Le monde touche à sa fin. Il neige sur Penregon. Le blé manque. Les morts sont en marche. Reprise d'un vieux travail. Les Talites arrivent. Vous trouverez l'article original ici.
Episode 1 : La fin
69 AR
Il neigeait à Penregon.
Cinq ans après que la guerre qui mit fin au monde se conclut, les survivants découvrirent que rien n'était vraiment fini ; dans le sillage des machines, des séismes et de l'érosion des vagues, le printemps revenait encore. Les soldats revenaient de loin, des fronts apocalyptiques, leurs uniformes en loques, à mendier du riz et du pain. Les commerçants échangeaient leur marchandise et répartissaient leurs navires vers les côtes lointaines, demandant de l'or contre des biens, érigeant des manoirs et tenant les comptes des dettes de leur clientèle. Les gardes faisaient régner l'ordre dans les rues et aux frontières des circonscriptions favorisées, main au fourreau, les yeux écarquillés par la même peur qu'auparavant. Les champs exigeaient toujours les semailles et les moissons ; de maigres laboureurs traînaient encore les pieds pour rassembler leur grain sous le regard sévère des contremaîtres. Le prix du pain et du lait montait, le bétail et le gibier s'amincissait, le salaire rapporté à la maison pour le travail aux champs ne s'écoulait pas aussi bien, et le soir l'horizon, au loin, au sud-est, ne s'assombrissait jamais vraiment. La vie continuait en Terisiare, bien que le printemps et l'été aient l'air de se raccourcir, les mois chauds de se réduire en semaines chaudes, et en hiver, la neige tombait maintenant sur Penregon.
Tous ceux qui étaient témoins de ce cataclysme – c'est-à-dire tous sur Terisiare – savaient que le monde avait pris fin lors de ce jour. Puis ils s'étaient levés le matin suivant et avaient trouvé la vie continuer, à cela près qu'elle n'avait jamais vraiment l'air de changer pour le mieux. Le mieux qu'ils puissent espérer était que les choses ne continuent pas d'empirer.
Cinq ans après l'explosion, Kayla bin-Kroog se tenait seule assise dans les chambres du conseil de l'hôtel du gouvernement, à Penregon, l'oreille tendue vers le craquèlement chaleureux du feu mourant. L'agenda du jour rempli à l'exception d'une dernière entrevue privée, ses conseillers et les membres du comité avaient tous vidé les lieux pour patauger dans la neige jusqu'à chez eux. Ils l'avaient laissée seule avec les derniers registres de Penregon, les chiffres du recensement, et comptes-rendus d'expéditions – une coterie de cauchemars griffonnée dans une encre édulcorée, sur un papier usé. On avait veillé sur Jarsyl, envoyé ailleurs pour des études du soir avec ses tuteurs.
Enfin seule. Kayla tenait un rapport sur le blé, dont les nombres étaient sinistres, et regarda par-dessus lui une carte nouvellement dessinée de la Mer Viscérale à l'est, étendue devant elle sur la table.
Vide.
L'île d'Argoth, autrefois verdoyante, qui se situait au sud-est, n'était plus, réduite à des pics monolithiques de basalte, balayés par les vagues. La guilde des marchands avait exigé cette expédition très récente, dans l'espoir de rendre à la vie de vieilles routes commerciales entre Penregon et les royaumes lointains au-delà de l'océan, mais les petites îles qu'ils utilisaient autrefois pour faire l'aiguade et les provisions avaient disparu ; soit les étoiles mentaient à présent, soit ces îles avaient été avalées par la mer.
Kayla balança sur le côté le rapport sur le blé. Elle savait déjà ce qu'il dirait – les moissons étaient encore moins fructueuses que l'année passée, comme celles de l'année passée par rapport à celle d'avant, et ainsi de suite jusqu'au moment où le monde qu'ils connaissaient avait pris fin. Les papiers tourbillonnèrent jusqu'à toucher le sol, à peu de distance d'une fenêtre grande ouverte qui donnait vue sur la ville, et se mélangèrent avec les flaques de neige fondue où elles avaient dérivé.
De la neige. Kayla se souvenait des rares balades de ses jeunes années au pied des collines autour de sa tour. Les montagnes, les forêts de résineux, le vent – l'hiver avait une beauté grave qu'elle avait tentée de relier au port austère d'Urza, mais elle n'y arrivait pas. En vérité, Kayla détestait l'hiver.
Bien que le chauffage à vapeur pompât assez de chaleur pour que la chambre entière soit agréable, Kayla se sentait tout de même gelé jusqu'à l'os. Son conseil l'avait mise dans une sombre humeur.
« Qu'est-ce que vous êtes lointains à présent, nos dieux, » murmura Kayla. Quand, pour la dernière fois, les dieux lui avaient-ils paru proches d'elle ? Kroog, avant de subir le sac. Ses flèches délicates et ses marchés bondés. Un foyer, qu'on lui avait arraché. Kayla ferma la fenêtre. La nostalgie la tenait au cour aujourd'hui. Une touche de dégoût dans sa mémoire, non pour ce dont elle se souvenait mais à cause de la douleur du souvenir ; il y avait une raison à sa rêverie, qui la faisait s'insinuer par moments.
Un cognement poli aux portes de la chambre attira son attention. La submersion amère d'adrénaline qui suivit était inattendue, inhabituelle et importune malgré les préparations de la nuit passée.
« Oui ? » répondit Kayla en direction du cognement.
Un jeune page entra dans la chambres et s'éclaircit la gorge.
« Madame, votre dernier rendez-vous est là.
– Fais-le entrer, ordonna Kayla avec un geste pour le congédier. Et apporte-nous des rafraîchissements ; je suis certaine que notre invité aura faim. »
Le page fit une référence avant de quitter la chambre en refermant doucement la porte derrière lui.
La porte s'ouvrit de nouveau, et son invité traîna les pieds jusqu'à entrer. Kaya regarda de la tête aux pieds ce qui n'était qu'un homme mort. En loques, la peau gercée par le vent, le nez et les oreilles noircies par les morsures du givre, les pommettes pelées là où le froid avait fouillé sa chair. L'homme robuste au teint hâlé qu'elle avait connu des décennies auparavant avait flétri en un squelette courbé aux cheveux blancs crêpés. Ses yeux restaient vifs, cependant, et sa voix impossible à ne pas reconnaître.
« Bonjour, Kayla. Tu te portes bien. »
Kayla lui accorda un sourire poli et creux. « Tavnos, répondit-elle. Je te pensais mort. »
L'ancien assistant d'Urza fit une révérence. « En un sens, je l'étais, » répondit-il. Tavnos parlait avec une raideur nouvelle pour Kayla. Dans sa jeunesse, il avait toujours semblé un contraste chaleureux par rapport à Urza, un homme affable, abîmé par l'amour et la dévotion qu'il portait à l'époux de Kayla. A présent Tavnos était presque un miroir d'Urza, jusque dans ses cheveux blancs.
Kayla lui fit signe en direction d'un siège à la table du conseil, jusqu'à laquelle il boitilla pour s'y asseoir.
« Le monde a changé depuis que je n'en fais plus parti, continua Tavnos en repliant son manteau sur lui. Je n'avais jamais vu neiger si près de la mer.
– Le monde a été changé, le corrigea Kayla.
