Kamigawa : Neon Dynasty - Histoire secondaire : La lame réfléchie et réapparue - Magic the Gathering

Kamigawa : Neon Dynasty - Histoire secondaire : La lame réfléchie et réapparue

Kamigawa : Neon Dynasty - Histoire secondaire : La lame réfléchie et réapparue

Dans un village de campagne sans histoire, en banlieue de Towashi, un épéiste errant fait face à un passé qu’il ne peut fuir.

  La storyline de Magic / Kamigawa : la dynastie Néon

Dans un village de campagne sans histoire, en banlieue de Towashi, un épéiste errant fait face à un passé qu’il ne peut fuir.

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le , par Drark Onogard
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Dans un village de campagne sans histoire, en banlieue de Towashi, un épéiste errant fait face à un passé qu'il ne peut fuir. Vous trouverez l'article original ici.

La lame réfléchie et réapparue



Sept têtes rassemblées autour du reliquaire qui était au cœur du problème, jeunes et vieux – inhabituel dans un quartier comme Coindeloin, où ce n'étaient en général que les vieux. Chishiro lorgnait leur culte depuis le toit de l'entrepôt de la brasserie où on l'avait invité à dormir. Ils ne le verraient pas s'ils se retournaient ; bien qu'il soit grand, il avait plus qu'assez de talents pour se cacher dans les ténèbres.

Non qu'il s'attendît à ce que les fidèles fassent attention à autre chose que ce foutu reliquaire.

Ayari, une jeune femme locale qui était accroupie à côté de Chishiro, remarqua la tension dans ses bras : trois croisés sur sa poitrine, un quatrième massant sa mâchoire écailleuse.

« Ils ont peur, dit-elle sur la défensive.
– Vraiment ? » demanda Chishiro. Ayari ne répondit pas et haussa les épaules. « Je suppose que oui. »

Quand il était arrivé à Coindeloin, Chishiro pensait les fidèles idiots. Les locaux l'avaient embauché pour sa réputation sinistre ; ils connaissaient les pires histoires à son propos, celles qui rendaient malades des gens plus délicats parce qu'elles étaient vraies, et par là horribles. Ils pensaient que son intelligence et sa volonté de tuer pour n'importe quelle promesse d'argent garderait leur tête attachée à leur cou. Alors, il pensait, ils obéiraient sans doute à ses ordres, si seulement il jetait un regard noir et posait une main sur son épée d'argent aiguisée. Il leur avait dit de ne jamais voyager seuls ; de rester chez eux, autant que possible ; et d'observer avec précision leur routine quotidienne, sans quoi leur machination serait découverte.







Mais qu'importe la fréquence à laquelle Chishiro ordonnait aux gens de Coindeloin d'arrêter de se réunir autour de cet étrange petit reliquaire au bout de la rue principale du quartier, on l'ignorait. Inévitablement, ils venaient, un par un, s'agenouiller et poser les yeux sur le reliquaire avec une révérence rêveuse, comme des enfants ivres de sommeil qui écoutent les histoires que racontent leur grand-parent préféré.

Quoiqu'il en soit, on ne pouvait les laisser y rester – surtout pas à présent, avec la mort qui soufflait si près de leur cou.

Chishiro mit ses crocs à nu à l'intention d'Ayari. « Dis-leur de revenir à l'intérieur avant qu'ils fassent plus d'erreurs. »

Elle fronça les sourcils mais descendit d'une glissade le toit de tuiles, sauta du bord jusqu'aux pavés noirs et durs sous elle. Une jeune femme alerte, qui portait déjà des cicatrices sur ses bras et son visage, Ayari s'était désignée elle-même bras droit de Chishiro (la troisième, disait-elle) depuis le moment où les anciens de Coindeloin l'avaient embauché. Elle possédait un germe de don pour la violence, qu'elle employait le plus souvent avec ses couteaux, pour repousser les gangs d'Héliastes qui cherchaient à réclamer des tributs de la part du quartier.

