Au cours des cinq prochains épisodes, nous n'aurons pas affaire à la Grande Histoire, aux Planeswalkers surpuissants qui changent la nature même des choses et entreprennent une guerre acharnée sur le plan de Ravnica. Non. Nous parlerons des Ravnicans qui, tandis qu'un machiavélique dragon manigance on ne sait trop quoi dans l'ombre, ne reçoivent peut-être pas l'attention qu'ils méritent.
Pour cette fois-ci, je vais tenter de traduire intégralement le texte. C'est hasardeux, un peu trop littéral ; mais au moins a-t-elle le mérite d'exister. Il peut s'y glisser des fautes dues à la fatigue ou l'inattention, que vous pouvez me signaler sait-on jamais. J'en fais tout de même un résumé en fin d'article pour ceux qui n'auraient pas le courage de tout lire.
Partie 1 : Sous le couvert du brouillard
Une mouche de surveillance aux ailes d'argent bourdonne près de mon oreille et je résiste à l'envie de la chasser. Quiconque s'était chargé de la magie là-dessus avait fait un travail médiocre, probablement un mage de l'esprit de première année. On dirait que l'insecte passe plus de temps à me regarder qu'à aider à retrouver les colis contenant des armes. Je n'avais pas trouvé grand-chose au cours des premières semaines de travail sur les quais, mais là il n'y a pas un jour sans que je découvre une caisse pleine de maillets de bataille incrustés de joyaux, d'armures sculptées dans l'os ou de couteaux empoisonnés. La tension monte à Ravnica, j'en suis sûr, mais la Maison Dimir ne s'attend pas à ce que je réfléchisse. Ils s'attendent à ce que je travaille dans ces emplois secrets sans me faire prendre. Avec des caisses empilées sur une dizaine de pieds de haut et entassées dans un labyrinthe de passages minces, mon travail est simple: poser rapidement le pied de biche sur le couvercle, craquer le sceau de la caisse, juste assez pour que l'insecte vole à l'intérieur, puis il revient... Seulement cette fois, une lueur à l'intérieur de la caisse attire mon attention.
« Whisky du Contrefort Sud », lit-on sur l'étiquette, et sans autre pensée, la bouteille de whisky est entre mes mains. Cher, enchanté et vieilli dans des fûts d'arbres millénaires abattus illégalement dans la forêt selesnyanne. Immoral? Peut être. Lucratif? Absolument. Bien fait pour eux, à ne pas sceller la caisse avec un sort plus fort. Le parasite stridule, mais il est trop tard. Mon esprit imagine déjà le tas de lingots d'or que je pourrais obtenir pour cela. La longue et mince bouteille se glisserait bien dans la poche de ma veste longue. Personne ne le remarquerait. Soudain, l'insecte siffle, puis je lève les yeux, maintenant trop attentif aux pas que j'aurais dû écouter.Tout doux, Merret, tout doux. Le brouillard tourbillonne, m'obscurcissant la vue, et dans ces derniers instants de temps gagné, je fourre la bouteille confortablement dans la caisse au fond de paille, tapotant doucement le couvercle fermé et essayant de ne pas attirer la suspicion.
« Ah ! Merret ! » s'exclame Grimbly Wothis, mon boss, les bras croisés sur son large poitrail, ses cornes ripant contre les caisses de chaque côté. Mi-homme, mi-taureau, cent pourcents dur à cuire. « Juste la personne que je cherchais.
– Monsieur ? » dis-je en détournant les yeux, en essayant de me fondre dans mon environnement. En souhaitant pouvoir devenir invisible.
« Le brouillard est trop épais et un investisseur potentiel souhaite voir le port. Efface-le pour moi.
– Warwick ne peut-il pas le faire ? » demandé-je. Je peux gérer un peu de brouillard, mais malgré un an d'entraînement, je n'ai pas assez de concentration pour en nettoyer le port. Peux pas me concentrer suffisamment pour infliger des cauchemars ou purger des souvenirs. En tant qu'agent secret de la Maison Dimir, je n'ai pas grand chose à offrir, si ce n'est la capacité de faire fonctionner un pied de biche.