– Oui, je suppose que tu as raison, grimaça Tavnos. Mais c'est du passé – j'ai tant de choses à te dire et beaucoup à te montrer. » Son sourire était celui d'un crâne dépourvu de chair. Kayla avait vu trop de sourires comme celui-ci depuis la fin de la guerre, tendus sur les visages des soldats qui étaient revenus et sur les morts empilés sur les charrettes funéraires.
« Rien n'est passé, rétorqua Kayla. Et pour preuve, te voici traînant ta carcasse à Penregon. »
La porte qui donnait sur la chambre du conseil s'ouvrit, prévenant Tavnos d'avoir à répondre. Deux pages firent rouler un chariot sur lequel se trouvaient du thé à la menthe et de petites pâtisseries fumantes et savoureuses. Le dîner, à présent.
« J'étais avec lui juste avant la fin, expliqua Tavnos en prenant une pâtisserie du chariot.
– Tu as toujours été proche de mon mari.
– Il a empêché un démon de prendre ce monde, » continua Tavnos, calme mais ferme, les yeux baissés. « Son frère avait été... » Tavnos chercha ses mots et les trouva amers dans sa mémoire. « Vrillé par cette créature. Fusionné avec une machine. » Tavnos leva des yeux embués de larmes. « La même chose nous serait arrivé à nous autres si Urza n'avait pas agi. Il nous a sauvés. »
Kayla se versa du thé. « Tu m'as dit que tu garderais mon fils en sécurité, » lui rappela-t-elle. Sans lever les yeux de sa tasse, elle tendit la théière à Tavnos. « Je ne l'ai jamais revu.
– Il... » Tavnos s'éclaircit la gorge. « Harbin était un exemple pour ses hommes – un brave officier, et un bon pilote.
– Et sa mort, était-elle bonne ? » demanda Kayla. Sa voix était égale et calme, mais plus froide que le vent qui s'était attaché aux oreilles de Tavnos et lui avait brûlé le nez. « Si mon fils était un exemple, j'aurais espéré qu'il soit un bon exemple et sauve d'autres mères de la douleur de perdre leur aîné dans la guerre.
– En tant que pilote il...
– Tout ce que Harbin voulait faire était de rendre son père fier, le coupa Kayla. Il s'inquiétait toujours, parce qu'il n'était qu'un pilote et pas un artificier comme toi, que son père l'aime moins. Avant – quand il était petit – Harbin me parlait de ses rêves. Il rêvait qu'il pouvait voler, et que chaque fois qu'il revenait à la maison, son père serait fier de son fils volant. A-t-il jamais fait sourire mon mari, Tavnos ? Avant de mourir, est-ce qu'il a rendu son père fier de lui ?
– Urza n'a jamais voulu mettre Harbin en danger...
– Alors pourquoi a-t-il commencé une guerre dans laquelle mon fils est mort ? » trancha Kayla. La colère jaillissait d'elle, un feu de forêt. Elle lança sa coupe contre le mur, où elle éclata avec un écho dans toute la chambre. Tavnos ne dit rien tandis qu'elle se calmait. « Tavnos. » Kayla parla, choisissant chaque mot, formant chaque syllabe d'un son primordial jusqu'à son sens. « Alors, soyons clairs : je ne te pardonnerai jamais de m'avoir persuadée d'autoriser mon fils à partir et mourir dans la guerre de mon mari. Ta route pour revenir dans mes grâces est dix fois plus longue et froide que le chemin que tu as suivi ici.
– Oui, Madame, se contenta de dire Tavnos.
– Maintenant dis-moi ce pour quoi tu es venu ici. »
Tavnos plongea la main dans les plis de son manteau et en sortit un rouleau de toile cirée. Il le déroula sur la table, révélant une courte liasse de vieux papiers, épaissis et jaunis par l'âge. Quelques dégâts infligés par l'eau gondolaient les bords, mais pas assez pour en abîmer le contenu. Kayla les reconnut aussitôt.
« Des plans, dit Kayla. Le travail de mon mari ?
– Et un peu du mien, répondit Tavnos. Je les ai gardés avec moi pendant mon exil. Vengeurs, statues d'argile – t'en souviens-tu ? Des ornithoptères aussi, de tous types. » Tavnos retira une à une les pages hors de leur rouleau de toile cirée et les répartit sur la table. « Engis à vapeur, tours de communication – navires, machines, et d'autres dispositifs qu'il avait conçus. La plupart pour la guerre, pour être sûr, mais quelques uns pour une paix qu'il espérait vivre un jour.
– Et toutes inutiles sans lithoforces, compléta Kayla. A moins que tu veuilles créer une... industrie innovante de rats mécaniques à Penregon. » Elle tendit à Tavnos une page qui portait les esquisses d'un rongeur en jouet.
Tavnos se fendit d'un rire, puis se rendit compte que Kayla ne riait pas. Il toussa. « En effet, oui, bien sûr, et sur ce point, j'ai de bonnes nouvelles. J'ai pu retrouver quelques lithoforces et je sais où je peux en trouver plus. »
Kayla remit ses yeux au niveau de Tavnos. Elle joignit ses mains en pointe, les pressa sous son menton. Ferma ses yeux. Soupira. « Peu importe combien de blé nous récoltons ou combien de poissons nous attrapons, les hommes comme toi auront toujours faim. Dis-moi.
– Avant son effondrement, Argive avait les plus grandes réserves de lithoforces sur Terisiare, expliqua Tavnos. Leurs entrepôts étaient enterrés, mais parmi les documents d'Urza, j'ai trouvé une carte. Avec les lithoforces que j'ai en ma possession et ces plans, je pourrais construire de nouvelles machines pour aller les déterrer. » Tavnos était enthousiaste, aussi animé que Kayla se souvenait de lui dans leur jeunesse. Son épis de cheveux blancs et ses yeux écarquillés, avec son nez gelé, lui donnaient l'air de quelque créature de conte de fée – folle, si ce n'est grotesque. « Pas des armes, seulement des outils, continua Tavnos. Nous pouvons utiliser les pierres pour activer des automates qui nous aideront à miner et à moissonner. Nous pouvons les utiliser pour illuminer la ville de nuit, ou alimenter des chauffages afin de se préserver du froid. » Tavnos se pencha en avant pour rapprocher ses mains de Kayla. « Nous pourrions rebâtir Penregon. Tes gardes m'ont dit quand je suis arrivé que quiconque voyait la lumière de Penregon était le bienvenu ici. » Tavnos pointa, au-delà de la pièce, vers les murs de Penregon. Kayla savait qu'il parlait du phare qui surplombait la baie. « J'offrirais mon savoir et ces plans pour répandre cette lumière sur Terisiare. »
Kayla ne répondit pas plus qu'elle ne prit les mains de Tavnos.
La première année après le cataclysme avait été une année de tumulte. A Penregon, l'explosion avait causé de terribles séismes qui abattirent la plupart des bâtiments de pierre ou de brique dans la ville, effondrés sur leurs occupants. Le roi et sa cour, abrités dans la Halle du Lion – la puissante citadelle perchée sur les falaises vertigineuses qui surplombaient la Baie de Penregon – tombèrent dans la mer. Des raz-de-marée énormes suivirent, frappant les quartiers côtiers, récurant les rues de la ville, les nettoyant de débris et de survivants.
Quand les secousses eurent pris fin et que l'eau recula, Kayla bin-Kroog était l'une des rares nobles encore en vie. En tant qu'épouse du chef de l'alliance et que princesse, la direction de la ville lui revint. Six longues années plus tard, elle était toujours la bergère de Penregon, une ville de débris.
