Wrenn, qui doit trouver un nouvel hôte, se retrouve piégée par la malhabileté de Téfeiri... Comment s'en tireront-ils ? Vous trouverez l'article original ici.
Enchevêtrements
Il y avait quelque chose d'unique dans l'air d'Innistrad. Peut-être étaient-ce les horreurs dont les arbres avaient été témoins ici, le sang qui imbibait la terre dans laquelle ils plongeaient leurs racines assoiffées, les os qui tapissaient les lits des rivières, mais l'air de ce plan était comme aucun autre. Wrenn et Six firent un pas – l'un de leurs derniers ensemble – et posèrent leur énorme pied sur la terre d'Innistrad, au plus profond de la forêt de Kessig. C'était à proximité de là où ils s'étaient rencontrés pour la première fois.
Ici ? demanda Wrenn, sans ouvrir la bouche. À quel point cette question faisait mal et la brûlait, à quel point cela faisait mal. Cette partie était toujours douloureuse.
D'une certaine manière, cela faisait plus mal cette fois que quand elle s'était séparée de Quatre, qui avait été si gravement blessé au combat qu'ils avaient à peine été capables d'accomplir leurs derniers pas ensemble avant que le vieil arbre courageux frémît et l'expulsât de son cœur, la faisant tomber, les membres nus et exposés, sur la terre d'Innistrad. C'était un nouveau plan pour elle alors, mais un à propos duquel elle avait entendu des rumeurs auparavant.
Ces rumeurs, des bouches d'autres Planeswalkers, prétendaient que les plus beaux arbres poussaient dans la forêt de Kessig, et après son temps passé avec Six, elle avait tendance à approuver.
Non. Proche, répondit l'arbre. Wrenn acquiesça de leur vaste tête et continua à travers le bois, loin de l'endroit où ils étaient arrivé, cherchant une clairière assez grande pour soutenir la gloire de Six.
Peut-être que cette séparation était plus douloureuse parce que Six pouvait continuer, pouvait rester avec elle, mais avait choisi de ne pas le faire, et une part de la raison pour laquelle leur partenariat fonctionnait depuis toujours était qu'elle écoutait quand le gros arbre parlait. Ils étaient partenaires, pas un propriétaire et son outil. Elle avait vu des mages qui traitaient leurs partenaires comme des bêtes de somme et les forçaient à travailler au-delà de leur propre épuisement. La graine de Wrenn avait été plantée par un meilleur parent, et elle avait été élevée pour respecter ceux qui la servaient, même si sa guerre n'était pas la leur.
Ils avaient fait cinq autres pas quand l'arbre parla de nouveau, disant Ici. Halte.
Wrenn s'arrêta. Ils plantèrent leurs racines profondément dans le sol, et petit à petit, elle commença à s'extirper du foyer qui avait été le sien pendant si longtemps. Tandis qu'elle tirait, sa perception du grand arbre faiblissait, jusqu'à ce qu'elle se sentît comme une dent qui flanchait dans la gencive, toujours partie d'un corps mais qui n'attendait qu'un dernier coup pour s'en séparer entièrement.
Puis, après une dernière saccade qu'elle sentit jusqu'au fond de son estomac, elle se déracina et ne fut plus jointe à Six. Six, qui n'était plus le majestueux et imposant sylvin qu'il était devenu pendant leur temps ensemble – les arbres n'ont pas vraiment de sexe, mais les dryades si, et en découvrant ce concept dans l'esprit de Wrenn, Six réfléchit à son choix et décida qu'il préférait le masculin – était maintenant un chêne d'Innistrad, mûr, en bonne santé, magnifiquement tordu, ses branches s'étirant vers le ciel nuageux.
Wrenn soupira et apposa son front contre son écorce, inspirant son parfum familier une dernière fois. « Un jour, promit-elle, un jour, dans bien longtemps, quand Sept sera fatigué et que j'aurai besoin de mon Huit, je reviendrai ici. Je marcherai de nouveau dans ces bois, et je te trouverai, mon vieil ami, et tes scions auront eu le temps de devenir de jeunes arbres vigoureux, et je leur offrirai le choix qu'un jour je t'ai offert, et si l'un d'entre eux l'acceptait, je me sentirais heureuse au-delà de toute mesure. »
Ils ne pouvaient plus communiquer en silence, leurs esprits séparés pour la première fois. La conscience de Six s'évanouirait à mesure qu'il s'installerait dans le sol et rejoindrait les arbres qui étaient naturellement ses compagnons et les siens. Son partenaire la quittait, et tandis qu'elle aurait encore pu se tirer à l'intérieur, ce n'était pas ce qu'il voulait. Elle le laisserait partir, pour sa propre volonté. La vie d'un Planeswalker n'était pas quelque chose de simple, même pour un qui avait entendu l'appel sans recevoir d'aide.
