Wilhelt aima Gisa dans la vie ; dans la mort, il l'aime encore. Mais la reine incontestée de Thraben souffrira-t-elle ce prétendant imprévu ? Vous trouverez l'article original ici.
La danse de la non-mort
Mon frère le plus cher,
(Seulement parce que nos parents n'ont jamais vu l'intérêt de me donner un autre frère, meilleur, ce qui était bien égoïste de leur part, vraiment. Mais comme tu es à la fois le seul frère que j'ai et la seule personne à peu près assez maline pour comprendre mon génie, je suppose que tu devras, et c'est avec regret, le faire.)
Les affaires sont devenues terriblement ennuyeuses ici à Thraben. J'en commence à souhaiter que tu sois là, pas pour me faire la guerre comme lorsque nous étions enfants – ces jours sont définitivement derrière nous, et mieux à leur place, enterrés, ce qui n'est pas quelque chose que je dirais fréquemment – mais pour fabriquer de nouvelles merveilles auxquelles opposer mes chères troupes. J'ai presque entièrement épuisé les ressources vivantes de cette région autrefois si vigoureuse, et par ma vie, je ne peux pas te dire où sont passés tous les humains ! Certainement, un grand nombre d'entre eux est mort, mais comme ceux-là sont toujours avec moi, dans une forme légèrement plus plaisante, il paraît que leurs compagnons auraient dû rester aussi, ne serait-ce que pour leurs ridicules pitreries et agiter les torches.
Vraiment, mon frère, j'avais oublié combien les amusements de ce grand jeu se trouvent dans ce que les événements ont d'imprévisible. Une armée de morts est quelque chose d'une joie et d'une beauté éternelles, mais il n'y a pas grand-chose d'imprévisible dans un bataillon qui suit tous les ordres impeccablement et sans hésitation. Je rêve de quelque chose qui vaille de m'y opposer !
Pour tout ce que tu es, une abomination aux mâchoires molles sous les yeux de la lune qui t'observe, je rêve de toi. De tous les adversaires méritant l'honneur de ma considération. Même parmi tes constructions de tendons et de peau putrides, insignifiantes, formées à partir de la chair de bons et honnêtes zombies.
J'ai rappelé tant de rats de la tombe. Ils dansent sur les toits de Thraben comme les ballets les plus talentueux, et ils ne s'arrêtent jamais, pas même quand ils perdent leurs orteils et leur queue, pourrissant dans une splendeur sans fin. Mais quel est le but, quand personne n'apprécie mes efforts ? J'ai accompli notre plus grand rêve, la conquête absolue, et je l'ai trouvée plus vide que tout ce que j'aurais pu imaginer.
Ta sœur aimante,
Gisa.
Gisa,
Si tu es insatisfaite de Thraben, tu ne peux blâmer que toi-même, et ton horrible personnalité, qui a rendu l'isolement ton destin implacable depuis que nous étions enfants, et nul ne peut tolérer ta compagnie longtemps, du moins tant qu'on respire. J'ai toujours su que tu ne serais jamais heureuse que parmi les morts. Eh bien, voilà ton vœu.
Si tu n'y trouves pas de joie, c'est dans ta tête. Ne me contacte pas de nouveau.
Geralf.
Le plat éclata contre le mur, envoyant des éclats d'une porcelaine antique et inestimable dans toutes les directions. Gisa cria, un pleur de banshee tiré de la gorge d'une vivante, et saisit la tasse de thé assortie.
À partir de la pile d'éclats déjà accumulés contre la base du mur, il était évident pour quiconque qui l'observât qu'elle faisait cela depuis un certain temps. Non pas qu'il y ait encore quiconque pour l'observer ; les débris de sa crise de rage seraient l'artefact de quelque archéologue pour le siège de Thraben, un jour, quand la vie reprendrait la ville-devenue-crypte à sa régente indésirable.
« Ce gâchis crasseux, sans talent, sans valeur d'un squelette parfaitement bon ! » criait Gisa, fracassant la tasse de thé contre ses semblables. Le bruit qu'elle fit en éclatant avait l'air de la calmer d'une certaine manière, parce qu'elle prit son temps en prenant le plat suivant, le soupesant prudemment dans sa main, comme pour considérer l'angle du lancer. Un observateur lambda qui ne saurait rien d'autre aurait pu prendre cette pause comme une opportunité pour l'interrompre et lui suggérer de faire quelque chose de plus apaisant de son temps ou d'arrêter de fracasser ses tasses de thé pour songer à en boire plutôt un qui soit relaxant.