« Tu parles comme mon mari, dit enfin Kayla. Tout ce qu'il voulait, c'était faire du monde un meilleur endroit.
– Si tu me permets, ajouta Tavnos, il m'a demandé de te transmettre un message. »
Kayla souleva un sourcil.
« Il m'a demandé de te dire, euh... » Tavnos sirota son thé un instant : « de ‘se souvenir de lui non comme celui qu'il était, mais celui qu'il a essayé d'être'. »
Kayla rit d'un rire tranchant, cristallin, qui contenait en lui une voix brisée. Pendant un instant Tavnos se demanda si c'était un rire authentique, mais cet instant s'évanouit dès que Kayla se mit à parler.
« Pense-t-il que je suis toujours la petite princesse qu'il a acquise ? demanda Kayla. Tout ce qu'il a toujours essayé d'être, tout ce que son frère et lui ont toujours essayé d'être, c'était d'être les maîtres du monde. » Kayla pointa Tavnos du doigt. « Tu le savais aussi bien que je le sais à présent ; de tout notre mariage, tu as passé plus de temps à tes côtés que moi. »
Tavnos resta silencieux.
« Mon mari et son frère ont imposé de cruels choix aux leurs, continua Kayla. Ils ont réduit le monde en cendres parce qu'aucun des deux ne voulait parler à l'autre. » Elle tendit le bras et prit l'un des plans de Tavnos. Un simple automate, l'une des formes guerrières dont elle se souvenait qu'Urza les concevait après le sac et la ruine de Kroog. Kayla observa le canevas précis dessiné par son mari. Ses lignes parfaitement tracées. La machine, représentée à l'encre vieille sur un papier fin, avait l'air de pouvoir sortir de la page si quelqu'un venait à prononcer sa commande d'activation. « Et maintenant, nous devons reconstruire sur les cendres de ces frères, reprit-elle en lâchant la page. »
Tavnos fit ce qu'elle ordonnait. Des larmes coulaient le long de ses joues creusées par le temps.
« Arrête de pleurer, trancha Kayla. Toi et moi et tous les autres nous vivions dans l'ombre de mon mari et de son frère. Tout a été arraché à Terisiare par leur guerre. J'ai perdu mon père, mon fils et mon royaume. Chaque chose bonne et agréable qui faisait ma vie, je l'ai perdu à cause de lui. » Elle montra du geste la pièce entière – le papier peint pelé, les tuyaux de vapeur qui gargouillaient. La neige qui tombait toujours dehors. « Je ne savoure pas de la mort de mon mari. Il y a eu assez de morts. Mais je suis heureuse qu'il soit parti, et je ne le pardonne pas pour ce qu'il a fait. Je ne m'en souviendrai pas comme il aurait voulu que je me souvienne. Je m'en souviendrai comme celui qu'il était. » La voix de Kayla était ferme comme l'acier. Elle vit quelque chose dans l'affaissement des épaules de Tavnos – une hésitation, distincte de l'esprit qui s'effondre. « Tavnos ? demanda-t-elle. Qu'est-ce que tu ne m'as pas dit ?
Tavnos se mordait la lèvre inférieure, gercée par le vent. Des larmes émergèrent de nouveau, mais d'un clin d'œil il les fit partir. « Urza n'est pas mort, madame. »
Les pulsations aux tempes de Kayla s'accélérèrent, et sa mâchoire serrée aurait pu briser une pierre. Pour Tavnos, qui n'avait jamais connu Kayla que comme la belle princesse rayonnante de Kroog, l'acier qu'il trouvait dans la femme assise en face de lui était terrifiant. Urza avait mis le monde en ruines, mais la personne qu'il avait le plus blessée, c'était Kayla bin-Kroog.
« Quoi ? » La colère dans la voix de Kayla était aiguisée avec une précision chirurgicale.
« Il n'est pas mort, répéta Tavnos. Il est devenu... quelque chose d'autre.
– Est-ce ‘en quelque sorte' un meilleur homme ?
– Je... Je ne suis pas sûr de ce qu'il est devenu, » admit Tavnos en baissant les yeux. Lentement, il se leva et commença à rassembler ses papiers éparpillés pour les remettre dans le rouleau.
« Que fais-tu ? »
Tavnos s'arrêta. « Je pars, madame. »
Kayla secoua la tête. « Non, Tavnos. Assieds-toi. Je t'en prie. »
Tavnos s'exécuta.
« Nous avons retrouvé ce qu'on pouvait des usines de mon mari après l'explosion, expliqua Kayla. Des machines, des châssis, des pierres – les choses qu'il utilisait pour construire en grande nombre ses automates. Personne ici ne sait comment les utiliser, mais avec ton arrivée, il semble que cela a changé. » Kayla rassembla ses affaires et mena Tavnos à la porte. « Demain, je ferai que Myrel, mon capitaine éclaireur, t'emmène aux entrepôts afin que tu puisses commencer ton travail.
– Merci, Kayla, » dit simplement Tavnos, arrêté à la porte.
Kayla serra les lèvres, n'offrant pas même l'ombre d'un sourire. « Une longue route, Tavnos, répondit-elle. Va. Elle est froide. »
Tavnos partit, suivant le page qui attendait dans les ténèbres éclairées à la chandelle, laissant de nouveau Kayla seule.
Le printemps arriva des mois plus tard, et Penregon devint de nouveau une ville vivante. Les sommets déchiquetés des Hauts de Kher pouvaient être vus, perçant le linceul toujours présent de la chaîne montagneuse, leurs cornes blanches de neige hivernale. En aval, une nouvelle croissance entre les souches déracinées qui furent autrefois des forêts primales, fauchées pendant la guerre à la recherche de carburant et de charbon. Des torrents, renforcés par la fonte, dévalaient des montagnes, se répandaient dans les champs autour de Penregon où ils remplissaient les anciennes tranchées défensives, créant de nouveaux lacs étroits. Ces vieilles lignes de front, autrefois un panorama infernal de pierre, de métal et de terre écorchée par les flammes, étaient à présent des océans d'herbe au milieu desquels s'ouvraient de délicates fleurs sauvages. Sous les fleurs, les morts sans nombre reposaient, leurs noms oubliés mais pas leur sacrifice. Les oiseaux gazouillaient, nichaient dans les tours de communication qui commençaient à décrépir, celles qu'Urza avait autrefois érigées, il y a tant d'années.
A proximité de la base des Khers et sur les routes au sud de Penregon, de la pierre aride marquait la terre là où les machines de guerre s'étaient effondrées. Des carcasses énormes, corrodées reposaient dans des étangs d'eau noire, visqueuses à cause des lichens mutants qui y flottaient sans jamais geler. Aucune bête ne buvait cette eau infectée de pétrole. Une puanteur emplissait l'air autour d'elles, et les éclaireurs de Penregon marquaient avec précaution un périmètre autour de chacun de ces restes dès qu'ils s'en approchaient dans leurs missions.