Cependant, elle imagina sentir la gratitude et la joie à travers son écorce, et elle sourit tandis qu'elle s'éloignait. Il lui manquerait. Mais c'était cela que le passé ; c'est derrière toi. Le futur était devant.
Il était temps de trouver le sien.
Après avoir passé la meilleure part du jour à déambuler dans la forêt de Kessig, suivant le murmure du chant sylvestre qui lui disait qu'il y avait un partenaire viable grandissant ici, elle commençait à douter que la promesse du futur serait jamais remplie. Ses pieds lui faisaient mal, et ses jambes étaient fatiguées. C'étaient des choses qu'elle avait toujours eues mais qu'elle avait rarement de raison d'utiliser. Maintenant elles étaient tant endolories qu'elle avait l'impression qu'elle n'était plus qu'elles, et le chant sylvestre l'attirait toujours plus profond dans la forêt, la pressant, lui promettant un partenaire compatible devant.
Ces quelques chanceux dont les plans abritaient des dryades natives avaient tendance à penser qu'ils pourraient se lier avec n'importe quel arbre, que n'importe quel réceptacle boisé pourrait être assez pour les satisfaire. Il n'en était pas ainsi. Comme avec n'importe quelle forme de magie, la leur requérait une certaine harmonie pour chanter convenablement. Le chant du jeune arbre de Wrenn remplissait son corps. N'importe quel arbre proche pouvait l'entendre, et ceux qui connaissaient l'harmonie chanteraient en retour.
Autrefois, Six avait chanté pour elle. Maintenant c'était une présence silencieuse derrière elle tandis qu'elle s'enfonçait dans le bois, et que le nouveau chanteur était soit très loin soit très faible, car son chant était maigre et dur à entendre.
Peut-être qu'elle aurait pu moins respecter le désir de Six de revenir chez lui et de s'arrêter au premier arbre harmonieux qu'elle aurait vu une fois qu'il lui avait annoncé son désir de se séparer d'elle. Mais ç'aurait été une cruauté, et sa force n'était pas encore morte. Elle pouvait continuer.
Déterminée à faire comme les siens l'avaient toujours, survivre, Wrenn avançait, de plus en plus profondément dans la forêt de Kessig, suivant le chant de l'arbre qui l'attendait quelque part dans les clairières.
Téfeiri n'avait jamais visité Innistrad auparavant. Ç'avait toujours été une histoire contée par d'autres voyageurs, une rumeur murmurée au passage, jusqu'à ce que la curiosité se combinât au temps pour en faire une destination digne d'intérêt. Les locaux étaient des gens effrayés, avec de bonnes raisons, craignant les étrangers mais hospitaliers une fois convaincus que leurs visiteurs ne les blesseraient pas. Ils avaient, pour certains, besoin de n'importe quelle lueur d'espoir, n'importe quel gentil mot ou éventualité que la vie pût être plus facile ailleurs. Incapable de les libérer de leur terre natale et ne voulant pas considérer les logistiques d'un tel effort fou, Téfeiri avait commencé à trouver leur compagnie constante fatigante.
Le repos vint dans une forme inattendue, quand les cathares de l'église locale déboulèrent dans la taverne avec des rapports d'une sorcière blanche vue dans les bois. Ici sur Innistrad, il n'était pas déraisonnable de penser que n'importe quel phénomène inconnu pouvait être un danger, et l'hospitalité qu'on lui avait offert était suffisante pour qu'il se sentît obligé d'offrir de l'aide. Ainsi il se trouva à la lisière de la forêt accompagné par, quoique séparé, d'un détachement d'hommes, épées et arcs à l'affût, cherchant leur soi-disant sorcière blanche et la terrible abomination qu'elle avait apparemment invoquée. Il n'avait aucune idée de ce que la menace pourrait être, seulement qu'elle avait été vue comme suffisante pour mener les cathares dans le bois et lui permettre de fuir ses hôtes.
