.
« Ce n'est pas un adieu pour toujours. » Il referme la porte de la ferme. « Nous nous reverrons.
– Le sang peut couler, mais il finit là où il a commencé, convient-elle. A la prochaine. »
Alors que l'ombre de Tommy s'allonge de plus en plus sur le chemin qui s'éloigne de leur maison avant de disparaître, Annie prend conscience d'une vérité silencieuse. Elle s'installe comme du plomb dans ses tripes, étouffant les nœuds emmêlés de l'espoir et de la peur, les nettoyant tous.
Il y a de bonnes chances qu'elle puisse construire la communauté qui lui manque. Ces gens peuvent être les siens ; cette vie peut être la sienne. Mais quand elle rentrera chez elle le soir, il y aura toujours Annie Flash et ses fantômes.