Peu après que les anciens eurent embauché Chishiro, il leur demanda si l'éclaireur héliaste manquant à l'origine de leurs malheurs était lui aussi tombé sous les lames d'Ayari. Les anciens échangèrent des regards, silencieux et tendus, et répondirent dans des termes vagues. Chishiro supposa d'abord qu'ils étaient en désaccord quand à savoir si leur chère fille avait fait quelque chose de si téméraire. Cependant, dans les jours qui suivirent...

Il regardait Ayari approcher des sept habitants réunis autour du reliquaire, obtenir d'eux qu'ils se relèvent et reviennent à leurs tâches assignées. Leur persistance, des regards vitreux vers le reliquaire solitaire, désolé, lui dit tout ce qu'il devait savoir.

Quand ils furent tous partis dans des directions différentes, Chishiro descendit du toit de l'entrepôt. Malgré sa masse musclée et la force de sa queue, il ne délogea aucune tuile et ne fit presque aucun bruit, même à l'atterrissage. Il traversa la rue poussiéreuse pour observer le reliquaire par lui-même.

Coindeloin méritait bien son nom – autrefois un modeste village à la corne de Jukai, il avait été graduellement subsumé par Towashi pour devenir l'un de ses quartiers les plus récents et les plus ignorés. Il était trop éloigné du tronc de Boseiju et des ombres des gratte-ciels impériaux limés de lumière pour être considéré comme faisant partie des tréfonds. Puis il y avait le champ non entretenu à la fin de la rue pavée centrale, qui s'étendait jusqu'à rencontrer le bord rongé de la forêt en recul.

Presque toutes les plantes dans les limites aux pavés noirs de Coindeloin avaient été placées là intentionnellement. Avant tout, une paire solitaire de cerisiers avait été transplantée des canaux des tréfonds jusqu'à la porte qui était l'entrée officielle dans le quartier.

La seule autre végétation était le reliquaire. Il avait fendu et éclaté le pavement à la fin de la rue principale, côté Jukai, comme le soulèvement courbe d'un dos énorme, d'un bois couleur d'ébène. Remarquablement plus pâles, des racines plus fines tourbillonnaient autour de lui dans des torsions intriquées. Le reliquaire lui-même, quoique petit, était naturel. Un nœud étrange dans la grosse racine noire formait un trou presque aussi large que le poing de Chishiro. A l'intérieur, la racine plus pâle s'était enroulée sur elle-même en un cœur noueux qui semblait, après observation, battre.







Un kami dormait dans le reliquaire, lui avaient dit les locaux. Il ne leur avait cependant pas encore dit quel genre de kami il était – quand il parlait, ce n'était qu'en murmures marmonnés et en rêves fragmentés, des images qui se fondaient et se floutaient ensemble avec une douleur profonde. Ils suspectaient que ce fût quelque ombre de Jukai, forêt hersée, là à la limite de Towashi.

Chishiro apparut au-dessus du reliquaire pendant que le soleil se couchait. L'épée d'argent attachée dans son dos n'était aussi lourde que le métal devait l'être, et l'ombre qu'elle jetait était d'un noir aussi vide de vie que la sienne. Le kami ne voulait pas lui parler, bien que Chishiro ne douta pas de sa présence. Il était aussi vrai que le souffle et la méchanceté. Et qu'importe à quel point il pouvait aimer les gens qui l'aimaient en retour, il serait, inévitablement, déçu par eux.

Ainsi, il était venu pour livrer un avertissement : « Ne les trouble pas plus que tu ne l'as déjà fait. »

Le kami ne dit rien en retour. Chishiro n'en fut pas surpris. Il avait déjà décidé que c'était une créature égoïste.



Des années auparavant, Chishiro avait été plus que lui-même. Ses amis et camarades, ceux avec lesquels il chassait ces Futuristes qui osaient rogner la frontière de Jukai, savaient ce qu'il voulait dire par là. Il ne voulait pas dire seulement que sa lame mouchetée de jade était une extension de son être – plutôt, que son propre esprit avait été composé avec la résonance de son kami, et par là de Kamigawa.

Chishiro était lui-même d'une telle manière qu'en tant qu'individu il n'importait en rien, car ce qui importait vraiment était le grand Kaima, la lame irradiant d'obscurité, forgée par leur lien et tout ce qu'ils devaient accomplir ensemble.