Les cathares se répandaient, à la recherche de signes de la sorcière dont on leur avait dit qu'elle rôdait parmi ces arbres. Téfeiri les regarda partir avant de pénétrer dans les arbres à son tour. Aucune jeune sorcière d'ici ne serait à ce point une menace pour lui, et il voulait comprendre la forêt s'il le pouvait. Les forêts étaient différentes d'un monde à l'autre, mais elles avaient certains traits communs – des chênes et des ormes, par exemple, pouvaient être trouvé presque n'importe où où il y avait des arbres, et la senteur de leurs feuilles ne variaient jamais autant qu'il l'aurait attendu. Peut-être que s'il avait été plus habitué aux magies naturelles, il aurait compris les raisons. Peut-être que ce serait une bonne chose de laquelle discuter avec le prochain mage de la nature qu'il rencontrerait, supposé qu'il soit d'humeur à converser. C'était toujours enrichissant d'apprendre plus sur le fonctionnement des plans, qui pouvaient être si différents et si harmonieux en même temps.
« Par ici, » appela l'un des cathares, sa voix suivie pour le bruit des pas qui craquaient les feuilles en passant, sans doute pour chasser leur proie. Comme aucun d'entre eux n'était assez proche pour remarquer s'il les suivait, Téfeiri ne sentit aucun besoin de le faire.
Quelque chose vacillait à la lisière de son attention, d'autre que les arbres, autre que les cathares qui s'éloignaient. Il se retourna, observant les ténèbres. Il ne vit rien ici. Après une pause d'un instant pour froncer les sourcils en direction du chemin vide, il reprit sa déambulation, plus lentement à présent, prenant son temps pour étudier les alentours.
Peut-être était-ce pour cela qu'il entendit la femme.
Elle parlait doucement, à voix basse et lancée à proximité, avec des voyelles arrondies qui ne correspondaient à aucun accent qu'il connaissait. Il ajusta son chemin en direction de la voix, n'appelant pas encore les cathares pour qu'ils le rejoignissent, et il s'arrêta quand il vit la figure debout dans l'ombre d'un des grands chênes.
Elle était pâle, si pâle qu'elle avait l'air faite entièrement d'écorce de tremble, un esprit blanc se détachant contre les sombres troncs des chênes autour d'elle. Ses cheveux étaient longs, lâchés, et encore plus blancs, rigides et blancs comme des os. Son front était osé contre un des arbres, le visage obscurci par l'angle, et ses mots avaient l'air lancés à l'arbre lui-même.
Téfeiri marcha dans sa direction, les mains ouvertes devant lui, les doigts tendus pour montrer qu'il ne façonnait aucun symbole arcanique, ne préparait aucun sort. D'après ses couleurs, elle était vraisemblablement la « sorcière blanche » des cathares, mais elle avait plus l'air d'un cadeau du bois, car nul ne pouvait comprendre le monde naturel comme une dryade le pouvait, car il y avait un espace de malentendu entre ceux faits de chair et de sang et ceux de sève. Son pied, placé sans y faire attention, craqua la plus fine des branches tombées, et elle se retourna brusquement, les yeux grand ouvert, son dos pressé contre l'écorce de l'arbre auquel elle avait parlé. Comme elle ne fusionna pas avec, il se pensa en sécurité et continua d'approcher, s'arrêtant à une distance respectueuse avec une révérence légère.
« Pardonnez mon intrusion, mais vous n'aviez pas l'air en bon état, dit-il. Puis-je vous offrir mon aide ?
- Reste en arrière, mage, susurra-t-elle avec une voix aussi tranchante qu'une branche brisée quoiqu'encore douce. Je peux me défendre.
- Je préférerais ne pas combattre, répondit-il. C'est une manière étrange de rencontrer des gens. Les locaux ont bien assez faim de combat pour nous deux. Puis-je présumer que vous cherchiez un moment de paix ?
- Je suis venue chercher un arbre, rétorqua-t-elle avec prudence et les yeux plissés.
- Ne cherchez pas plus loin, » dit Téfeiri en indiquant de ses mains les arbres tout autour d'eux.
La dryade rit avec ironie. « Si seulement c'était aussi simple. Mais non. Aucun de ces arbres n'est assez fort pour me soutenir.