« Warwick est parti. Et Bender aussi. J'ai que toi. » Il me regarde de haut en bas, les narines brûlantes. « Malheureusement.
– Merci pour votre confiance.
– Comment tu trouves ça comme confiance... tu ne le nettoies pas et tu ne reçois pas ton salaire pour aujourd'hui ?
– Je suis dessus, patron, » grogné-je. Aurais dû prendre la fichue bouteille. Je ne peux en aucun moyen faire que ce brouillard disparaisse. Les factures sont en retard, ma femme et mes enfants ont faim. Une autre journée avec une paie en suspens et une dette plus lourde. Je déambule jusqu'au bord de la jetée la plus profonde et me concentre sur la magie qui m'entoure. Je tire, aspirant le pouvoir comme une inspiration de fragments de verre, puis libère une force de moi battant comme un tonnerre contre l'intérieur de mes tympans. Le brouillard tourbillonne à peine, se dissipant à peu près à mi-chemin de l'autre côté de la rivière, juste assez pour révéler une goélette Simic élégante aux voiles ornées de spirales coupant l'eau. Deux personnes suivent le bateau. Celui qui est en tête se tourne vers moi, grogne, puis appuie une paume palmée contre la coque du navire. En quelques secondes, la goélette disparaît dans une ondulation miroitante bleu verdâtre, indistinguable de la rivière à moins qu'on sache où regarder.
Wothis piétine avec ses sabots, son rire profond et rugissant est un équivalent presque parfait de la sonorité d'une corne de brume. « Nous n'avons rien vu, n'est-ce pas ? » dit-il en se tournant vers son investisseur, son sourire malicieux s'étirant largement. « La couverture de brouillard est un argument de vente essentiel pour les types de navires qui naviguent dans ces régions et, comme vous allez le constater, il est très rentable. Demain, je vous montrerai le port. Ce soir, nous buvons aux débuts d'un nouveau partenariat ! » Gracieusement, Wothis frappe sa main massive et fourrée contre le dos de l'investisseur, le faisant avancer, mais pas avant de me lancer un regard fendant l'âme.
Mes pieds patinent doucement contre les marches mouillées de mon immeuble, évitant ainsi le craquement de feuilles mortes accumulées dans les coins. Les immeubles résidentiels se rassemblent, leurs flèches pointant vers le ciel comme une énorme bouche pleine de crocs aiguisés. Le soleil ne brille pas ici. Jamais. Keyhole Village n'est pas le pire quartier dans lequel nous aurions pu finir, mais parfois, la tristesse me prend.
Neuf étages plus haut, je jette un coup d'oeil vers une fenêtre ouverte. Notre petite cuisine a l'air d'avoir été frappée par un sort de rage, des bols renversés et des cuillères étalées sur le plan de travail. Tashi berce le bébé sur sa hanche alors qu'elle prépare des pommades de guérison mineures à partir d'un mélange d'épices et de morceaux de sanglier achetés au marché. Elle travaille dans la faible lumière d'une seule bougie qui flotte inconfortablement près du tissu lâche de son manteau - c'est le manteau vert avec les feuilles dorées imprimées sur la bordure. Je crois me souvenir que ça allait bien, une fois.
Je tourne la poignée et m'avance à l'intérieur. La maison Dimir n'a rien sur les pièges qui jonchent notre sol. Des blocs de bois attendent, prêts à empaler un pied nu avec leurs angles vifs. Un xylophone à roulettes en côtes offre une voie rapide vers une nuque brisée. Je les contourne presque comme une seconde nature et me prépare à annoncer la nouvelle à ma femme.
« Merret ! Enfin », souffle Tashi exaspérée. Elle enfonce le bébé dans mes bras, qui a presque un an maintenant, mais il est toujours aussi difficile et apathique qu'un nouveau-né. Il ne pèse presque rien, toujours la goutte au nez. Deux secondes à le serrer dans les bras et tout est tombé sur mes revers de manteau.
« Papa ! » Soche, mon aînée, vient me pilonner, la tête en plein dans le ventre. Je réprime la douleur tandis que je force un sourire sur mon visage.