Chishiro avait essayé, quelques fois, d'expliquer lui-même aux Futuristes qu'ils attrapaient plutôt que de les tuer. L'un d'entre eux avait été terriblement effrayé par lui et l'avait pensé possédé, et par-dessus le marché, complètement déraisonnable. Une autre avait dit à Chishiro comme s'il était Kaima, et qu'elle aurait supporté de lui obéir seulement par la pensée qu'elle pourrait un jour retrouver sa liberté. Une troisième lui avait dit : « Je comprends, je crois. Il y a des moments quand je vois le plan enroulé sur lui-même – quand je vois la manière dont je suis enroulé dedans. »

Kaima frémit en Chishiro. Il dit : Une nouvelle branche qui veut bourgeonner et fleurir. Un froid recule, et les bourgeons sortent courageusement leur tête.

Chishiro se pencha en avant pour étudier la Futuriste, une lunaréenne, dont le visage couleur de perle était froissé, pensif, sa main élégante pressée sur sa bouche. « Et que fais-tu, quand tu te sens ainsi ? lui demanda-t-elle.
– Ce que je faisais quand vous m'avez enlevée, » répondit-elle.

Chishiro admira son honnêteté, bien qu'elle fût tête brûlée. Il l'avait acculée elle et les siens dans les profondeurs de Jukai. Ce groupe de Futuristes avaient fait de leur mieux pour comprendre les kami tout d'abord en les isolant dans leur habitat le plus naturel, puis en briser et disséquant cet habitat en ses parties élémentaires – en faisant ainsi, espérant briser et disséquer les kami.

Elle attendait sans douter qu'il la tue, puisque lui et ses camarades en avaient tué de son acabit. Alors, Chishiro la laissa partir, dépouillée de toute sa technologie et de tout son équipement, dans les profondeurs de la forêt qu'elle avait cherché à ravager. Les kami décideraient si elle s'échapperait ou mourrait, comme ils en avaient le droit.

Les camarades de Chishiro avaient dit : « Nous voudrions que tu arrêtes de faire ça. »
Il avait dit : « Je le dois. »
Il pensait : « Je le veux – et Kaima aussi. Ainsi, nous voulons. Nous devons. »

Ils avaient une obligation, celle qui définissait la présence de Kaima en Chishiro et de tous deux sur Kamigawa : forêt et camaraderie, le plan et ses liens. Ils chercheraient toujours, en premier lieu, à comprendre.

Peut-être avait-ce été le problème – un défaut fondamental de leur être. Ils avaient eu trop d'envie de demander et d'écouter, de donner conseil et d'en prendre. Cela avait fini par les briser.



Les problèmes de Coindeloin était les Mukotai, un gang d'Héliastes qui avaient choisi d'infecter ce quartier autrement calme. Chaque famille d'Héliastes abritait sa propre marque de violence – poison, lame ou malédiction. Les Mukotai prisaient les vols malins et discrets, et ils ne décidaient que rarement d'appuyer du genre de menaces qu'ils avaient lancées à Coindeloin.







Ç'aurait pu être différent si leur éclaireur n'était pas mort dans les rues de Coindeloin. Chishiro pensait que le problème résidait moins dans le fait de la mort de cet homme que dans la manière dont il avait été tué, et la raison.

Il n'avait pas reçu d'histoire plus claire après la première non-réponse qu'avaient offerte les anciens de Coindeloin. Ayari insistait, d'une manière détournée, sur le fait qu'elle l'avait tué. Chishiro en doutait. Il avait trouvé le corps où elle tenta de s'en débarrasser dans le champ entre Coindeloin et Jukai, et il avait vu les racines qui traversaient la chair du cadavre et s'enchevêtraient depuis sa bouche ouverte.

Les Mukotai avaient fait état de leur intention de vengeance d'une main clouée à la porte de Coindeloin. La main avait appartenu à un jeune mécanicien du nom de Jenzo – un enfant de Coindeloin qui était récemment parti étudier à l'Académie impériale. Il fut renvoyé chez lui le jour suivant, laissé pour mort dans la rue principale, tremblant et trempé de sueur.