Kayla marchait le long de la nouvelle muraille intérieure de Penregon, Tavnos à côté d'elle, les yeux au-delà du parapet, en direction du travail en cours d'accomplissement sur cette partie des fortifications de la ville. Des centaines de travailleurs trimaient pour combler les failles du vieux murs de pierre, dont des sections complètes avaient glissé dans les antiques douves de Penregon quand la terre trembla durant le cataclysme. Le mur, autrefois puissant témoin du talent des ingénieurs de Penregon, s'était éboulé en quelques minutes. Sa reconstruction était de faible priorité jusqu'à ce que l'hiver commence à décliner. Ce printemps amènerait plus que de la chaleur et des fleurs : un autre danger menaçait Penregon.
Un détachement d'éclaireurs de bas rang était revenu à la ville, tôt le matin. Kayla, qui attendait leur arrivée, les rencontra depuis le mur, pour entendre leur rapport. Tavnos faisait la fermeture dans son usine et s'était précipité pour répondre à son appel. Le petit groupe au sommet des terrassements était un rassemblement hétéroclite : Kayla en pantalon avec un manteau rembourré contre le froid, Tavnos avec son tablier de fondeur, et le Capitaine des Eclaireurs Myrel dans son uniforme boueux sous un poncho sombre. Myrel était revenu du champ ce matin-là et portait toujours une cuirasse enroulée de tissu et une épée.
« Combien ? demanda Kayla à son capitaine.
– Ma meilleure estimation est à dix mille, répondit Myrel. La tête du régiment avait atteint le pied de la colline avant que la queue ait quitté le camp, mais la colonne était étroite, pas plus de cinq personnes de large.
– Et combien de guerriers ?
– Il n'y avait pas l'air d'avoir de distinction, madame, répondit Myrel. La plupart portaient quelque chose : une massue, une lance, de vieux brise-armures et des pics anti-mécaniques de la guerre. Entre deux et trois mille guerriers montés. » Myrel haussa les épaules. « Ce n'est pas une armée professionnelle, mais ils étaient nombreux à être en armure. J'ai vu des vieilles armures fallaji, des cuirasses korlisianes, des armures de plates argivianes, même quelques côtes de mailles yotiennes. C'est comme je le pensais – ils sont organisés, mais pas en régiments. »
Kayla observa la construction en cours sous elle. Les travailleurs et les ingénieurs œuvraient aux côtés de quelques uns des plus précoces modèles des automates civils de Tavnos, tirant des pierres massives, éboulées mais sauvables, de la douve inondée, au moyen de poulies. D'autres équipes transportaient les blocs sauvés précédemment, du bois fraîchement coupé et des sacs de gravier et de terre jusqu'aux brèches du mur, pour remplir les trous. Ce labeur s'étendait tout le long de la muraille intérieure de Penregon, suivant l'ordre de Kayla. Le travail avait été lent durant l'année passée, mais avec l'ajout des nouveaux automates de Tavnos, les réparations avaient pris un second souffle.
« Mes équipes devraient avoir fini le mur d'ici la fin du mois, estima Tavnos comme s'il écoutait les pensées de Kayla.
– L'avenir de la ville dépend de ce travail, affirma Kayla. Fais connaître au conseil ce dont tu as besoin pour ce faire. Capitaine Myrel, dit Kayla en se tournant vers son capitaine des éclaireurs, cette marche montrait-elle ses couleurs ?
– Il y avait des drapeaux des deux côtés, répondit Myrel. Mais le plus commun n'était qu'une simple bannière noire. Il y avait aussi des restes de machine.
– Des restes ? s'interrogea Tavnos.
– Des morceaux d'automate, répondit Myrel avec une grimace. Aussi bien que les créations de la Femme Rouge, portées dans des cages ou attachées avec des câbles.
– Des transfigurants, souffla Tavnos. Le hideux travail d'Ashnod. »
Kayla ne la connaissait que de nom. Quelque artificière qui travaillait pour Mishra durant la guerre – son tortionnaire, quand il fut capturé. Son amante aussi, si les rumeurs étaient vraies.
« Tavnos, appela Kayla. Les automates – tes civils. Peuvent-ils être mis en mode défense de Penregon ? »
Tavnos leva un sourcil. « Tu veux dire, est-ce qu'ils peuvent combattre ?
– Oui.
– Ils le peuvent. Avec un peu de temps, je pourrais reconvertir les civils pour qu'ils portent les armes. » Il hésita : « Je devrais le faire ?
– Pas pour l'instant, décida Kayla. Mais tiens-toi prêt.
– Je vais mettre mes artificiers au travail.
– Capitaine ? demanda Kayla à Myrel. Veille à ce que tes éclaireurs et toi ayez du repos. Reviens demain, je veux des regards réguliers sur cette colonne et des reports journaliers sur leurs mouvements. Nous devons savoir s'ils vont en direction de Penregon ou d'ailleurs. » Kayla regardait les montagnes au sud. Derrière ces sommets hivernaux, la marche se rassemblait. D'ici un mois, les cols dégèleront, et assurément la marche déferlerait sur les murs de Penregon en peu de temps.
Pour la première fois depuis des années, Kayla sentit autre chose que le vide douloureux qu'est le lourd fardeau de la reconstruction. Ce qu'elle ressentait était plus tranchant, plus amer. La sensation la faisait sortir de son lit bien avant l'aube, bien qu'elle n'eût dormi qu'une heure tout au plus : la peur.
Deux mois plus tard, la marche désordonnée déferlait dans les champs boueux au dehors de Penregon, le bruit de leur passage n'était qu'un fracas de bottes, de chevaux et de charrues de transport. Plutôt que la poussière de la route, c'étaient des cris distants qui s'élevaient de la colonne, le conflit de nombreux chants et de nombreuses cadences en concurrence pour devenir la voix de la marche. Les beuglements et les braillements des humains et des bêtes, leurs voix élevées en prière ou en angoisse, affamées ou révoltées, heureuses ou – aux oreilles de Kayla – des borborygmes insignifiants. C'était le bruit du délire, du pandémonium, de la guerre et de la peur et de la délivrance. Cela rappelait à l'esprit de Kayla le souvenir du matin où les forces de Mishra attaquèrent Kroog, le bruit de la ville de sa naissance au moment où elle mourait et devenait autre chose : une ruine, une tombe, un symbole.
Dix mille âmes était une estimation modérée, se rendit compte Kayla ; si elle avait été éclaireuse elle aurait plutôt dit cent mille. Le passage des gens avait l'air sans fin, les submergeait d'une colonne vêtue de tissus sombres, s'écoulant du sud pour traverser les prairies riveraines entre Penregon et les Khers. La marche lui rappelait les fourmis migratrices, la manière dont elles formaient un fil solide d'ouvrières et de guerrières en voyageant de leur ancienne vers leur nouvelle fourmilière, la reine cachée parmi le vulgaire. Etait-ce la même chose avec cette marche ? Qui était sa reine et où étaient ses guerriers ?
Kayla comprit l'incertitude qu'avait eue le capitaine des éclaireurs quant à appeler cette grande assemblée armée ou migration. A l'aide de la longue-vue de Myrel, Kayla vit des anciens et des enfants, des masses de gens à l'armure de fortune, quelques uns avec rien d'autre que des guenilles – tous marchaient ensemble en une masse grouillante, organisée par les circonstances. Comme les colonnes de réfugiés de sa jeunesse, cette rivière bouillonnante d'humanité était une créature, un être dont la seule pulsion était de rester soudée et d'avancer. Après quelque temps, Kayla remarqua bien quelques schémas dans l'observation de la marche : les cavaliers se précipitaient aux abords du large nombre, transmettant des messages, distribuant de l'eau et des couvertures supplémentaires, portant les plus épuisés, ou ceux qui ne pouvaient autrement plus avancer, jusqu'à la longue file de charrues de transport qui suivait la marche. Ces cavaliers maintenaient la course de la grande colonne comme des chiens de berger guideraient le bétail.