« Soche, tu ne devrais pas être au lit ? demandé-je.
– Je voulais te voir, papa.
– Tu as été gentille avec ta mère aujourd'hui ?
– Une terreur absolue, grince ma femme. Elle a cassé une bouteille d'essence de racine de mat'ti. Tout est ruiné ! Où allons-nous avoir de l'argent pour la remplacer ? De l'argent pour faire fonctionner les lampes à gaz afin que je ne sois pas penchée sur cette bougie toute la journée ? De l'argent pour nourrir le bébé ?
– J'ai ramené à la maison une douzaine de pommes hier », lui rappelé-je, espérant que cela bloquera la prochaine question. Où est le salaire d'aujourd'hui ? Le travail sur les quais peut être une mission secrète, mais l'argent est réel, et c'est la seule chose qui nous maintient à flot.
« Ils sont cinglés, Merret. De la bouillie. Bébé mange et mange et ne grandit pas. Il a besoin de vraie nourriture. Du genre que vous recevez d'un bon épicier. Quelque chose qui le remplira !
– J'ai besoin de me remplir aussi ! crie Soche en se tapotant le ventre. Et maman !
– Au lit ! » la gronde ma femme et ses petits pieds tapent contre le sol en pierre. Soche se glisse dans son coin pour dormir à côté du foyer éteint, puis s'enfouit dans un tas de couvertures élimées, les sorts de réchauffement les transformant en lambeaux comme des touffes de fourrure.
« Je... » J'ouvre la bouche, mais pour la première fois, je remarque à quel point le visage de ma femme s'est enfoncé. Une boule me prend dans la gorge et les mots ne parviennent tout simplement pas à sortir. « Je n'ai pas...
– Va chercher de la nourriture, Merret. Je me fiche de savoir comment. » Elle soulève le bébé de mes bras, puis recommence à enchanter son mélange d'herbes.
Je reste là un moment à essayer de comprendre comment cela est devenu ma vie. Le brouillard s'infiltre sous la fente de la porte d'entrée, tourne autour de moi, comme si la tristesse des rues en était venue à réclamer sa mise à l'intérieur de ma maison. À l'intérieur de moi.
Voler chez l'épicier n'est pas aussi facile que voler à Keyhole Downs. Oh, ils sont assez gentils ici. On dirait que j'ai une escorte personnelle, qui suit cinq pas derrière moi, un grand sourire sur son visage. J'essaie de la perdre, en glissant dans les allées devant un étalage de pâtés au fumet alléchant, un tas flottant de fruits sans tache et des bacs contenant douze types différents de vers vivants pour le viashino averti. Mais peu importe ce que je fais, le commis au marché est toujours là. Je suppose que ce même visage marqué qui dit "ne plaisante pas avec moi" aux vendeurs de Keyhole Downs, crie « voleur » ici, dans ce quartier huppé.
Je pars les mains vides, mais malgré toute ma chance, j'entends ce rire tonitruant qui m'a fait trembler à plusieurs reprises. Je lève les yeux et repère Grimbly Wothis et son ami investisseur qui sortent d'un appartement situé quatre étages plus haut - l'immeuble est gigantesque, le toit haut, et baigné de sortilèges de nettoyage, il est donc à l'abri des graffitis. Je savais qu'il vivait ici, mais je ne l'avais pas imaginé à ce point magnifique. D'énormes lampes à gaz traversent les ténèbres, leur lumière étincelante sur les sceaux d'argent sortant de la pierre rouge polie du bâtiment.
Je regarde les piétons se faufiler entre les arcades d'un marché à l'autre. Un énorme indrik piétine dans les rues, muselé avec tellement de magie que je peux le sentir grésiller d'où je suis. Des foules de travailleurs s'agrippent au harnais de toile accroché à son dos et rentrent chez eux après avoir quitté des quartiers très éloignés. Heure de pointe typique du soir. Des centurions blindés vêtus de casques en cotte de mailles sont stationnés ici, tout en veillant à ce que la circulation de nuit reste légitime. Je me rapproche de plus en plus dans l'ombre, et une fois que je suis sûr que mon patron est bien parti pour le pub, je me faufile chez lui. Le sort sur la serrure de la porte est puissant. Bien trop difficile à casser pour moi, mais les minotaures se croient trop rusés pour se considérer comme des cibles potentielles. Je fais le tour du bâtiment, saute rapidement sur le balcon et bien sûr, ouvre une fenêtre non scellée.