Malheureusement, tous ceux qui restaient dans ce qui fut la cathédrale centrale de Thraben, à part Gisa elle-même, étaient au-delà de telles suggestions, étant sans erreur possible morts. La leveuse de goules avait fait ce qu'il y avait de plus raisonnable après que les zombies de Liliana eurent pris la ville et que Liliana elle-même en partit ; elle l'avait sécurisée. Cela signifiait, éliminer le plus de population vivante possible, puisque les vivants étaient célèbres pour leur égoïsme, et avaient tendance à ne pas aimer qu'on leur marchât sur les pieds.
N'ayant aucune volonté d'être renversée, emprisonnée, ou pire, regarder ses morts bien-aimés enterrés de nouveau avant qu'elle en eût fini avec eux, Gisa s'occupa de la menace.
Mais la menace était aussi une source des matières premières avec lesquelles grandir son armée, et de n'être pas – beurk – une raccommodeuse comme son frère flétrui, puisse-t-il être consumé par le feu et le fer de la chair vivante jusqu'à ce qu'il se rende à l'étreinte miséricordieuse de la mort elle-même, elle ne pouvait pas réassembler les créatures une fois qu'elles avaient atteint un certain état d'endommagement. Leur chair pourrissait bien plus lentement qu'elle l'aurait fait dans le sol, sans sa vitalité empruntée pour la soutenir, mais elle pourrissait encore. Les membres tombaient. Les mâchoires se distendaient ; les dents sortaient de leurs gencives. Elle pouvait tenir la ville pour l'instant, tant que sa légion était forte et son autorité absolue ; elle ne pourrait tenir toujours.
Impératrice de la tombe vide et reine incontestée de Thraben, Gisa s'effondra dans le fauteuil rembourré qui lui servait de trône, fit tomber son menton sur ses jointures de doigt, et se mit à bouder.
En dehors des murs de Thraben, sur la longue route vide entre la ville et la dernière autre ville toujours tenue par des humains dans le domaine ténu de Gisa – maintenant une coquille étouffante occupée par les geists des damnés et des morts, laissés à brûler quand ils refusaient de se lever, qui se rassemblaient lentement – une armée marchait.
Elle marchait sans faim ni élan, sans pause pour se reposer. Quand un marcheur tombait, il était laissé dans la boue, autre couche de sol sous les pieds de ses semblables. Pas un seul ne se révoltait ni ne se plaignait. Ces faiblesses étaient désormais derrière eux.
Au devant de leur colonne chevauchait un homme au visage émacié et à la crinière encore glorieuse malgré la pourriture et le sang qui caillé à proximité de son crâne. Son destrier était un destrier autrefois puissant, dont la robe avait été pelée par la décadence, ne laissant qu'une sculpture marchante de muscle et d'os. Chaque pas remuait ses flancs et faisait tomber des mouchetures de chair, le dépouillant pas à pas.
Il portait son cavalier vers l'avant, borné dans la mort comme aucun être vivant pourrait l'être, et ce cavalier observait l'horizon, hache à la main, cherchant des signes de mouvement à proximité des murs de Thraben.
Il pouvait la sentir même à présent, appelant, appelant, appelant sans fin. Il n'était pas l'un de ses esclaves écervelés, car le seul nom qu'il pût lui donner était architecte de sa seconde existence, meilleure ; il serait mort satisfait, heureux grâce à l'histoire de sa vie, avec les femmes qu'il avait courtisées et les œuvres qu'il avait accomplies, si elle ne l'avait pas éconduit avec si peu de justice. Lui et Gisa étaient faits pour être ensemble. Quel plus grande preuve que le fait que, lorsqu'il mourut, il se leva grâce aux souvenirs encore flous de son appel, étant encore l'homme qu'il fut dans sa vie, toujours vigoureux et séduisant, prêt à la courtiser et être courtisé en retour ? Il la chercherait. Il la trouverait. Et il prendrait la place qui lui revenait, à ses côtés, Wilhelt le Coupe-souffle et Gisa la Glorieuse, figures dignes de la légende qui grandirait assurément autour d'eux, enterrant ses racines dans le sol fertile de leur amour.