« Madame, » dit Myrel pour saisir l'attention de Kayla. Il pointa du doigt un petit groupe de cavaliers en noir qui s'étaient détachés et avaient commencé à chevaucher jusqu'aux portes de Penregon. Ils n'étaient que cinq, tous en armes et armure. L'un d'eux portait une grande lance – un ancien modèle anti-mécha, qui datait de la guerre – une bannière noire claquant à sa pointe d'acier conique, un boulon blanc attaché derrière.
« Des émissaires, identifia Kayla. Capitaine, amenez un escadron de vos éclaireurs. Allons rencontrer ces marcheurs. »
En bas des murs rafistolés et parmi les rues printanières de Penregon, bondées, Kayla et son escorte d'éclaireurs fendirent la foule vespérale, tous pressés et se précipitant aux murs pour observer la procession lointaine. Des gens crièrent tandis que Kayla et ses gardes passaient, braillèrent des questions et des encouragements. Être vu et regardé par la Dame de Penregon suffisait à la plupart ; les avides tendaient les mains, réconfortés par le toucher de Kayla. Elle avait une idée de ce qu'elle était devenue pour ceux qu'elle menait – une martyre vivante, la femme oubliée du tueur de monde qui, dans l'ombre de son sillage, menait les survivants à tailler un sanctuaire dans la pierre. Ce n'était pas une place agréable, mais elle était sûre. En secret, Kayla détestait ce que les gens pensaient d'elle : elle était plus qu'une épouse oubliée, bafouée. De la même manière, chaque personne heureuse, chaque visage plein d'espoir ou de peur qu'elle dépassait dans son chemin vers les portes, lui plantait une griffe d'acier, celle de la détermination, plus profondément en elle : elle verrait Penregon en sécurité après la rencontre de tout adversaire.
Eloigner les gens des portes provoqua quelques cris et bousculades, mais les éclaireurs purent la mener jusqu'au front, où la petite porte de Penregon – une porte découpée dans le mur de pierre et de ferronnerie bien plus énorme – était ouverte. Elle s'accroupit et sortit sur la route pavée où un rang de gardes de la ville attendaient. Le capitaine Myrel se dépêchait aux côtés de Kayla et aboyait des ordres à ses éclaireurs pour qu'ils fassent de même. Ainsi arrangée, la suite de Kayla se divisa pour la laisser passer. Les émissaires de la marche, vêtus de noir, l'attendaient à l'autre bout d'un terrain vague, à quelques mètres de là.
Le nez de Kayla se retroussa à leur puanteur, puis elle se remit une fois le réflexe dépassé. Les émissaires n'eurent pas l'air de s'en formaliser. Ils étaient voûtés sur leurs selles, regardèrent vers la cité derrière elle, puis attendirent.
« Bienvenue à Penregon, » commença Kayla, levant la voix pour traverser l'espace qui les séparait. La marche gargouillait derrière les émissaires faisait un bruit de fond importun, un nouvel arrière-plan qui lui dressait les poils de la nuque. « Tous sont acceptés dans nos murs sous trois conditions. Rendez les armes, restez droits, et contribuez au bien-être de Penregon, » énuméra Kayla. Elle essaya de trouver qui parmi les émissaires devait être leur chef mais ne trouva aucun indice dans leur posture ou un ornement, comme les hommes portaient un mélange éclectique de sigilles, de couleurs et d'armure. Le vieux souvenir que Kayla avait des protocoles, des bannières et des signes de chaque maison – toutes ces manières d'identifier disparues depuis bien longtemps du monde – ne pouvait qu'augmenter sa confusion. Elle posa son regard l'homme en armure bigarrée, supposant qu'il était leur chef à sa taille, équipement et à son port.
« Nous sommes des pénitents. » Ce fut un homme en armure d'acier qui parla le premier. Il était plus vieux et sa peau tannée par une dure vie. Ses cheveux poivre-sel s'accordaient à sa barbe noire, qui saillait au milieu d'une toile de marques superficielles de brûlure. Kayla avait déjà vu ces blessures sur certains vétérans de la guerre : ceux qui avaient été là à la fin, quand les machines fouettaient de leurs terribles armes d'énergie. « Nous sommes de justes pèlerins, » continua l'homme, parlant au-delà de Kayla pour s'adresser aux gardes en rang devant les murs de Penregon. « Nous sommes les vivants de Terisiare, qui cherchent à purifier cette terre de la souillure mécanique. » Il jeta un regard vers les créneaux, scrutant longuement la pierre sombre, observant chaque personne tour à tour. « Nous avons libéré Korlis et marchons dans un pèlerinage d'acier. Nous approchons votre peuple, avec dans nos mains la paix et une requête : que tous ceux qui portent une juste haine et une juste peur des machines nous rejoigne dans notre croisade. » Sa voix était claire et robuste, une voix de chef, comme une lame de rasoir. Il ne lui parlait pas à elle, mais au peuple de Penregon ; Kayla pouvait entendre sa cruauté. Elle espéra que les siens l'entendaient aussi. « Nous sommes comme vous : des survivants des démons mécaniques et de l'apocalypse de laquelle leurs créateurs nous ont accablés. Bon nombre d'entre nous combattirent dans des camps opposés durant la guerre, mais maintenant qu'elle est finie, nous reconnaissons notre humanité commune. Ne nous craignez pas – rejoignez-nous. »
L'un des marcheurs dans la suite du chef, un homme qui portait une bannière noire, fit avancer son cheval d'un coup d'éperons. Les éclaireurs de Kayla reculèrent, portèrent leurs mains à leurs armes, prêts à les dégainer. Le héraut fit tourner son cheval dans un cercle serré, élevant le drapeau noir, en guise de salut à Penregon. Les autres cavaliers crièrent, trois cris à la gloire de leur ordre.
Aucun cri de joie ne suivit de la part de la foule curieuse massée sur le mur. Le bruit distant de la marche emplit l'espace à sa place. Le vent qui se levait fit claquer le tissu noir comme un fouet. Kayla fronça les sourcils et lut la bannière, se rendant compte qu'il s'agissait plus d'un simple champ de sables. Tissés dans un bleu si sombre qu'il était presque impossible de le distinguer de loin, se trouvaient deux cercles, côte à côte.
« Dame Kayla, » s'adressa enfin à elle l'orateur. Pendant un instant elle fut prise de court par le fait qu'il connaisse son nom – elle avait supposé qu'ils étaient des bandits, des pillards, peut-être même qu'il était l'un de ces seigneurs de guerre occidentaux dont ses éclaireurs lui avaient dit qu'ils régnaient désormais à l'intérieur des terres de Terisiare. « Je suis Raddic de Kroog. » Sa voix n'avait pas d'accent à l'oreille de Kayla, ce qui le plaçait quelque part entre Yotia au sud et les petits établissements argiviens dans le lointain Nord-Est. « Vous ne me connaissez pas, mais j'ai servi sous votre père durant la seconde campagne Suwwardi, » continua Raddic. Il parlait avec une grâce rude, comme la plupart des officiers que connaissait Kayla. Son père avait été au mieux comme eux – un homme à la grâce rude, simple dans sa compréhension du pouvoir et du gouvernement.