Je me glisse à l'intérieur, comme une couche de brouillard, les pieds touchant à peine les carreaux de céramique onéreux sous moi. Le doute se fait mordant. Bien sûr, j'ai parfois chapardé des choses sur le marché, dans quelques poches, mais je n'ai jamais rien fait de tel. Je regarde en arrière, me souvenant de la déception sur le visage de mon mentor car je n'avais pas réussi à tirer un seul fil de la mémoire après six mois d'instruction serrée. « Peut-être que tu n'es pas destiné à la Maison Dimir », m'avait-elle dit. Eh bien, pas dit. Elle avait bloqué cette pensée dans mon esprit, aussi simplement qu'elle respire. Et elle est toujours là, devant et au centre. Je la secoue. Mon père était un espion. Et trois de mes tantes et un oncle. L'espionnage coule dans mes veines. Je peux le faire.
Après un court trajet dans un couloir étroit, je me retrouve dans la cuisine. Une lampe à gaz brûle faiblement, juste assez pour projeter une lueur chaude et jaune sur les armoires. Là, sur le comptoir, une corbeille de pain. Je prends un quignon, sentant à quel point il est copieux, presque une brique à la main. C'est parfait. Mais à côté du panier, caché dans une grille, quelque chose d'autre attire mon attention. Des élixirs, une douzaine. Je sors l'une des bouteilles, longue et rectangulaire, en verre épais et artisanal. « Élixir de Concentration » indique l'étiquette métallique. À l'intérieur, le liquide bleu scintille comme s'il était baigné dans la plus pure lumière de lune. Le pain, c'est bon. Ça va nourrir ma famille ce soir, mais ça...quelques gouttes de cet élixir pourraient changer nos vies. Je pourrais renforcer ma magie, faire mes preuves sur les quais. Revenir dans la faveur de la guilde. Juste quelques gouttes. Mon patron ne remarquerait jamais ce que j'ai pris.
Je fais sauter le bouchon et l'odeur me monte au nez...un parfum doux et cotonneux comme celui des couvertures fraîchement lavées. J'ouvre la bouche, penche la bouteille.
Une goutte.
Deux.
Juste une de plus, pour faire bonne mesure. Mais avant que la dernière goutte ne frappe ma langue, les lumières clignotent avec ardeur. Mes yeux s'écarquillent et l'élixir se répand sur moi, le long de mon menton, s'infiltrant dans mon manteau. Je reste immobile, figé comme une statue au moment où un minotaure entre dans la cuisine, les yeux mi-clos, des boucles dans les cheveux, une longue robe drapée atteignant presque la hauteur de ses sabots. Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n'aurais imaginé que dans tout Ravnica soit une personne disposée à se réveiller tous les jours à côté de Grimbly Wothis. Un véritable espion aurait pris le temps d'apprendre ces choses. Comment pourrais-je me leurrer ? Je ne suis pas proche d'un espion. Je suis à peine un voleur.
Elle bâille et je vois chaque dent dans sa bouche rugueuse. Rien de menaçant là-dedans, mais je suis à peu près sûr qu'elle serait capable de me séparer en deux, si elle y pensait. Je reste là, complètement exposé, sans même oser brouiller la brume autour de moi. Elle est à moitié endormie, à moitié consciente, mais je peux garantir qu'elle ne restera pas longtemps ainsi. Elle se dirige vers le comptoir en face de moi, sort un grand bol en métal et le remplit jusqu'au bord d'herbe. Puis elle prend le bol dans ses mains et se retourne vers moi.
Mais je sens à présent l'élixir. Des pensées éparses se mettent au point et je commence à fléchir des muscles dont j'ignorais l'existence. Mes doigts brillent et des sorts presque oubliés se posent soudain sur mes lèvres. Je fais appel à la magie et son esprit s'ouvre à moi comme une carte. Je tire ici, pousse là et tout à coup je suis invisible pour elle. Elle me touche presque, mâche, mâche, mâche... bouche ouverte, air distant.