« Une semaine, » dit Jenzo aux anciens et à Ayari tandis qu'une prothétique bordée de lumière blanche était greffée à son poignet. « Il faut partir d'ici là, ou nous mourrons. »

Pour le motif léger d'un homme mort, les Mukotai souhaitaient réduire Coindeloin en cendres. Le kami de Coindeloin avait pris l'un d'entre eux, et ils souhaitaient payer par le sang cette transgression.

Peut-être que les gens de Coindeloin étaient plus clairvoyants que ne pensait Chishiro ; après tout, ils l'avaient embauché. Cela suggérait qu'ils se rendaient compte que le kami qu'ils aimaient ne pouvait les protéger.

Alors Chishiro avait appris aux personnes valides de Coindeloin le bon usage des lames et des flèches, dans le champ entre leurs maisons et Jukai. Ceux qui étaient habiles et adroits, il les envoya à l'entrepôt de la brasserie, où ils puisaient de la ferraille pour construire les dispositifs que Chishiro décrivait. Jenzo, le mécanicien, s'appuyait dans un coin de l'entrepôt, profitant de sa nouvelle prosthétique, affinant les dispositifs que ses voisins construisaient.

« Incomparablement illégal, n'est-ce pas ? » demanda-t-il à Chishiro, d'un ton plus de question que d'accusation, tandis qu'il berçait une boîte de la taille de la main, en bois taillé et métal forgé, bidouillant avec les siens.
« Oui, » avait répondu Chishiro, sans rien dire de plus.

Une seule sorte de personne savait comment fabriquer un perturbateur, un dispositif qui pouvait arracher la magie du métal comme des griffes arrachaient la vie de la chair ; le genre de personne qui s'engageaient dans Jukai. Chishiro ne s'engageait plus pour quiconque, mais cela lui était arrivé, autrefois, et il en était revenu avec une bonne quantité de leçons pour accompagner les cicatrices.

Dans l'idée, le plan était d'attirer les Mukotai à la fin de la rue principale de Coindeloin, côté Jukai. Après tout, les Héliastes voulaient le reliquaire. Là, ils feraient face au piège : une suite méticuleusement arrangée de perturbateurs, qui seraient déclenchés dans une succession rapide une fois que les Mukotai auraient atteint la zone fixée. Alors, tandis que les Mukotai seraient forcés de tirer les quelques vraies épées qu'ils porteraient contre celles portées par les gens de Coindeloin, les Héliastes seraient acculés vers la forêt du Jukai – et vers les kamis qui y rôdaient.

Ainsi, les habitants de Coindeloin donneraient un choix aux Mukotai, comme on leur en avait donné un : Fuir, ou faire face à ceux qui vous détestent pour avoir osé transgresser leurs règles.



La fin de la semaine tomba sur une nuit sans lune. Chishiro rôdait sur le toit du salon de thé – avec ses trois étages, c'était la structure la plus haute de Coindeloin. Comme à sa nouvelle habitude, Ayari était accroupie en silence à côté de lui, prête à porter ses ordres où ils devaient aller – jusqu'à ce qu'elle commence à jurer frénétiquement entre ses dents.

Elle bondit pour s'éloigner de Chishiro, vers l'autre côté du toit du salon de thé, et presque hors de l'ombre. Il l'attrapa juste avant qu'elle ne quitte sa couverture, sa main écailleuse ayant saisi sa nuque.

Ayari se tendit à son contact mais ne lutta pas, et inclina seulement sa tête vers l'objet de sa frustration : Jenzo, accroupi dans l'allée latérale entre la brasserie et l'entrepôt, là où l'un des perturbateurs avait été planté.

« Qu'est-ce qu'il pense faire ? siffla Ayari. Ils sont presque là. Ils vont lui trancher la gorge. »

D'autres locaux de Coindeloin restaient en attente, cachés dans des ruelles et derrière des portes, prêts à bondir hors de leur cachette et à mener les Mukotai vers le champ une fois que les perturbateurs auraient sauté. C'étaient les gens que Chishiro avait choisi d'entraîner, car ils avaient la force nécessaire pour matraquer et embrocher. Jenzo, qui récupérait encore de ses blessures, n'était pas en état de faire de même.