Avant sa propre mort et son retour, il aurait dit que les goules ne gardaient aucune âme, que quoi que ce fût qui les animât, ça n'avait rien à voir avec les sentiments humains. Et vraiment, elles avaient toujours eu l'air insensibles quand il marchait parmi les vivants, quand elles étaient des monstres qui rôdaient la nuit et terrorisaient les innocents ; mais maintenant il savait la vérité. Maintenant qu'il marchait de l'autre côté de la tombe, il voyait enfin la magnifique complexité qui sommeillait dans les cœurs des morts qui ne battent pas. Chaque jour, quand son armée s'abritait de ce qu'a de pire le soleil – l'odeur de la pourriture au soleil ne faisait rien gagner – il fermait ses yeux et rêvait de ses rêves de mort, de Gisa.
Gisa, son but. Gisa, son amour. Gisa, qui serait sa reine aussitôt qu'elle accepterait que son amour était vrai et son approche sincère.
Au devant de sa colonne de morts, Wilhelt marchait sur Thraben, et le silence le suivait, qui n'était pas brisé par les cris des hommes ou les caquètements des oiseaux de charogne. Là où son armée marchait, il ne restait rien pour vivre.
Cher Estropieur,
Je savais que tu étais mon inférieur. Je n'aurais jamais deviné que tu puisses être si cruel. J'ai joué à tes jeux stupides. Je t'ai suivi dans ses règles sans fin, sans but, insupportables. J'étais la meilleure des sœurs, la meilleure de toutes les sœurs possibles – bien meilleure que ce que tu méritais – et maintenant tu m'abandonnerais à l'ennui et la poussière ? Tu ne peux même pas envoyer quelque chose d'horrible et d'inutile, rafistolé d'une douzaine d'oiseaux énormes, pour me donner quelque chose à faire de mon temps ? Je suis en deuil et je dépéris ici, cher frère, et par moment, je voudrais même que les gens de Thraben – ceux qui ont survécu, les faibles et les lâches qui étaient là, pour courir devant ton arrogante petite amie, cette Liliana – prennent leurs torches et leurs épées et marchent contre moi, comme ils l'auraient fait dans le bon vieux temps.
Mais hélas, je sais où se situent les gens de Thraben, et ils sont tous déjà avec moi, tous à mon service. Je pourrais leur commander d'assiéger mes remparts et de menacer leurs semblables, mais ce ne serait pas grand-chose de plus que de jouer avec son ombre, toutes les poupées accrochées à ma main. Je pourrais abandonner le contrôle de quelques uns, les laissant devenir sauvages et furieux, mais ils seraient trop vite démembrés par le reste de ma horde, et mes sujets sont bons, obéissants, et surtout, ils sont à moi. Les sacrifier avec tant de frivolité serait antipathique à l'extrême. Je ne peux pas leur faire ça. Qu'importe la force de la tentation. Ce serait injuste.
Tu vois, je peux même traiter équitablement les morts sous ma domination, et tu ne peux pas faire la même chose pour ta propre sœur que tu aimais tant ! Vois quel genre de frère tu t'es avéré être.
Plus si bien à toi,
Gisa.
Gisa,
Je suis talentueux dans mon art, même si j'admets que tu as un style à toi. Nos parents nous ont légués de bons os et du bon sang en même temps, et nous aurions été bêtes en effet de gaspiller les deux. Comme je sais que tu as utilisé les os de nos parents, contre mes objections de crécelle, je dois admettre que tu utilises bien leur sang aussi dans ta domination continue de Thraben.
J'admets que ta pensée fulgurante de réclamer le contrôle de la ville et les esclaves abandonnés de Liliana m'a impressionné. J'aurais fait la même chose, si j'avais été à ta place et si j'avais eu tes talents. Mais je ne suis pas jaloux. Ma propre œuvre consume chaque instant de veille ; honnêtement, je ne sais même pas comment je suis parvenu à trouver le temps de répondre à ta dernière missive pleurnicharde.