La culpabilité m'accable. J'avais tellement gaspillé d'élixir. Je devrais m'excuser. Offrir de le rembourser. Mais nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de dette, surtout avec ce que mon patron me paie. Quand il me paie. En plus, si la Maison Dimir découvre que je suis si mauvais en espionnage, je serais disparu pour de bon. Je fais le bon choix en restant tranquille. Même si je dois rester ici toute la nuit. Je retiens mon souffle et serre le pain contre ma poitrine comme si c'était ma bouée de sauvetage, me rassurant de pouvoir bientôt nourrir mon enfant affamé.
Une bouffée de magie jaillit de mes doigts, le brouillard me fuit et pour la première fois depuis que je travaille sur les quais, la rivière est claire à perte de vue. Ce n'est pas vraiment un spectacle - des eaux boueuses, criblées de détritus et de touffes de plantes envahissantes. Je ne peux pas m'empêcher de me demander si le mystère aurait été favorable à Grimbly Wothis plutôt que son investisseur ne voie maintenant la vérité nue. Ce n'est tout simplement pas un port fantastique, mais ce n'est pas mon problème.
Je deviens anxieux, toute cette puissance au bout de mes doigts, désirant me montrer un peu au-dessus des autres employés. Yantis exploite la grue, un Viashino aux doigts collants, idéal pour tirer des leviers et caler les vitesses. Mais sa langue fourchue a envoyé plus de quelques malédictions reptiliennes dans ma direction, et un petit retour de manivelle semble de mise. Je me remémore le sort de cauchemar que j'avais appris. Cela ne s'était jamais matérialisé plus que de la simple brume par le passé, mais maintenant, Yantis a des rubans qui lui échappent la tête, attendant juste que je leur donne un coup sec. Le pouvoir en moi, si vite, si fort, je ne peux pas le contrôler. Yantis hurle, luttant contre tous les riens terrifiants devant lui. La rampe pivote à gauche, la caisse se décolle et se renverse, se retournant vers Grimbly Wothis et l'investisseur se tenant au bord du quai. Mon patron voit la caisse de voyous, voit Yantis s'agiter, voit les derniers lambeaux de sorts de cauchemar dériver de mes doigts. Il me regarde, puis pousse l'investisseur dans la rivière à la dernière seconde. Il a à peine le temps de se ressaisir avant que la caisse ne s'écrase là où ils se trouvaient.
Des fissures dans le verre et l'odeur âcre du bon whisky remplissent l'air. Le mouchard de surveillance ronronne à mon oreille, ses petites ailes battent, ses yeux pointés sur moi. Non, rien ne justifie de ruiner une cargaison valant mille zinos. Je grimace. Perdre mon travail, je pourrais le gérer. Mais une fois que la Maison Dimir viendra frapper à ma porte, ce sera comme si je n'avais jamais existé. Meh. Comme s'ils frappaient.
Aussi vite que je peux, je cours à la maison. Nous devons emballer tout ce que nous pouvons et quitter Keyhole, peut-être aller nous cacher dans le vieux quartier fantôme ou chercher refuge sur les ruines de Mahovana, revendiquant la cime des arbres comme notre nouvelle demeure. J'appuie sur la poignée de notre porte d'entrée si fort que la serrure se brise, des restes de magie faible s'échappant comme des volutes dans les airs. Tashi se tient là, tenant le bébé, un gigantesque sourire collé sur son visage.
« Merret ! Merret, tu dois voir ça ! » Elle tient le bébé en place. Il est en plein essor. Ses joues sont charnues, son sourire radieux et une étincelle indéniable dans ses yeux. « Il est si fort, maintenant. Sens ses muscles. Je pense qu'il va marcher dans la journée. » Et puis elle se rapproche de moi, embrasse ma joue, me dit qu'elle m'aime si bien que je ne peux même pas dire comment nos vies sont sur le point de changer, et pas pour le meilleur. « Tout va bien se passer, » dit-elle, mais moi, je regarde juste cette tache d'élixir bleu vif sur le morceau de pain que bébé ronge. Je regarde comment ça brille, très légèrement, comme au clair de lune.