Il n'y avait rien de surprenant alors au fait que cet homme lui semble familier.
« Vous êtes yotien ? demanda Kayla.
– Je l'étais, oui, répondit Raddic. J'ai erré jusqu'aux Khers du sud après le sac de Kroog. J'ai trouvé un foyer là, jusqu'à ce que les Korlisians fassent la levée pour la Campagne Tomakul de 955. » Il fit un signe de tête en direction de celui au casque de laiton. « J'ai rencontré le vieil Arah dans les tranchées, bien que nous ne nous soyons pas vus jusqu'à après le Cataclysme. » Raddic sourit autant que le lui permettaient ses cicatrices. « Après notre défaite, j'ai passé le reste de la guerre dans un camp de travail fallaji.
– Quel voyage, conclut sèchement Kayla.
– Nous en avons tous subi un semblable, acquiesça Raddic.
– Et qu'est-ce que cela ? demanda Kayla, pointant en direction de la colonne en marche au loin. « Une autre armée, un rassemblement des anciens combattants ? Ou quelque chose d'autre ? »
Raddic leva les yeux, regardant au-delà d'elle vers les murs, comme s'il était conscient d'être sous le regard de la foule qui l'observait depuis leur petit sommet.
« J'ai dit toute la vérité, Dame Kayla, répondit Raddic. Nous sommes des guerriers de l'humanité. Des croisés conte le mage, le mort-vivant et le démon mécanique. » Raddic mit sa main gauche sur le cœur, et Kayla vit que ses doigts avaient été raccourcis – sans doute coupées dans quelque bataille. « Nous avons commencé notre croisade avec une purge des terres gixianes dans le lointain Nord, nous avons vidé ce temple du pétrole et du rouage, continua Raddic. Nous avons ensuite traversé le désert qui fut le vieil empire fallaji, et traversé les ruines du beau Kroog. Korlis suivit, nous l'avons libérée d'un cruel seigneur de guerre mécanique et avons recruté de nombreux guerriers pour notre cause. Maintenant nous nous dirigeons vers la Tour d'Acier, où notre Protecteur, » – l'ancien titre d'Urza, il le cracha presque – « donna autrefois naissance aux démons mécaniques du monde. Nous ne demandons que du pain et de l'eau, et ce que vous pourrez nous donner. Aussi je demande à ce que mes prêtres soient accueillis dans vos rues pour prêcher auprès des vôtres et pousser les fidèles aux armes.
– La Tour d'Acier ? répéta Kayla qui préférait ignorer la requête de Raddic.
– Vous la connaissez ? » demanda-t-il sans avoir l'air de poser une question.
La connaissait-elle ? Il parlait de la vieille tour d'Urza. « Il m'y a emmenée, il y a des années, répondit Kayla. Mais je ne pourrais vous indiquer le chemin. Elle est bien cachée dans les montagnes, quelque part à l'ouest ou au sud-ouest. Vous la reconnaîtrez à la brume épaisse qui l'entoure.
– Votre mari n'était pas du genre à faire confiance, » remarqua Raddic.
Kayla se hérissa. « Ce n'était pas son genre, non.
– Pourquoi ne pas venir avec nous, alors ? proposa Raddic. Montrez-nous le chemin, prêtez-nous vos soldats. Venez et purifiez ce monde des machines. »
Kayla lança un regard derrière Raddic, vers la marche lente au loin, cette masse d'humanité. Chacun portait quelque chose – de lourds paquets, des armes, des vieillards trop faibles pour avancer ou les enfants trop jeunes pour se soutenir. La guerre avait tant ruiné. Ces pauvres gens. Kayla ne les craignait plus ; elle les comprenait. La haine que Raddic éprouvait contre les machines était la même haine que celle qu'elle portait, à cela près qu'il était libre de suivre ce désir brûlant jusqu'à sa fin sanglante. Kayla avait une ville à diriger, un monde à reconstruire – pas une tombe à remplir.
« Je ne peux pas, répondit Kayla après avoir arraché son regard de cette vue. Je suis la reine régente de Penregon, pas une guerrière, ni une commandante en garnison. Je suis, cependant, encline à faire des échanges. Nous avons des biens, de la nourriture, et des artisans. Les vôtres sont libres de trouver refuge dans notre ville, mais nous exigeons qu'aucun soldat n'entre. Aucune arme ne passera nos portes. »
Raddic fit une référence aussi profonde que le fait d'être à cheval le lui permettait. « On se souviendra de votre charité, affirma-t-il. Tal te bénisse pour ton humanité. »
Tal. Un ancien dieu de Yotia, qui avait quelque chose à voir avec le soleil. Kayla reconnut le nom mais ne se souvenait d'aucun grand culte ou monument voué à la déité ; la fin du monde remuait toutes sortes de choses étranges depuis les coins sombres de sa conscience.
« Votre quête est la nôtre, » répondit Kayla. Poli, neutre. « Penregon est heureux de se voir sur votre chemin. »
Un rictus traversa le visage de Raddic, puisqu'il comprenait bien son dialecte diplomatique. Il claqua la langue à l'adresse de son cheval, qui se tourna. Ses gardes le suivirent. Sans regarder en arrière, il leva sa main raccourcie vers le ciel dans un geste paresseux, mi-signe de main, mi-salut. Un au revoir, pour l'instant.
Kayla, suivie par sa propre escorte, retourna par les portes dans la sécurité de Penregon. La foule sur le mur parlait en chœur, averse d'excitation, de curiosité, de bravade et de peur. C'était le bruit qui suivait une décision qui n'était pas encore prise. Kayla ne pouvait qu'espérer qu'elle avait pris la bonne, et que les jours à venir ne donneraient pas tort à sa charité.
La paix dura un jour et se conclut par des cris. Kayla ne les entendit pas tout d'abord ; elle était occupée dans une rencontre avec les représentants des corporations des pêcheurs de Penregon, arbitre entre les maîtres qui braillaient des accusations contre ceux qui auraient coupé ou volé leurs filets, se jetant les uns contre les autres. Le poisson, à l'inverse de la chasse terrestre et des industries agricoles, n'avait pas été anéantie par le cataclysme ; pauvre avant la guerre, après sa fin, ces pêcheurs étaient devenus fantastiquement riches. Comme la plupart du monde coulait tel une bougie mourante, l'or halieutique devenait contesté amèrement par les marins qui travaillaient de longues heures pour le récolter, bien qu'aucun combat sur le port ne fût aussi sanguinaire que ces disputes à propos de contrats, de droits de pêche et de bois de construction. Kayla venait de lever la main de frustration quand Tavnos entra dans les chambres du conseil.
« Ah, dieux merci, » soupira Kayla. Elle parlait sans inquiétude, car les maîtres de guilde ne pouvaient certainement pas l'entendre à cause de leurs beuglements. « Rien de plus doux que de passer de la misère à l'agacement. » Kayla se leva et se précipita vers son artificier, lui faisant signe de quitter la salle du conseil. « Ils se débrouilleront bien tout seuls, le rassura Kayla quand il observa que les maîtres de guilde se disputaient. Ils iront régler ça dehors à un moment donné, ou les gardes interviendront avant. » Kayla prit Tavnos par le bras et marcha avec lui dans le couloir, le guidant avec la détermination d'un pilote de port naviguant au milieu d'un détroit perfide. Elle s'arrêta à côté d'une fenêtre étroite qui donnait sur l'intérieur de Penregon, avec une vue sur les Khers enveloppés de brume.