Non, je ne viendrai pas te sauver des fruits de tes propres machinations. Non, je n'interviendrai pas dans le désastre de tes propres actions. Tu l'as voulu. Dans la parlure vulgaire, tu as creusé ta propre tombe, et maintenant, pourris bien dedans.
Geralf.
Gisa déambulait sur le balcon de la cathédrale, tournant autour de la flèche encore et encore, le vent fouettant ses cheveux et ses habits, devenus un désordre à peine remarqué. Quelques chauve-souris mortes glapirent leur adoration quand elle leur passa devant, et elle reconnut leur service avec un remuement des doigts, incapable de prendre ne serait-ce qu'un peu de plaisir dans leur loyauté aux ailes de cuir. Appeler des petits mammifères, même ceux qui volent, c'était du travail d'enfant ; Geralf poufferait certainement s'il les voyait et demanderait avec ce ton supérieur, suffisant, si elle ne pensait pas avoir passé ce stade prépubère.
Argh. Le bourdonnement de son arrogance lui manquait tant, la manière dont il étirait ses voyelles comme si ce fussent elles-mêmes des jugements, la manière dont il pensait qu'il était plus savant que quiconque, quel que fût le sujet. Elle ne pourrait jamais l'admettre en face, et l'aurait nié jusqu'à la tombe, mais son frère lui manquait.
C'était étrange, d'être loin de lui si longtemps pour d'autres raisons que l'enfermement de l'un ou des deux par des idiots aux petites pensées qui ne pouvaient comprendre le pouvoir du génie des Cecani. De mourir au service de leur race était un privilège, pas un droit, et les gens ne devraient pas réagir si bassement à la question de l'honneur. Surtout comme ce n'était pas comme s'ils restaient bien longtemps morts.
Gisa, hagarde, observait le ciel nocturne couvert de nuages, comme pour le défier de faire quelque chose qui l'offensât plus que la dernière missive de son frère. Puis elle s'arrêta.
Quelqu'un chevauchait vers Thraben.
Nul n'avait chevauché sur cette route pendant des mois. Elle avait été plutôt abandonnée depuis que les morts de Liliana – les morts de Gisa, à présent – avaient pris la ville, et aucun vivant ne remettait en question ses frontières ! Mais à présent quelqu'un venait, la lumière se reflétait sur l'arme dans sa main, et ce qui semblait une pleine légion d'hommes marchait derrière lui. Gisa regardait, les yeux plissés, les formes qui se mouvaient le long de la route.
Non, pas des hommes. Ils se déplaçaient comme un seul, étrangement organisés, mais sans la douceur des vivants – leurs pieds se levaient et frappaient le sol avec le rythme saccadé des morts. Ils étaient des hommes relevés, et cela signifiait que l'homme à leur tête devait être leur leveur de goules. Elle fronça les sourcils. Nul n'allait prendre son territoire. Nul n'allait ne fût-ce qu'essayer de la défier.
Et c'était quelque chose à faire, ce qui était indiciblement délicieux. Elle se précipita dans les escaliers, descendant dans les profondeurs de la cathédrale, les chauve-souris mortes-vivantes voletant dans son passage et couinant dans un registre que même la plupart des morts ne pouvait entendre.
Wilhelt atteignit les portes de Thraben, fermées et rouillées, dont aucune main humaine n'avait graissé les gonds depuis bien plus longtemps qu'il le fallût, et trouva Gisa attendant déjà là, sa glorieuse chevelure dénouée, sa belle robe déchirée de la plus élégante et artiste manière. Elle devait faire cela pour célébrer son arrivée, car pourquoi se serait-elle rendue si belle pour un homme qui lui fût inférieur ?
« Belle Gisa, » cria-t-il, la voix encore claire et forte, malgré les ténèbres de la tombe. Assurément, cela suffirait à lui dire qu'il n'était pas une goule ordinaire ! Combien de morts relevés pourraient parler si distinctement, pourraient se souvenir du nom de la femme qu'ils avaient aimée dans leur vie ? Aucun de sa compagnie ne pouvait accomplir un tel miracle ! « Enfin, ta solitude prend fin, car je suis venu te rejoindre ! »
Gisa le regarda, ses lèvres parfaites se courbant dans un lent sourire, ce sourcil parfait se relevant dans ce qui paraissait être de l'incompréhension. Enfin, penchant sa tête sur le côté, elle demanda : « Je te connais ? »
Wilhelt la fixait. « Bien entendu, répondit-il. Je suis Wilhelt le Coupe-Souffle, et je suis venu pour te couper le souffle.