Puis le bébé éternue et chaque bougie de notre appartement s'enflamme.
Quelque chose est arrivé. Bon ou mauvais, je ne sais pas. Pas le temps de penser aux coups sur notre porte d'entrée. Je la cale de mon poids. Grimbly Wothis hurle du côté opposé comme il a su que c'est moi qui ai causé l'incident, et que j'avais ruiné sa cargaison tout en effrayant son investisseur. Ils disent que les ondins jurent comme vous ne l'avez jamais entendu, mais les patrons de quai les battent, et de loin. Avec un verrou cassé, cette porte ne le retiendra pas longtemps. Je murmure à Tashi de se cacher dans le placard avec le bébé et à Soche de se baisser dans son coin de chambre et de se couvrir de couvertures. Moi...il n'y a plus de place dans notre petit taudis pour se cacher. Peu importe quand même, parce que quand ce gros sabot frappe la porte fragile, les éclats volent, et je m'envole dans les airs, atterrissant violemment sur le menton.
Cela prend un moment pour que le brouillard dans ma tête se dissipe, mais dès que je le peux, je tend ma concentration entre moi et Grimbly Wothis, essayant de tirer ces fils magiques, tentant de me protéger de la vue, mais c'est inutile. Maintenant, Grimbly Wothis se tient au-dessus de moi, le front plié, son regard aussi affûté que le bout de ses cornes. Des déchets se collent à son corps et il sent comme une combinaison saisissante de rivière humide et de fourrure mouillée.
« Tu me le dois, Merret. » Il jette un coup d'œil chez moi et éclate d'un rire tonitruant, comme si l'idée que je possède quelque chose de précieux fût une énorme blague. « Je ponctionnerais bien sur ton salaire, mais tu passerais trois vies gagner de nouveau le coût de ce whisky. Je pensais que je viendrais te faire la peau en dédommagement, mais il me semble que tu as quelque chose de grande valeur après tout. »
Mon cœur se contracte dans ma poitrine et ne se relâche pas. Je regarde ses yeux se diriger vers notre cuisine.
« Je ferai n'importe quoi, lui dis-je, me plaçant entre lui et le placard. Dégager le port à chaque heure de la journée. Avoir deux postes. Ma femme ! Ma femme travaillera aussi. Nous rembourserons tout ce que nous vous devons, je le promets.
– J'ai vu ce que cet enfant a fait à travers la fenêtre, le truc avec les bougies. » Son sabot frappe mon tibia et je convulse de douleur. Un autre coup de pied, juste dans les côtes, et je tombe en boule.
Puis il est passé devant moi, ouvrant la porte du placard. Tashi est à l'intérieur, gémissant, le bébé est endormi contre sa poitrine. La vue de ma femme qui souffre, de mon enfant en danger enflamme ma fureur et je me relève à nouveau. Je conjure un sort... Avant, c'était une corvée, comme sucer durement à travers une paille fêlée, mais maintenant, elle entre en moi avec un flux aussi débridé que la rivière.
« Un enfant comme celui-ci vaut quelque chose », dit Grimbly Wothis, essayant de retirer le bébé des bras de ma femme. Elle mord, mord et crie, et maintenant le bébé est réveillé et hurle.
Le bout de mes doigts danse avec la lumière et les fils de l'esprit de mon patron s'ouvrent à moi. Je tire et tire, tissant un cauchemar, spécialement pour lui, construit de ses peurs les plus profondes. Grimbly Wothis crie aussi, une note perçante et parfaitement aiguë qui fait vibrer le verre de nos lampes à gaz. Il combat les ennemis invisibles devant lui, jetant des casseroles et des poêles, renversant des chaises. Il piétine un peu partout sans regarder où il va. J'ai les nerfs serrés alors qu'il se rapproche du tas de couvertures sous lesquelles se cache Soche. Ces sabots... Ma concentration diminue, juste pour un moment, mais c'est suffisant pour que Grimbly Wothis lève les cauchemars et fonce sur mon fils.