« Ça doit être nécessaire, » supposa Chishiro, bien qu'il regardât Jenzo, lui aussi, et les vifs mouvements de ses mains sur le dispositif niché sur les côtés défoncés de la brasserie.
« Il va se faire remarquer. » Ayari ne le dit pas avec la chaleur de la peur, mais avec la froideur de la certitude. Son regard se durcit tandis qu'elle observait l'entrée de Towashi à Coindeloin.

Les Mukotai étaient arrivés.

L'avant-garde héliaste voltigeait dans l'ombre, formes agiles collées aux coins sombres et sur les toits. Le reste venait d'en bas, d'un pas sans empressement, les poignées et les bâtons d'émail desquels sortiraient leurs armes jetés sur leurs épaules en armure. Tandis qu'ils approchaient, ils enflammèrent leurs lames, l'une après l'autre. Une lumière irréelle rampait autour des formes d'épées autrement invisibles, de faux et d'autres brutalités tranchantes.

Derrière eux, le mécha. Il était tout fait de sombre bois de cerisier, en partie gravé, en partie crû en volutes noueuses pour donner du style aux joints de son échine courbée, à son dragage, à ses armes à trois articulations et ses pieds finement articulés. Il n'avait pas de tête ; un voile pâle cachait le cockpit du pilote dans son ventre creux.

Et comme prévu, une bête au pas pesant qui se mouvait à une vitesse étonnante pour un impact terrible. Un crapaud des canaux avaleur de cadavres, dont la gorge palpitait et les yeux aux lents clignements roulaient d'intérêts affreux. Et le chevauchant, un homme, que la confiance rendait souple, au regard de chercheur acéré.

« Coindeloin – nous savons que vous n'avez pas fui, » les appela le chevaucheur de crapaud. Sa voix, bien que languissante, déchira la nuit de sarcasme. « Nous savons que vous vous cachez. Mais les Mukotai ne sont pas des monstres. C'est votre dernière chance. Sortez, ou vous regretterez de ne pas l'avoir fait. »







S'ils avaient la présence d'esprit de penser de telles choses, ils auraient pu penser cela étrange. Les Mukotai n'étaient-ils pas venu pour reprendre du kami de Coindeloin ce qui leur avait été pris ? Mais alors, pourquoi demanderaient-ils à leurs victimes de fuir ? Pour leur retirer toute cachette, peut-être. Et pourtant en quoi pouvaient espérer de simples citoyens de la part de gens pareils à un Héliaste de Mukotai ?

De telles pensées voltigeaient dans l'esprit de Chishiro, mais elles demeurèrent à la surface, légères et sans substance. Quelque chose d'autre sourdait dans les profondeurs de son cœur, quelque chose de sombre et de travaillé. Inconsciemment, l'une de ses mains resserra sa poigne sur le pommeau de son épée d'argent.

Plus pressants, tandis que le chevaucheur de crapaud parlait, l'une des avant-gardes d'ombre glissa dans l'allée où Jenzo travaillait frénétiquement pour cacher le perturbateur qu'il avait bidouillé.

« S'il te plaît, laisse-moi y aller, » supplia Ayari, d'un ton aussi serré que ses mains autour de ses couteaux. « Ils ne doivent pas savoir ce qu'on a fait, ils... »

Elle s'interrompit, bien que Chishiro y prêtât peu d'attention. Celle-ci était désormais fixée sur la confluence inattendue de ses problèmes – sur l'homme qui parlait au nom des Mukotai.

Tatsunari, qu'on l'appelait ; tandis que Chishiro rassemblait des informations sur la menace Mukotai, il avait appris son nom mais peu d'autres choses. Il n'avait pas encore entendu la voix de cet homme, ni même vu son visage. Ni sa lame.

Une chose simple, la dernière. Son bord de métal luisait à peine du reflet rose crépusculaire que lançaient les équipements des Mukotai. Un pommeau de métal noir, terni par l'usage et l'âge.

Une chose familière.

Et ce visage... l'inclinaison indolente de la tête de Tatsunati. Les coins en dents de scie de son rictus affamé.

Familiers aussi.