- Je m'en sers encore, » rétorqua-t-elle.
Les yeux de Wilhelt commencèrent à se teinter de colère. « Nous nous sommes rencontrés dans les bois ! C'était un jour magnifique, encore plus par la radiance ajoutée de ta présence.
- Oh, le reconnut soudain Gisa. Wilham. Je me souviens bien de toi. Tu étais ce joli, joli garçon des bois que j'ai rencontré alors que je fouillais cet antique tumulus pour de nouveaux amis. Tu étais moins intéressant que tout ce que j'ai pu trouver de mort, et je t'ai laissé à tes arbres. Je n'ai pas vraiment de place pour la vanité dans ma vie ; pas avec Geralf si consumé par le besoin de se pâmer sur son propre génie. » Comme il ne bougeait pas, elle leva une main et fit un signe plein de langueur, qui aurait dû le pousser à décarrer.
Cela ne marcha pas. Il la regardait, bouche bée, les yeux pleins de désillusion. « J'ai fait tout ce chemin... tu me rejetterais encore, après tout ce que j'ai fait pour toi ? Je suis mort pour toi ! » Enfin, ce n'était pas tout à fait vrai. Mais l'arbre qui lui était tombé dessus avait quand même un air très romantique.
« Ça n'a pas eu l'air de tenir longtemps, et tu t'es levé sans l'aide d'un leveur de goules, apparemment, dit Gisa qui choquait Wilhelt par son ton de congédiement. « Pff. Du travail de sagouin, si tu veux mon avis. N'importe quel idiot peut planter un buisson. Mais ça demande un maître de former un éléphant à partir de ce buisson. »
Wilhelt ne cessait de la regarder tandis qu'elle levait les mains et sifflait dans une longue note grave qui eut l'air de se fixer à la base de son échine et fit comme un coup sec, comme un hameçon saisit un poisson. Il fit face au désir soudain, presque irrésistible de poser sa hache et d'aller avec elle, de se ranger de son côté. D'être un esclave et non un commandant, sujet aux caprices et lubies du désir de sa maîtresse.
Son bras tremblait, ses muscles soudain fatigués de soutenir sa lourde arme, et il tremblait tout entier, avec la force de résister. Il était venu là pour la rejoindre comme égal, non comme esclave, mais aux yeux de Gisa Cecani, les morts ne pouvaient jamais être égaux, jamais des pairs, ils pouvaient certainement être aimés, comme des animaux de compagnie, mais ne pouvaient incarner son foyer, son confort.
Il n'était pas un objet. Il était Wilhelt, surnommé le Coupe-Souffle par chaque femme qui l'avait jamais regardé – chaque femme sauf une – et c'était la seule femme qui aurait potentiellement pu le valoir. Il avait appelé une armée, bien qu'il ne fût pas leveur de goule dans sa vie, et ils marchaient derrière ses pas. Il ne se rendrait pas. Gisa tirait. Wilhelt tirait en retour. Gisa donna à un coup sec. Wilhelt s'effondra presque, sa volonté se rendant, avant de recouvrer sa poigne mentale et de donner un coup sec en réponse, brisant le lien entre eux tandis que mourait le sifflement de Gisa, étranglé dans sa gorge.
Elle toussa, crachant quelques notes dissonantes, puis le regarda, les yeux plissés. « Alors, tu veux jouer comme ça ? »
Il renâcla. « Je ne suis pas une poupée pour tes jeux ! Laisse-moi une chance, belle Gisa, et je prouverai que je suis ton pair dans la mort glorieuse !
- Très bien alors. Je m'ennuyais de toute façon. » Et elle se retira derrière les portes de Thraben, les claquant avec force derrière elle, laissant Wilhelt et son armée debout en face de la ville, son élan brisé, mais l'esprit toujours totalement sien.
Gisa fracassa la porte et déferla pour s'appuyer contre elle, comme si son corps frêle serait la dernière barrière pour empêcher que cet homme et sa légion fissent une brèche dans les murs de sa ville. Imaginez, Wilham, là ! Dans Thraben, là où il n'avait jamais été invité, entrant comme si elle lui appartenait ! Et levé sans aide, comme si ce n'était pas déjà incroyablement gauche !