- Pardonnez-moi, répondit Téfeiri avec les sourcils froncés, mais je croyais qu'une dryade naissait avec son arbre, grandissait en tandem avec lui, et ne le quittait jamais.
- Elles le font. Enfin, nous le faisons. Enfin, il y a eu un grand feu un jour. Il a dévoré les arbres des miens, jusqu'à ce que je trouve un moyen de le tirer en moi. Il brûle toujours ici. Il me brûle à présent. Il me donne la souplesse de bouger d'arbre en arbre, si l'arbre peut contenir le feu. Quand il était toujours nouveau et lumineux, l'enfer m'a menée jusqu'à un arbre dont le chant connaissait le mien. Nous nous sommes unis, et nous sommes devenus Un. Avec Un, poursuivit-elle en s'adoucissant, j'ai appris que ceux d'entre nous qui n'ont pas de racines pour s'ancrer peuvent marcher comme ils veulent, pas limités à un seul monde, et quand elle eut passé son temps comme ma partenaire, je l'ai autorisée à prendre racine dans un autre monde, et ai trouvé un autre arbre avec lequel chanter.
- Vous n'avez plus d'arbre à présent.
- Non.
- Êtes-vous bloquée sur un plan sans en avoir un ?
- J'ai besoin d'un partenaire pour voyager, admit-elle. Mais Six s'est fatigué, et cette forêt était son commencement, alors il a demandé si je pouvais le ramener chez lui avant qu'il se raidisse, et il était bon avec moi. Il m'a emmenée loin. Je l'ai emmené chez lui et ai écouté le chant qui m'autoriserait à continuer mes propres voyages. Et je pensais que je l'avais trouvé, alors j'ai voyagé vers lui jusqu'à ce que je ne puisse plus aller plus loin, et désormais je crains que le feu ne me saisisse. »
Téfeiri fronça les sourcils, essayant de mettre en ordre les phrases décomposées, tandis que des bruits de pas parmi les arbres annonçaient la présence des cathares. « Je pense que le mage est venu par là, » cria l'un d'entre eux.
La dryade regarda Téfeiri avec une aversion subite. « Alors tu étais un appât pour m'appeler et m'attraper ? demanda-t-elle en serrant les poings, tandis que l'air au-dessus d'eux devenait rouge d'un feu vacillant. Je ne suis pas si facile à tuer quand j'ai encore quelque chose à brûler.
- Paix, je vous en prie, dit-il en levant les mains. Ils ne sont pas avec moi. Enfin, ils le sont, précisa-t-il après une grimace, je suppose, mais je ne suis pas avec eux. Si nous allons plus profondément dans les bois, nous pouvons les ralentir. Peux-tu marcher ?
- Je ne peux pas quitter ce monde seule, acquiesça-t-elle, mais je peux marcher.
- Alors marchons, » dit Téfeiri en lui offrant son bras.
La chaleur sur les mains de Wrenn vacilla et s'évanouit, et ses doigts, alors qu'elle les glissait dans le creux de son coude, étaient aussi froids que le bois intact et moins souple qu'il les aurait crus. Mais il se pliaient comme des doigts devaient se plier, tassant sa chair, et ils commencèrent à marcher, elle était aussi agile que quiconque.
Ils n'étaient pas partis loin quand il grimaça et soupira, les yeux fermés. « Vas-tu bien ? demanda Wrenn.
- Nous sommes suivis, répondit-il avant qu'elle se crispât. Non, pas par les cathares, et ne t'embête pas à te retourner. Ça me suivait déjà avant, et je n'ai rien vu en regardant.
- Tout n'est pas visible sur Innistrad, dit Wrenn. Le sol n'encourage pas les morts à reposer.
- Les morts nous veulent-ils du mal ?
- Quoi que ce soit qui suit des voyageurs dans les bois sans les approcher ne veut rien de bien. Je présume que cela nous veut du mal, oui.
- C'était ma crainte, confirma Téfeiri en se retournant lentement pour empêcher Wrenn de s'effondrer, avant de lorgner dans l'obscurité derrière eux. Montre-toi. »
Rien ne se matérialisa. Mais les ombres, qui étaient déjà profondes, s'approfondirent et s'alourdirent avec la sensation d'une présence invisible. Quoi que ce fût, cela ne voulait aucun bien ; l'aura de malveillance qui se dégageait de la profonde obscurité était assez palpable pour que même Wrenn, qui avait peu de lien avec les morts ou les mondes spirituels, se raidît et plissât les yeux.