Il y avait une raideur chez Tavnos, une raideur qui transforma le soulagement de Kayla en inquiétude. Tout de même, elle gardait son ton de plaisanterie – des voix traversaient les salles de pierre. « Maintenant, dis-moi, demanda Kayla, qu'est-ce qui est assez important pour t'avoir fait sortir de ton usine ?
– Il y a eu un incident, a déclaré Tavnos. Un groupe de Talites au marché a attaqué un de mes robots civils.
Kayla jura. « Est-ce que...
– Non, dit Tavnos. Non. Aucun des modèles de la ville n'a été formé ou équipé pour se battre. Il n'a pas riposté. La garde de la ville, cependant... » Tavnos soupira. Il vérifia dans le couloir pour voir qu'ils étaient seuls. « Deux des pèlerins sont morts et l'une de nos gardes a été blessé. Elle vivra. Le reste des pèlerins près de la zone ont été arrêtés. »
Kayla s'avança vers la fenêtre. De ce point de vue, rien ne semblait différent. La marche avait ralenti ou s'était arrêtée dans les champs à l'extérieur de Penregon, et de minces rubans gris de fumée de feu de camp montaient, entraînés par le vent. Des feux de cuisine et de la fumée industrielle s'échappaient des cheminées de tout Penregon. Les gens s'affairaient à leur travail. C'était une soirée de printemps normale, même si les nouvelles que Tavnos apportait coloraient le panorama d'une teinte sinistre.
« Est-ce qu'un membre de leur ordre a été témoin de l'attaque ?
– Il y avait des dizaines de personnes là-bas, répondit Tavnos. Je serais encore plus étonné que les marcheurs n'en entendent pas parler. »
Kayla jura à nouveau. « Les Talites ont attaqué le civil sans provocation ?
– Oui, dit Tavnos. Ils l'ont qualifié de démon. Ils ont réussi à endommager l'une de ses articulations du genou, mais rien de grave, il peut être réparé en un après-midi, rien de plus.
– Bien, dit Kayla. Nous allons essayer de garder cela sous silence. Je... »
Un cri résonna dans l'hôtel du gouvernement. Une porte s'ouvrit violemment, suivie par le bruit de pieds bottés qui chargeaient à travers le rez-de-chaussée. Kayla regarda Tavnos avec inquiétude, puis le bout du couloir où un coin cachait les escaliers menant à l'étage inférieur. Les deux se préparèrent à recevoir comme il se devait qui tournerait à l'angle.
« Madame ! Dame Kayla ! »
Kayla souffla. Elle s'appuya un peu contre le mur. Ce n'était que Myrel.
« Je suis là, » l'appela Kayla. Elle tendit la main et tapota l'épaule de Tavnos. « Calme-toi, » dit-elle doucement. Tavnos hocha la tête, desserra les poings.
Le Capitaine des Eclaireurs Myrel fit le tour de la salle, essoufflé, suivi de deux de ses éclaireurs. Ses yeux étaient brillants et ses joues rouges – l'adrénaline, le froid : l'action. « Dame Kayla, nous devons vous mettre en sécurité, dit Myrel entre deux respirations. Les marcheurs s'organisent contre la ville."
« Quoi ? » dit Kayla. D'abord les robots civils, maintenant les marcheurs. Où était Jarsyl ? Avec un de ses tuteurs, bien sûr. Elle devrait le faire venir, le garder près d'elle...
« Madame, » l'interrompit Myrel, attirant l'attention de Kayla. Ils désignèrent la fenêtre, vers les feux de camp lointains. « Raddic et une douzaine d'hommes, tous armés, approchent des portes, et mes éclaireurs ont vu leurs marcheurs s'armer pour le combat.
– Alors ils savent, dit Kayla. Nous devons leur dire que les robots civils de Tavnos ne sont pas les mêmes machines que...
– Madame, s'il vous plaît, dit Myrel. Nous devrions nous diriger vers un étage supérieur. Mes éclaireurs sont en train de barricader l'hôtel...
– Envoie-les trouver Jarsyl et amène-le ici, ordonna Kayla. Je ne me cacherai pas, pas encore. »
L'inquiétude traversa le visage de Myrel. Kayla l'écarta.
« C'est ma ville, capitaine. Je ne me cacherai pas quand Penregon est menacé. »
Myrel fit un signe de tête aux deux éclaireurs, qui saluèrent et partirent en courant pour trouver Jarsyl. Kayla les regarda partir, puis se retourna vers la fenêtre.
Le soleil couchant flamboyait derrière les Khers, plongeant les champs autour de Penregon dans un crépuscule prématuré qui cachait les marcheurs vêtus de noir. Pendant que Kayla regardait, des feux de cuisine faisaient de petits points dans l'obscurité, flamboyaient comme des étoiles sombres dans la nuit profonde.
Cette marche était plus nombreuse que les guerriers de Penregon. Combien en avaient-ils aux couleurs de la ville ? Une centaine d'éclaireurs, une garde de la ville comptant moins d'un millier d'hommes. Elle pourrait ordonner la levée en masse de la ville, mais cela mettrait des personnes non formées sur le front. La force de Penregon était son isolement, mais quand elle n'était pas isolée, et quand une force menaçait la ville...
Assez. Il ne restait qu'une seule option pour Kayla. Dans sa jeunesse, elle avait fui Kroog et n'était jamais revenue. À ce jour, sa maison était en ruine. Kayla ne fuirait pas Penregon.
« Tavnos, armez les robots civils », ordonna Kayla.
Tavnos recula sur ses talons – un petit mouvement trahit sa surprise. « Je ne sais pas si nous devrions faire cela, » avoua-t-il.
Les yeux de Kayla s'illuminèrent du même éclat d'acier que celui qui avait animé Urza, froid et efficace. Brillant, implacable.
« J'ai aussi vécu la fin du monde, Tavnos, rappela Kayla. Je n'étais pas au front, mais je sais ce que je te demande de faire. » Kayla tendit la main et posa une main sur son bras, et le serrant. Dans leur jeunesse, un tel geste aurait jeté des étincelles en lui. Maintenant, ce n'était que de la pression. « Je ne suis pas Urza, dit Kayla. Je te demande de faire ça pour protéger Penregon et son peuple. Rien de plus. »
Tavnos posa sa main sur la sienne et la serra.
« Merci, » dit Kayla. Elle leva la main du bras de Tavnos et se tourna vers son capitaine. « Myrel ?
– J'ai déjà appelé les éclaireurs, déclara Myrel. Et la garde de la ville est en alerte depuis hier.
– Faites lever la milice, ordonna Kayla. Videz les armureries. Envoyez tous ceux qui sont capables de soulever une lance sur les murs.
– Ils ne seront pas nombreux au combat.
– Je sais, dit Kayla. Mais nous avons besoin de nombre. Trouvez ceux qui ont l'expérience de la guerre et demandez-leur de diriger les autres. Ils se battront pour défendre leur ville. Allez-y. » Kayla ne se détourna pas de la fenêtre pendant que Myrel courait pour exécuter ses ordres ; se détourner de la fenêtre signifiait le début d'un nouveau chapitre terrible, un retour aux cruautés de l'ancien monde. Penregon était un endroit fragile, ses murs avaient été inutiles pendant des années avant aujourd'hui. Kayla espérait qu'ils ne deviendraient plus qu'une relique après cela : un rappel et un avertissement du pire de l'ancien monde.