Familiers comme une vieille blessure rouverte, comme le sang sur sa langue et le nœud dans sa gorge. Chishiro avait à ce moment été réduit. Amaigri. Il n'était plus alors qu'un gouffre gémissant, et maintenant il était le petit trou sombre au centre de ce gouffre – un trou à remplir.

Il avait traversé de longues années avec cette absence en lui. Il n'avait jamais pensé à lui donner un nom, puisqu'il avait considéré cela évident : trahison et traîtrise ; son propre manque. Et ainsi, il n'avait jamais pensé à le remplir. Elle ne semblait pas le genre de blessure qu'on aurait pu panser.

Mais, oh, à présent, la vue de cet homme, c'était l'eau qui coule sur une terre à sec. Si Chishiro pouvait avoir le cœur meurtri de Tatsunari entre ses mains, alors peut-être qu'enfin il pourrait de nouveau sentir la satisfaction.

Oui. Ce serait un meurtre égoïste, cruel, impie même, mais Chishiro le désirait dans un vice tel qu'il n'était plus enchaîné par de telles pensées.

« Chishiro, » entendit-il, faiblement, son nom prononcé dans un murmure de panique. De nouveau, « Chishiro, qu... »

Chishiro était à ce moment déjà descendu.

Il se lança du toit avec la totalité vicieuse de sa masse. Il heurta un cogneur des Mukotai qui n'eut pas le temps d'être choqué avant que la lame de Chishiro eût tranché sa gorge.

Il laissa l'homme gargouiller, s'effondrer dans la rue pendant que lui plongeait déjà sur le suivant – une garde armée d'un naginata à la lame lumineuse. Elle essaya de lui échapper d'un bond, mais Chishiro avait déjà, de ses deux bras droits, saisi la tête de sa lance, juste sous la lame. Il la tira pour qu'elle la lâche. Tandis qu'elle trébuchait en avant, il planta sa propre lame d'argent entre les rainures de son armure de plates, dans son ventre.

Alors, des cris d'alarme et hurlements de violence résonnaient dans la rue. La panique se noyait en actions désespérées.

Chishiro n'entendait rien de tout cela, à cause du rugissement dans son esprit lorsqu'il croisa le regard plein de bonté de Tatsunari. Le crapaud était à-demi tourné, le corps tordu, les dents humides d'une faim luisante. Tatsunari, sur lui, lança sa tête en arrière et croassa un rire qui se mêla dans la clameur qui s'élevait.

C'était le rire comblé, frénétique de l'homme qui savait qu'il faisait face à la mort – qui réalisait que son seul espoir était de tuer d'abord.



Peu après que Chishiro eût envoyé cette Futuriste vers son destin dans les profondeurs de Jukai, ses camarades et lui étaient revenus à l'un des havres de leur Ordre : un petit taillis d'arbres à côté d'une cascade, au-dessus d'une rivière qui coulait jusqu'à un village proche, à la lisière de Jukai. Le village était amical à leur Ordre et les aidaient à cacher des fournitures dans le taillis pour leurs différentes cellules.

Un jeune homme – un garçon – les avait attendus là. Humain, petit, né et élevé à Towashi. Inconnu pour eux tous, mais il savait les codes. Chishiro apprit plus tard qu'il avait fait ami-ami avec un des espions de l'Ordre et leur avait caché la vérité avant de mettre fin à cette amitié de la façon la plus abrupte qu'on puisse imaginer.

Le garçon fit à peu près la même chose cette nuit. Il jouait bien le jeu de l'étudiant impatient – il avait assez faim. Il voulait mieux connaître la forêt, disait-il, et les esprits qui l'honoraient.

« Il y a pas mal d'esprits dans ta ville, aussi, avait répondu Chishiro.
– Pas comme les vôtres, » avait rétorqué le garçon, jetant un coup d'oeil à la lame au tranchant vert, attachée dans le dos de Chishiro – l'arme qui était le point focal de son lien avec son kami. Il y avait tant d'envie dans ce regard. Tant de désir. Et pourtant...
Kaima trouvait cela étrange, aussi. Il dit à Chishiro : Un nid vidé. Oisillon tombé. Source asséchée, et harde assoiffée.