« Ce n'est pas un des arbres, murmura-t-elle. Ça n'a pas de chant.
- Montre-toi, » répéta Téfeiri, agitant ses doigts dans une série rapide de lignes en spirales et courbées qui se finirent par un lever de main, la paume pointée en direction des profondes ombres. Une lumière bleue jaillit de sa peau, et quand elle s'évanouit, une figure rôdait où s'était trouvée la présence malicieuse. C'était une parodie bizarre et pervertie d'un humanoïde, à l'intersection entre l'homme, la bête, et l'arbre. Sa bouche était une gueule béante emplie de dents angulaires qui n'avaient jamais poussé dans la bouche d'un être vivant.
Cela siffla, avec un son grave et guttural, et Téfeiri réagit sans y penser, levant ses mains et déchaînant un torrent de magie bleue crépitante. La forme se tordit et se précipita en avant, interprétant à juste titre cela comme une attaque, et les yeux de Téfeiri s'élargirent. N'importe quel simple fantôme ou spectre aurait été banni par ce coup, rejeté en avant dans le temps en le laissant sans menace. Il murmura une douce phrase et poussa plus de magie dans ses doigts, tandis que le spectre reculait, sifflant toujours, avant de finalement s'évanouir dans une explosion de terrible énergie nécrotique.
Il se retourna vers Wrenn, les mains abaissées. Elle était tombée lorsqu'il s'était éloigné si rapidement, et le regardait depuis le sol, délicat fantôme de femme. « Mes excuses, souffla-t-il en s'agenouillant avec les mains tendues. Mais la chose est partie, pour l'instant.
- Comme notre chemin du retour, dit-elle avec amertume en étant tirée sur ses pieds. Regarde ce que tu as fait, mage. »
Téfeiri regarda par-dessus son épaule. Le chemin était parti, ou plutôt, le chemin était répliqué, transformé d'une ligne raisonnablement droite à travers les arbres en une boule enchevêtrée de chemins identiques, chacun divisé en embranchements, jusqu'à ce que les chemins n'eussent plus l'air de pouvoir se différencier. Le craquèlement caractéristique du temps tenait le tout.
« ... Oh, dit Téfeiri d'une voix éteinte.
- Oui, dit Wrenn. Oh. L'arbre qui m'a appelée est parti, ajouta-t-elle avec plus de rage dans la voix. Je ne peux plus l'entendre. Sais-tu ce que tu as fait ?
- Je crains que non, avoua-t-il en regardant ses mains et l'air qui en quelques endroits était encore de bulles bleues. Ce qui est inquiétant. Tu es venue ici chercher un arbre. Ne peux-tu pas te réfugier dans l'un d'eux ? demanda-t-il en indiquant les arbres autour.
- Si seulement, avec un début de rire maniaque dans sa voix. Ce sont des arbres beaux, mûrs qui pourraient me transporter loin... s'ils étaient des partenaires convenables. Mais aucun d'eux ne me chante. Aucun d'eux ne peut porter mon feu. L'arbre qui m'a appelé n'était encore que très jeune. Trop jeune pour me supporter. Trop petit pour contenir la flamme.
- Trouvons donc un autre arbre, avant que le feu ne te brûle.
- Cela ne marche pas ainsi, protesta la femme avec une voix de plus en plus irrégulière. Nous, dryades, traversons le monde avec nos arbres pour nous conserver et nous ancrer. Parce que mon cœur est fait de feu, quand je marche, mon arbre marche avec moi. Je ne peux avoir aucun partenaire trop petit pour s'accommoder à moi, pas plus que je ne peux convaincre un arbre qui ne me va pas de me transporter dans le monde. Je dois trouver un arbre, mais je n'ai pas autant de temps que je le voudrais ! »
Téfeiri fronça les sourcils, suivant le fil de son histoire dans ce qu'elle ne disait pas. Il commença de nouveau à marcher, et elle le suivit, trop sensible pour rester seule en arrière. « Paix, mon amie, dit-il enfin. Tu dois trouver un arbre. Je dois trouver une voie hors de ce bordel que j'ai mis. Peut-être pouvons-nous trouver ces choses ensemble ?
- Ce n'est pas comme si on pouvait faire quoi que ce soit d'autre, rétorqua-t-elle. Mais comme je l'ai dit, j'ai peu de temps.