Les gens mouraient, devenaient des cadavres. Les leveurs de goules les ramenaient dans le Plan, les transformaient en goules. Ou les bouchers comme son frère utilisaient la science pour les transmuer en d'hideuses parodies de vie, comme si l'électricité et les connexions chimiques pouvaient remplacer la bonne vieille nécromancie ! Les gens ne mouraient pas simplement avant de revenir de leur propre chef ! Enfin, si, elle le savait parfaitement que c'était le cas, mais ils ne devraient pas ! C'était inapproprié ! Superflu ! C'était...
C'était brouillon. Oui, c'était le mot qu'elle cherchait.
Brouillon, mais tout aussi bienvenu, parce que c'était quelque chose à faire. Geralf pouvait penser qu'il était le seul adversaire qu'elle pût avoir, mais elle savait mieux, et cela... Wilham était parvenu à accomplir quelque chose d'inattendu et d'assez ennuyant pour qu'il pût être aussi un défi convenable. Il n'y avait rien comme l'opportunité de se tester ainsi que ses jouets adorés contre une force opposante ! Oh, elle s'était attendue à quelque chose de pareil à ce jour.
Quand quelque chose se fracassa contre la porte à l'extérieur, Gisa se raidit, siffla ses sujets pour qu'ils vinssent vers elle, et courut. Non qu'elle eût peur d'un homme mort, oh non, pas le moins du monde, mais il était en force sur la route devant sa ville, tandis qu'elle était soutenue seulement des quelques uns qui étaient assez proches pour la rejoindre sans être remarqués. S'il venait avec toute son armée, il la rencontrerait dans toute sa gloire, et ils aimeraient à voir qui était supérieur dans la danse de la non-mort. Il apprendrait, comme tous les autres avant lui, que ceux qui sous-estimaient Gisa Cecani le faisaient à leurs dépens.
Ils faisaient rarement quoi que ce fût ensuite, à moins qu'elle leur demandât.
Les sabots de l'étalon de Wilhelt battaient contre les portes rouillées de Thraben, en échos graves, comme de cloches, alors que Wilhelt pressait la bête, jusqu'à ce que la porte s'effondrât entre deux coups et que la ville s'ouvrît devant lui. Wilhelt pressa ses troupes dans l'entrée, choisissant – sagement – de chevaucher au centre de la formation, plutôt qu'à sa tête. Ils avaient besoin d'être dirigés, et il ne pouvait pas le faire s'il ne pouvait voir ce qui se passait.
Oui. C'était absolument cette raison, par la vague peur de ce qu'une leveuse de goules en colère pouvait faire acculée dans son propre repaire. Il pressait son armée vers l'avant et eux, comme ils n'avaient pas de volonté propre, avançaient. Il chevauchait, bien protégé par les corps en décomposition de ses semblables, et ne remarqua pas que le ciel au-dessus de lui commençait à s'assombrir.
Ils passèrent sous un pont de pierre, et quand ils furent passés de l'autre côté, le ciel resta aussi sombre au-dessus d'eux. Wilhelt regarda vers le haut.
L'essaim, le voile de chauves-souris et de corneilles, de corbeaux et de vautours, ouvrant des gueules pourrissantes, criaient dans leur gorges pourries, et descendirent.
Seuls les leveurs de goules les plus puissants peuvent siffler les bêtes hors de leurs trous, les faire sortir de leurs nids, mais ceux qui en sont capables ont tendance à être remarquablement attachés à l'essaim, le nid de rats ou les volées de chauves-souris tombés dans leurs mains. Gisa, qui avait reçu la population d'une ville à plier à ses desseins, n'était pas différente. Des oiseaux morts-vivants qui pourrissaient tombaient du ciel pour lacérer de leurs serres Wilhelt et ses hommes. Ils battaient des bras infructueusement pour repousser leurs assaillants, tandis que Wilhelt protégeait son visage avec ses bras avant de hurler avec rage et de faire un grand arc de cercle avec sa hache, les oiseaux fendus devenus une pluie de sang et de chair. Il frappa encore, et encore, et rit tandis que ses sujets commençaient à saisir dans les airs les créatures volantes pour les déchirer en deux.