Et comme ça, mon bébé est dans les bras de Grimbly Wothis, le dos voûté, laissant échapper un cri déchirant qui m'arrache le cœur.
« Comme toujours, tu n'es pas concentré, Merret, me réprimande Wothis. Mais nous y sommes encore.
– Rends-moi mon... »
Wothis lève la jambe haut et pendant un moment, je suis fasciné par le roulement de tout ce muscle ferme, puis son sabot tombe droit dans ma bouche et ma perception éclate dans la douleur. J'attrape le sang dans mes mains en coupe, mais elles ne peuvent pas tout retenir. Je dois avoir un moment perdu connaissance, car Wothis est déjà à la porte, essayant de passer ses cornes à travers l'ouverture pendant que le bébé se tord et que ma femme saisit la fourrure de sa cuisse. Avec une secousse raide, il la jette. Elle s'envole et frappe le côté d'un cabinet. Quelque chose craque. Quelque chose qui n'est pas les vieilles armoires en bois.
Je me concentre aussi fort que je le peux, ignorant les cris de mon enfant et les terribles gémissements de ma femme. Je tire la magie, essayant d'enrouler un nœud coulant autour du cou épais de mon patron, mais le flux est de retour à présent. Peu importe ce qu'il ressent, ce n'est rien de plus qu'une égratignure à la gorge. Il tousse une fois, puis me regarde. Et rit.
« Rendez-vous au quai demain, rayonnant et... » Ses yeux s'écarquillent, sa respiration s'étrangle. Je baisse les yeux sur mes doigts mats comme de la terre. Pas même un souffle de magie ne m'agite, mais Grimbly Wothis a été saisi par l'esprit, j'en suis sûr. J'entrevois l'intensité dans les yeux de mon enfant. Mon fils se cambre à nouveau, lève les bras et tout à coup il est parti. Disparu. Disparu.
« Qu'est-ce que tu as fait avec mon bébé ? » crie ma femme, saisissant ses côtes cassées.
Ma courageuse Soche est sortie de sa cachette et elle lance maintenant des blocs de bois à Wothis. On le frappe dans le crâne.
« Arrête ! Tu vas frapper le bébé ! » dis-je, me précipitant, essayant de voir à travers le vêtement du bébé. Je le recherche dans les bras de mon patron, mais il n'y a rien. La panique me submerge. L'avait-il laissé tomber ?
Grimbly Wothis commence à tousser, aspirant une grande quantité d'air alors qu'il reprend son calme. Ses yeux injectés de sang me fixent. « Où est le bébé ? » dit-il, comme s'il m'accusait de sa disparition.
Je suis si en colère, je ne peux pas penser correctement et le frappe droit dans la mâchoire. Ses narines éclatent, et ses yeux se ramollissent comme si je venais de lui donner la permission que ce soit une vraie bagarre. Mes poings sont levés, puis nous combattons et j'essaie de le pousser vers la porte. Il tente de se défendre, puis Tashi crie le nom du bébé et nous nous arrêtons tous pour le regarder.
Le bébé est assis par terre. Il a des égratignures sur les bras et tient un étrange fruit violet en forme d'étoile. Je n'ai jamais rien vu de tel. Il le met dans sa bouche, la peau amère rendant sa lèvre serrée. Il laisse tomber le fruit, puis se relève à quatre pattes, sur le point de ramper. Grimbly Wothis essaie de se frayer un chemin, mais je le retiens de toutes mes forces. « Va voir maman, dis-je au bébé. Va voir maman ! »
Mais le bébé n'écoute pas. Ses yeux sont concentrés à travers la pièce. Puis je vois l'ombre proche assise dans le fauteuil près du foyer. Nous la voyons tous. Lui. Et je réalise quelque part au fond de mon cerveau qu'il est assis là depuis très longtemps. Il est drapé dans un manteau de cuir fluide, fabriqué à partir de la peau d'une bête éteinte il y a bien longtemps...il est royal, même sur le trône qu'est notre fauteuil usé. Toute la magie de la pièce, de cet immeuble, peut-être de tout ce quartier, coule vers lui, comme un gouffre soudainement ouvert au milieu d'un lac sans méfiance. Je secoue la tête, essayant de me débarrasser des pensées improbables. Serait-ce Lazav? Lazav le cerveau, maître de guilde de la maison Dimir? Tous les os douloureux de mon corps veulent s'incliner devant lui, même si ce serait la pire indiscrétion que je puisse commettre.