- Je comprends que tu ne veuilles pas admettre ta faiblesse en face d'un étranger, acquiesça Téfeiri, mais j'ai l'impression que tu dis que sans un arbre, tu mourras.
- Je peux me défendre ! lâcha-t-elle, l'air autour d'elle moite de chaleur tandis qu'elle puisait dans le mana qu'il lui restait. Ne me défie pas, mage.
- Paix, dryade. Paix, et prénoms. Le mien est Téfeiri. Et le tien ?
- Ils me nomment Wrenn, répondit-elle en perdant quelque peu de la circonspection sur son visage. J'ai entendu parler de toi, mage. Ta légende voyage plus loin que tes pas, dit-elle avec un rythme de proverbe.
- J'espère que c'étaient de bonnes choses, sourit-il. Des choses qui t'amènent à croire que je ne blesserais pas un innocent.
- Nul de ceux qui traversent le monde ne sont innocents, dit Wrenn. Cependant, la plupart de tes histoires ont été... moins que terribles. Nombreux sont ceux qui te disent bon. Je te ferai confiance pour l'instant, dit-elle en joignant à la parole le refroidissement de son feu. Oui. Sans arbre, mon voyage s'achèvera ici.
- Peux-tu en écouter un autre, si je t'accorde mon soutien ?
- Je peux écouter, mais tu devras me guider. »
Téfeiri regarda autour ce labyrinthe bizarre qu'était devenu le monde, vide des présences de cathares ou de spectres, et il soupira. « Aussi bien que quiconque le pourrait, je suppose que je le ferai. »
Ils avaient marché durant la plus grande partie de l'après-midi en suivant le chemin entortillé. Aucun d'eux ne connaissait assez les environs pour savoir quelles modifications avaient été faites quand Téfeiri avait banni le monstre. Certains arbres à proximité avaient l'air redoutablement familiers, et Téfeiri tendit une étincelle scintillante, recula tandis que la coquille de son propre sort le frappait en retour, si semblable à ce qu'il avait fait à Zhalfir, et en même temps pas tellement semblable. Il pouvait sentir le passage du temps autour d'eux ; Wrenn s'affaiblissait, cherchant toujours le chant sylvestre qui la sauverait. Le temps avançait. Ils étaient toujours en phase avec Innistrad.
Ils étaient seulement... bloqués.
« Nous sommes déjà passés par là, dit Wrenn. Nous avons fait une grande boucle.
- Non, répondit Téfeiri malgré ses propres soupçons. Nous n'avons jamais tourné. Nous avons marché vers le sud ou presque vers le sud, tout ce temps.
- Peux-tu entendre le chant sylvestre comme je fais ? demanda Wrenn. Est-ce que les arbres te murmurent leurs désirs, pour te faire comprendre ce qu'ils souhaitent ? Si c'est le cas, je te croirai. Si, comme c'est le plus probable, ce n'est pas le cas, alors tu n'as aucun moyen de me contredire, et je suis fatiguée. Nous sommes presque là où nous avons commencé. »
Téfeiri l'observa à la recherche d'un quelconque signe d'inconstance. Elle le regarda calmement en retour, les yeux ouverts et pleins de franchise. D'après ce qu'il voyait, elle disait la vérité. Il s'arrêta au milieu du chemin, sentant le temps s'écouler autour d'eux, et là, à la frontière de son œuvre, lui donnant une saveur sans le vicier, il y avait le souvenir de la présence rôdeuse. Elle était juste là. Il aurait dû être capable de défaire ce sort en moins de temps qu'il ne faut pour le dire !
Et plutôt, il persistait, les piégeant et les défiant. Wrenn retira sa main du bras de Téfeiri et marcha sur une bûche pourrie, encore gracieuse malgré son épuisement qui augmentait clairement. Elle s'assit, le dos légèrement courbé, et dit : « Ce n'est pas la fin que je voyais à l'histoire dans laquelle j'ai été plantée.
- Ce n'est pas une fin, protesta Téfeiri. C'est un sort qui a mal tourné. Tu en as sans doute déjà vu auparavant.
- Oui, et quand cela m'arrive, je les décortique jusqu'à ce qu'ils se dissolvent dans mes mains... s'estompa sa voix face à la grimace de Téfeiri. Quoi ?
- Les décortiquer comment ?