Et il continua d'avancer.
Ils sortirent de l'entrée de la ville, vers l'avenue principale qui autrefois marquait le quartier petit mais vivace des commerçants. Les magasins étaient vides, les portes entrouvertes, les fenêtres sombres. Wilhelt pressa ses hommes vers l'avant.
Ils étaient à mi-chemin de l'avenue quand les morts se précipitèrent des bâtiments de chaque côté, mains levées, prêts à saisir, déchirer et tuer.
« GIIISSSSAAAAA ! » rugit Wilhelt, brandissant sa hache tandis que la bataille faisait rage autour de lui. Son cheval se cabra et donna des coups de pattes, traversant de ses sabots acérés des crânes fragiles.
« Pas besoin de crier, » dit une voix irritée depuis le chemin au-dessus. Wilhelt leva la tête. « Allez, là, Wilham, ça ne devrait pas se passer comme ça. Pourquoi ne pas les faire se rendre au meilleur de nous deux ? Ce sera une meilleur fin que celle à laquelle ils font face à présent... »
Désespérément, Wilhelt regarda ses hommes. Ils combattaient vaillamment, mais tandis qu'il avait une armée, Gisa avait un peuple. Pour chaque goule tuée par ses hommes, trois autres déferlaient pour prendre sa place, se déversant sans fin des magasins brisés. Si cela continuait, ils perdraient. Il se retourna vers Gisa.
« Non, renâcla-t-il. Je te prouverai que nous pouvons être plus que de jouets !
- Mais tu me le montres bien, à jouer avec tes petits soldats, soupira Gisa. Très bien. Adieu, Wilham. » Puis elle fuit difficilement le long de la voie, ne regardant pas derrière elle, tandis que ses soldats se jetaient en avant.
Elle était toujours magnifique. Wilhelt l'admira partir, mélancolique comme il l'avait toujours été, tandis que les morts de Gisa luttaient contre sa propre ligne dans un concours brutal. Ils ne pouvaient espérer vaincre – il le comprenait à présent. Mais peut-être qu'un triomphe dans un bras de fer (sans compter les jambes, et têtes coupées) n'était pas la seule voie vers le cœur de Gisa.
Wilhelt tira de son plastron la lettre qu'il avait transportée sur son propre cœur qui ne battait plus, depuis se résurrection. Elle avait été écrite avant que ses doigts se raidissent, empêchant de former des simples mots, et elle était toujours assez lisible, pour celle d'une goule. Alors, comment ferait-elle pour n'être pas impressionnée par lui ?
Se tournant vers ses hommes, il choisit l'un des moins démembrés, qui avait l'air assez alerte, et lança la lettre dans sa direction. « Vas-y, ordonna-t-il. Tu es mon cadeau pour elle. Cours jusqu'à ce qu'elle te demande de ne plus le faire, fais seulement attention à lui donner la lettre avant d'abandonner ta volonté. »
L'homme prit la lettre et courut, traînant des pieds et s'effondrant, dans la direction dans laquelle Gisa s'était enfuie.
Gisa se plaça d'elle-même au centre de la place, tordant ses mains et respirant vite. Elle n'aurait pas dû être si remuée par l'idée d'un combat contre quiconque que ce stupide, stupide Geralf, mais elle l'était ; ce « Wilham » pouvait bien n'être rien qu'une goule, il était cependant parvenu à lever sa propre armée pour lui faire face. Il était trop collant – elle n'allait pas l'inviter à partager son repaire de sitôt – mais il était intrigant. Elle voulait bien l'admettre.
Une goule solitaire courut vers la place, droit vers elle, une enveloppe serrée dans la main. Elle siffla et sentit le hameçon de son chant plonger dans son esprit pourrissant, l'arrachant des griffes de Wilhelt en un instant. Elle sourit tandis que le garçon s'approchait plus calmement, maintenant bien sous son contrôle, et prit l'enveloppe de sa main.
À l'intérieur se trouvait une seule feuille de papier. Elle cligna des yeux, la relisant une fois avant de la mettre en boule et de la jeter au sol.
« Belle Gisa,
C'est pour toi que j'ai vécu. C'est toi que j'ai aimée. C'est pour toi que je me suis levé.