Le bébé se relève, et soudain il se tient debout...vacillant d'avant en arrière avant de faire son premier pas timide. Il sourit un instant, fier de lui-même, puis fait un pas en avant, puis un autre, jusqu'à ce que l'élan prenne le dessus sur lui, et il tombe droit dans les bras de Lazav. Lazav hisse le bébé sur ses genoux.
« Toutes les dettes en suspens que Merret vous doit seront payées intégralement d'ici la fermeture des bureaux demain, déclare M. Lazav à mon chef. Et en retour, vous vous abstiendrez de tout contact avec un membre de cette famille. N'est-ce pas, M. Wothis ?
– Qui diable pensez-vous que vous êtes ? » dit Grimby Wothis, poussant toute sa largeur, la tête penchée en avant, les cornes prêtes au combat.
« Personne, » dit Lazav, sa voix aussi basse qu'un murmure, mais sans aucune douceur. Il fait un geste de la main et la pièce entière commence à tourner, des sorts qui éclairent la lumière argentée en cercles autour de notre maison. Je m'accroche au sol, ayant l'impression que le poids du monde presse mes poumons. Il tourne de plus en plus vite : tremblements de meubles, murs tremblants, fenêtres qui se déforment et sur le point de se briser. Puis tout s'arrête brutalement.
Pendant un long moment, il y a un silence absolu, puis Grimbly Wothis murmure : « D'accord. Ça sonne bien. Quoi que vous disiez », et titube hors de la maison, basculant presque par-dessus la balustrade du balcon.
« Bien », dit Lazav en me souriant maintenant, mon fils rongeant joyeusement une des jointures de ses doigts. « Cet enfant va nous étonner de toutes les manières que vous tu nous avez déçus.
– Vous n'aurez pas mon fils, dis-je, respectueux, mais ferme.
– Nous ne voulons pas de votre fils. Du moins pas de cette façon. Il restera avec vous. Vous l'élèverez comme bon vous semble. Mais en échange du remboursement de vos dettes, nous aimerions demander à ce que nous envoyions un tuteur chez vous pour surveiller ses apprentissages. Bien sûr, nous vous fournirons également une modeste allocation afin que vous puissiez subvenir à ses besoins de manière adéquate. Et les vôtres. »
Ma mâchoire tombe Je vais vers Tashi, la tirant doucement vers moi. J'essaie de repousser un peu sa douleur, puis nous nous regardons, abasourdis, chacun saisissant les questions à poser et manquant de précision.
« Est-ce que mon frère est spécial ? » crie de terreur Soche.
Lazav éclate d'un rire rauque, comme des pierres se grattant le long de côtes. Quelque chose dans mon cerveau se tord sur le côté, mon esprit s'embue, et tout à coup, nous rions tous, et la grande tante Bé est assise dans notre fauteuil, faisant rebondir le bébé sur son genou. Soche joue une mélodie sur son xylophone et Tashi est dans la cuisine en train de couper un étrange fruit pourpre qu'elle a dû acheter au marché. Je me tiens à côté d'elle et elle me sourit, puis place un peu de pulpe sucrée sur ma langue. En mâchant, ma mâchoire est douloureuse, comme si j'avais reçu un coup de poing dans la bouche.
« Tu es sûr que ça va pour que ma tante reste avec nous pendant un moment ? demande-t-elle. Jusqu'au moment où elle se remettra sur pied. Elle n'aura pas beaucoup de problèmes et elle peut aider à garder un œil sur le bébé pendant que je travaille un peu.
– Bien sûr, ça va. Je l'aime bien, dis-je. Il y a juste quelque chose à son sujet, tu sais ? Cette sagesse qui vient avec la vieillesse ? Je pense qu'elle sera bonne pour notre famille. »