- Tout ce qui vient de toi te reste, pour toujours, répondit-elle. L'eau qui passe dans la terre jusqu'aux racines de l'arbre fait toujours partie des nuages ; l'histoire qui suit tes pas est toujours une partie de qui tu as été, et qui tu as été est toujours une partie de ce que tu es et seras. Si le sort persiste, tu peux le réunir près de toi, trouver les endroits où il s'est enchevêtré au-delà de tes intentions, et le mettre en pièces. Ces pièces peuvent être relâchées sans peine, dans le mana qui est toute chose. N'est-ce pas ainsi que les tiens voient les racines de la magie ? dit Wrenn après avoir cligné des yeux.
- Non, répondit-il avec prudence. Nous voyons nos œuvres dans une manière un peu moins... organique. C'est une idée intéressante.
- La magie vit. Peux-tu voir ton sort ?
- Oui.
- Peux-tu le toucher ?
- Oui, admit-il après une grimace due au souvenir de la piqûre de la magie sur ses doigts.
- Peux-tu le tenir ?
- Pas par moi-même.
- Ah. Tes racines sont trop superficielles. Là... je vais t'aider. » Elle chantonna une seule note claire et puissante, et la magie naturelle du bois tournoya autour de lui, brillante et grandissante, soutenant les étincelles de sa propre œuvre liée au temps. « Maintenant, tu peux le tenir ?
- Oui, souffla-t-il en atteignant son sort sans que ce dernier puisse le repousser.
- Bien. Maintenant, souviens-toi que la meilleure manière de défaire un nœud est de le manipuler. Il y a toujours un point d'entrée, un endroit où les branches ne s'entrelacent pas tout à fait. Utilise-le pour entrer dans son chant. Trouve les endroits où il échoue à trouver l'harmonie parfaite avec lui-même, et tu pourras le défaire. »
Téfeiri fronça les sourcils, mais ne voulut pas débattre avec elle, pas alors qu'elle s'était tant affaiblie dans la poigne serrée de son propre sort de magie du temps qui avait mal tourné. Il prit une inspiration et chercha la distorsion, l'accroc qu'elle avait décrit. Quand il le trouva, ce n'était pas une note hors de sa place ou une erreur à harmoniser ; c'était une trotteuse si légèrement détonante, une gorge de sablier permettant le passage d'un peu trop de sable. C'était si léger qu'il aurait pu passer dessus un milier de fois s'il avait étudié le sort normalement, sans la magie naturelle de Wrenn pour nourrir la sienne. Maintenant, il précipita les mains de son attention sur ce lieu et quand cette minuscule faiblesse plia devant lui, il plongea ses doigts mentaux dans l'ouverture comme pour retirer la peau d'une orange.
La couche superficielle écartée, il était plus simple de « voir » comment le sort avait été tordu, l'interaction de cette présence terrifiante et de son mana bleu clair. Le temps était tordu, horloge fracassée, au milieu de ce qui aurait dû être une simple œuvre. Petit à petit, il raidit et dénoua les rouages, revenant à l'intention originale du sort, et quand cela fut fait, cela ne piquait plus ses doigts. Il pouvait le toucher aussi facilement que quoi que ce soit d'intact.
Il leva la tête, et le chemin était de nouveau comme il avait été, pas droit, mais pas non plus un labyrinthe enchevêtré. La voie était claire. La sensation de la magie du temps de travers ne pesait plus dans l'air. La magie de Wrenn se retira de la sienne, et il se retourna vers elle. Elle le regardait avec des yeux exténués.
« Ta légende voyage vertueusement, dit-elle. Tu mérites ce qu'ils chantent en ton honneur.
- Pas tous, répondit Téfeiri en songeant à ses échecs passés. Là d'où je viens, Zhalfir... je l'ai perdu.
- Tu l'as perdu ?
- Oui. Tout le continent, par un sort pareil à celui-ci. Je n'ai jamais été capable de défaire ce que j'avais fait. Mais si nous trouvons un nouvel arbre, peut-être... s'illumina-t-il.
- Si nos chemins se croisent de nouveau, » le coupa-t-elle avant de se raidir en fixant un point derrière lui dans la forêt.
Téfeiri se maudit. Si la présence n'avait pas été complètement bannie, de retirer le sort pouvait lui avoir permis de revenir. Et même sans cela, les cathares pouvaient toujours hanter ce bois. Il se retourna lentement, prêt pour une attaque.