Kroog était tombé le matin. Le souvenir revint à Kayla avec une sensation désagréable et amère. Une aube brumeuse de printemps, la rosée encore fraîche sur le verre plombé des magnifiques tours de la ville. Les rues de briques rouges de Kroog étaient encore humides de la pluie du soir et commençaient à peine à s'embuer dans la chaleur matinale. Elle avait fui la ville, enceinte de son fils. Tavnos avait été là aussi ; il la vit à l'abri de la ville, fuyant avec elle pendant que son peuple mourait.
Kayla se détourna de la fenêtre. « Quelle pitié de constater à quel point le monde a peu changé, soupira-t-elle à Tavnos. Je pensais que nous aurions appris la leçon, à présent. »
Tavnos leva les yeux de son journal. Il notait les démarches nécessaires pour armer les robots civils : rappels, ordres, idées. Il fronçait les sourcils intensément. « Sauf votre respect, répondit-il, je pense que tant qu'il y aura des gens, le monde ne changera jamais vraiment.
– J'espère que tu te trompes trompes, admit Kayla. Dans combien de temps peux-tu faire que tes civils soient prêts à défendre Penregon ?
– Donnez-moi une heure pour informer mes artificiers, » déclara Tavnos. Sa voix tremblait d'une manière que Kayla n'avait jamais entendue de sa part. « Les civils sont assez faciles à adapter – je pourrais en avoir des dizaines de prêts ce soir et une centaine demain matin. » Il parlait comme un homme qui mâchait une la viande infecte, persévérant dans ce qui devait être fait.
« Bien, dit Kayla. Et puis nous les jetons à la mer après ça, n'est-ce pas ? »
Cela prit un moment, mais Tavnos se rendit rendu compte que Kayla plaisantait avec lui. Il sourit et Kayla rit. Synthétique et aiguisée. Nerveux, mais authentique. Avec un signe de tête d'adieu, Tavnos se dépêcha de se mettre au travail.
« Vous abritez des démons mécaniques, » aboya Raddic à l'encontre de Kayla alors qu'elle émergeait de la herse. Avancé sur le pommeau de sa selle, la bouche jamais tout à fait fermée, le soleil se couchant sur son épaule, Raddic avait une silhouette animale. Sa posture rappelait à Kayla la façon langoureuse dont certains félins prédateurs se comportaient – ??détendu et mortel. Sa voix était froide comme la lame d'un poignard, et cette fois, dix cavaliers en armure noire le flanquaient. « Lorsque nos fidèles ont essayé de chasser les machines, vos gardes les ont tués, siffla presque Raddic entre ses dents. N'entendez-vous pas leurs enfants pleurer ? Ou est-ce que le bourdonnement des pierres infernales de ta ville noie ces pleurs ? »
Pierres infernales ? Les lampadaires, pensa Kayla. L'hiver dernier, Tavnos avait envoyé ses artificiers pour installer des éclats de lithoforce brisés dans les lumières publiques, s'assurant que même dans les tempêtes hivernales les plus mordantes, Penregon resterait allumé dans l'obscurité. Dans les coins tranquilles de la ville, on pouvait les entendre bourdonner. Une réalisation rampante et piquante rampait dans le dos de Kayla.
Kayla n'avait jamais vu la bannière noire de Tal flotter dans la ville, ni entendu aucun prédicateur de rue vanter les saintes écritures du dieu du soleil, mais elle ne pouvait pas être partout. « Depuis combien de temps vos gens sont-ils à Penregon ? demanda Kayla.
– Assez longtemps pour savoir que cette ville ne peut pas être sauvée, cracha Raddic. De nombreux fidèles sont arrivés ici il y a des années, à la recherche un abri inespéré, car ils pensaient que vous connaissiez le danger de la machine. Ils ont vu avec horreur comment vous avez accueilli l'un des hommes du Protecteur dans votre conseil, comment vos artificiers ont travaillé pour donner vie à plus de machines et comment ils entraînent les démons mécaniques de Penregon à obéir à leurs ordres. Les fidèles ont bravé les cols difficiles pour nous dire que Penregon est impénitent, gronda Raddic. « Vous et votre peuple êtes des imbéciles. Vous élevez de nouveaux murs et consommez la terre de la même manière que les tueurs Urza et Mishra l'ont fait. Dites-moi, Dame Kayla, pourquoi vous accrochez-vous aux choses mêmes qui ont tué l'ancien monde ?
– Nos robots civils ne sont pas ces machines, affirma Kayla. Les œuvres d'Urza et de Mishra sont mortes quand eux sont morts. Nous construisons...
– De nouveaux démons pour un nouveau monde, » compléta Raddic, rejetant sa protestation. Il regardait derrière elle, vers Penregon. « Nous ne pouvons pas sauver cette ville, déplora-t-il.
– Nous n'avons pas besoin de votre aide, lança Kayla. Nous vous avons offert des fournitures pour votre voyage vers la Tour comme vous l'avez demandé, une aide à votre peuple après son long voyage, mais maintenant vous devez continuer. Penregon n'a pas besoin de vous, et nous ne voulons pas non plus nous battre. Laissez-nous.
– Chassez-les. » Raddic l'ignorait. Il appela vers les murs de la ville, regardant les gardes et la milice nerveuse là-bas. « Conduisez les démons mécaniques dans la mer, ordonna-t-il. Prosternez-vous et implorez le pardon de Tal. Marchez jusqu'à la Tour Blanche et détruisez-la, brique à brique, ou à l'aube, nous ferons de même de Penregon. »
Myrel commença à dégainer son épée, mais Kayla leva la main. Myrel remit son épée dans son fourreau, fixant Raddic.
« Peuple de Penregon, beugla Raddic. Vous n'êtes pas encore nos ennemis. Vous qui vomissez et maudissez les démons des machines, vous qui rejetez les dirigeants qui ne peuvent pas imaginer un monde sans machines, vous trouverez de la compagnie parmi nous. » Il tendit la main vers l'un de ses compagnons, qui lui passa une lance. « L'ère de la magie mécanique est révolue, dit Raddic en levant la lance au-dessus de sa tête. Choisissez : mourir avec elle ou vivre avec nous ! »
Myrel tira complètement son épée cette fois, mais Raddic n'attaqua pas. Au lieu de cela, Raddic jeta la lance sur les pavés entre lui et Kayla. Elle vacilla et rebondit jusqu'à s'arrêter à ses pieds.
« A l'aube, » dit Raddic., vous aurez décidé, Dame Kayla. » Il fit tourner son cheval et siffla à ses cavaliers. Ensemble, ils mirent leurs chevaux en mouvement et se dirigèrent vers leur camp.
« Dois-je faire tirer mes archers ? » demanda Myrel.
Un vent froid balayait la route pavée qui menait à Penregon. Les champs étendus devant la ville, si rayonnants au début du printemps, étaient réduits en ruines boueuses. Le fleuve sombre de la marche des Talites s'y était répandu, leurs feux de camp y brûlaient. Les Khers se dressaient au-delà, gris et austère.
C'était la fin du monde. La fin de l'ère des artifices et des machines ; à l'aube, une nouvelle ère déferlerait sur Terisiare.
« Gardez nos flèches, décida Kayla. Nous en aurons besoin demain. »