Tout ce que j'ai fait dans mon existence n'a servi qu'à obtenir ton approbation.
Fais de moi le plus heureux des hommes ou des goules, et sois ma reine.
Wilhelt. »
WILHELT. Comme si elle pouvait se tromper sur son nom, s'il importait moitié moins que ce qu'il pensait ! La présomption de cet homme, de venir sur son territoire, de lui nier les goules qui lui appartenaient justement, pour ensuite sous-entendre qu'elle pouvait avoir tort sur quelque chose d'aussi simple qu'un nom !
Elle se résolut à le détruire.
L'armée d'envahisseurs déferla sur la place, son chef beau et pourrissant à l'avant. Pour la première fois, il descendit de son cheval, avançant vers elle, la hache à la main.
« Gisa ! »
Elle roula des yeux. « Oui, Wilham, je connais mon propre prénom. C'est ta dernière chance – rends-toi, rends tes goules, tout cela à moi, et je te laisserai – eh bien, pas vivre. Mais tu as l'idée. »
Il lança un regard à la boule de papier sur le sol et son visage se déconfit. « Nulle n'a jamais résisté à mes charmes.
- Cher Wilham, il y a une première fois à tout. » Elle siffla, d'un sifflement court et aigu, et il sentit la maîtrise de ses hommes tirée de nouveau par cette force invisible. Il savait que c'était Gisa luttant pour les lui arracher. Wilhelt rugit et donna un coup sec en retour, trouvant des délices à voir Gisa trébucher, même ne fût-ce qu'un peu ; il était fort, le voyait-elle ? Il pouvait la forcer à écouter !
Puis Gisa cria, et toutes les chauves-souris de Thraben descendirent des cieux.
Ça n'avait pas l'air possible que quelque chose d'aussi petit qu'une chauve-souris puisse posséder des dents si acérées, ou attaquer avec tant de férocité. Pour chacune d'entre elles que Wilhelt ou ses hommes giflaient, quatre autres tombaient du ciel, criant métalliquement et déchirant toute chair exposée. Même une armure n'était d'aucune utilité contre un flot ininterrompu de mammifères volants, dont l'instinct de conservation avait été ôté.
Finalement, avec les restes traînards de son armée, Wilhelt fut contraint de faire demi-tour et de fuir, ne voulant pas que sa deuxième, et sans doute dernière vie, finît aussi vite abruptement que la première.
Gisa se tira du verre brisé qui couvrait les marches de la cathédrale, les cris des morts résonnant toujours dans ses oreilles, assez forts pour presque éclipser le marteau apaisant qui battait dans son cœur. Geralf ne lui laisserait jamais avoir le dernier mot si elle mourait avant lui ! Des bouts de cadavres brisés étaient épars autour de la place, humains mais pas que ; un couple de corbeaux morts-vivants picoraient les yeux du cheval de Wilham, tombé et décapité, la tête et ses yeux à quelque distance du reste.
Wilham quant à lui était parti. Gisa ne pouvait trouver un seul morceau de lui.
Elle parcourut du regard la place maculée de sang et d'entrailles et soupira. C'était la fin du jeu, alors. Eh bien, il y avait toujours la prochaine à reprendre.
Et Geralf ne prendrait-il pas plaisir à la voir ?
Mon très cher frère,
J'ai conclu que tu étais perdu sans moi et avais besoin de ma présence aimante de sœur pour donner du sens à ta vie gâchée. Je suis déjà sur le chemin et devrais arriver au beau milieu de la nuit. Prépare-moi une chambre. Je suis impatiente de voir ce que tu as fait pendant que j'étais occupée à régner sur la ville que ta petite amie inutile a abandonnée !
De nouveau, ta sœur qui t'adore,
Gisa.
Gisa,
Quoi ? Non ! Je n'ai pas besoin de ta présence, qui n'a jamais été aimante, et n'est celle d'une sœur que d'un point de vue tristement technique de notre relation ! Tu ne feras que perturber mes recherches. S'il te plaît, je t'en conjure, si tu dois quitter Thraben, va n'importe où sur Innistrad, mais pas chez moi, s'il te plaît. N'importe où, sauf ici.
Certainement MAL à toi,
Geralf.