Il vit à la place un arbre pareil à tous les autres autour de lui, un chêne grand et mûr avec des feuilles vertes, en bonne santé, et des branches qui se répandaient. Puis Wrenn passa devant lui, ses yeux sur le tronc, apparemment incapable de les en retirer. Il n'était pas sûr qu'elle respirait. Il n'était pas non plus sûr que les dryades eussent besoin de respirer. Les lois de la nature étaient en un sens différentes en ce qui concernait les filles des clairières. Elles marchaient dans leur propre définition de la réalité.
Wrenn marchait, pas à pas chancelant, vers cet arbre. Quand elle fut assez proche, elle leva les mains, le bout des doigts frottant l'écorce, et siffla. Le son était grave et doux. Si Téfeiri ne l'avait pas regardée, il aurait pris cela pour le chant d'un oiseau. Elle tendit sa tête comme si elle écoutait et plongea ensuite dans l'arbre lui-même, se fondant dans son corps comme un poisson se fond dans les eaux claires. L'arbre ne donnait aucun signe de ce qui s'était passé, et Wrenn était partie.
Téfeiri cligna des yeux et marcha lui-même vers l'arbre. Il l'avait presque atteint quand l'écorce se fendit et que la tête de Wrenn émergea. La vue d'un arbre parfaitement normal avec la tête et les épaules d'une femme saillant du côté n'était qu'à peine déconcertant, et aucunement plus étrange que quoi que ce soit qui s'était passé aujourd'hui.
« Tu es un miracle, mage, siffla-t-elle, radieuse. Un miracle et une erreur au même moment est plus commune que ce que tu pourrais penser !
- Que veux-tu dire ?
- Demande-le au chant, » dit-elle avant de revenir dans l'arbre, qui commença à se secouer et trembler, comme s'il se tirait du sol. Puis, comme Téfeiri le vit, il prit la forme d'un homme, d'un sylvin en sommeil en train de s'éveiller. Wrenn réapparut tandis que l'arbre se transformait, saillant de sa poitrine comme la figure de proue d'un navire, la majorité de son corps toujours contenue dans l'écorce, un sourire béat sur le visage.
En un instant, Téfeiri comprit : « C'est le jeune arbre qui te chantait.
- Tu as tordu le temps. Les arbres font du temps de la sagesse, et celui-ci savait que j'étais proche. Il a rassemblé tout le temps qu'il pouvait contenir, dit-elle avant de porter son oreille à l'écorce comme pour écouter. Sept dit qu'il te remercie pour ce que tu as fait, même si tu ne le voulais pas. Il m'appelait mais je n'aurais pas eu la chance d'écouter. Il veut voir les mondes.
- Et tu peux les lui montrer ?
- Ta légende voyage plus loin que tes pieds. Ma légende voyage précisément aussi loin. Tu as toute ma reconnaissance.
- Comme tu as la mienne, pour m'avoir aidé à défaire mon propre nœud.
- Alors nous nous sommes bien rencontrés, mage, et je te souhaite toute paix dans ce que tu es venu chercher ici. Je t'aiderai si je le peux, dans l'avenir, mais pour l'instant, j'ai promis à Sept des terres au-delà d'Innistrad, et je dois tenir parole. » L'arbre – ou le sylvin, ou le réceptacle, quelle que soit la nature de ce qu'il était devenu – grandissait toujours, surmontant les autres chênes, portant Wrenn au loin. Elle fit un signe de main à Téfeiri, puis se reposa contre le tronc derrière et autour d'elle, fermant les yeux. Le grand sylvin fit un pas en avant et puis un autre tandis que les arbres s'éloignaient d'eux et revenaient à leur place. Quand tous les arbres furent revenus, la dryade et le sylvin étaient partis.
Pour la première fois depuis son entrée dans ces bois, Téfeiri était seul. Il sourit dans l'air vide et se tourna pour revenir au village duquel il était venu. Il pourrait dire aux cathares que le problème avait été réglé, et il ne mentirait pas. Peut-être n'avait-ce pas été la paix qu'il recherchait, mais c'était une leçon qu'il n'avait pas cherchée, et une nouvelle alliée de trouvée, et ces choses étaient préférables à la paix, spécialement pour un homme dont les pieds pouvaient voyager plus loin que sa légende.