Chishiro acquiesça. Ce garçon languissait si clairement, et sa main se tendait pour saisir quoi qui pût répondre au languissement. Et pourtant ses mains étaient vides. Pourquoi n'avait-il rien vu de propre à les remplir ?

Chishiro avait pitié de lui, de même que ses camarades.

Alors, ils écoutèrent. Ils parlèrent. Ils mangèrent avec le garçon et échouèrent à remarquer qu'il ne mangeait pas des vivres qu'ils partageaient entre eux.

Cette nuit-là, Chishiro et les siens tombèrent dans un sommeil profond, immobile. Il s'éveilla en panique, la lune basse entre les branches.

Chishiro ne pouvait bouger. Non plus qu'aucune des autres silhouettes dans son champ de vision. Certains ne respiraient pas non plus. Leur gorge avait saigné sur la terre mousseuse, à côté de la cascade rugissante.

Le garçon s'accroupit au-dessus de Chishiro, bien qu'il regardât ailleurs. Il regardait avec défi l'ombre entre les arbres, la forme qui rôdait dans l'ombre et frémissait dans des souffles terribles et lourds, d'énormes griffes creusant des sillons nerveux dans la terre et ses crocs ramifiés, frémissants. Kaima, puissant et redoutable.

« Pourquoi ne bouges-tu pas ? » Le garçon fit un geste en direction des corps flasques qu'il avait abattus de poison, et de cette main, il tenait une lame – une lame familière. Le point focal de Chishiro, volé de son côté, bien que puisqu'il n'était pas porté par sa main, il ne dégageait de lumière que celle qu'il reflétait de la lune. « Ne les aimes-tu pas ? »

Chishiro sentit la réponse de Kaima dans ses veines : Os saillants de la chair. Halètement de pourriture.

La rage du kami déferlait, impotente, une conséquence de leur lien unique. Kaima était par nature enchaîné à son foyer, mais son lien avec Chishiro lui permettait d'agir dans n'importe quel morceau du royaume des mortels auquel Chishiro le transportait. Cela le rendait aussi vulnérable aux aléas que subissait la chair de Chishiro.

Le puissant Kaima était à présent entravé dans les coins d'un Chishiro abruti, empoisonné. Même tandis que leurs camarades étaient tués un à un, Kaima ne pouvait rien faire – même pendant que la lame volée par le garçon était prête à tuer Chishiro, lui aussi.

Dans ce moment d'abattement, Chishiro luttait pour faire sortir quelque chose de sa gorge paralysée. Son esprit était trop embrumé par la douleur, la colère et la peur pour savoir ce que cela serait avant de s'écouler de sa bouche. Stop, voulait-il dire. Et pourquoi. Il ne put lâcher qu'un vague croassement.

Le garçon ricana de Chishiro, dégoûté – enchanté ? Il se retourna vers Kaima, les dents révélées : « Eh bien ? Tu sais ce que je veux. Lie-toi avec moi, et je n'aurai pas besoin de le tuer. »

Idiot, pensa Chishiro, et désespéré. Quel imbécile aurait pensé pouvoir forcer un lien ? Les citadins étaient-ils tombés si bas ?

Non, pensa-t-il en regardant ce garçon désespéré, et un frisson le parcourut des poumons à la gorge. C'était la faim de ce garçon qui le rendait si seul. Pas même un kami guidé par ce même besoin ne lui ouvrirait ses bras – aucun kami ne se donnerait à un mortel qui ne voulait que prendre et prendre, sans notion de ce qu'on pourrait donner.

Et qu'est-ce que Chishiro, à présent, avait-il encore à offrir à Kaima ?

Le puissant Kaima s'immobilisa. Sa tête de sanglier baissée, une ombre translucide, et ses yeux brillants rencontrèrent ceux de Chishiro.

Chishiro pensa : Laisse-moi partir. Sois libre.
Kaima tituba, son souffle un vent chaud qui fit frémir les arbres. Il dit : L'arbre soufflé par la tempête, et la racine qui se cramponne. Cramponne. Cramponne.

Le garçon serra la mâchoire, et il leva l'épée sur le cou pétrifié de Chishiro.

La racine dans l'esprit de Chishiro se cassa, et la lame dans la main du garçon se brisa.

La forêt résonna du rugissement de Kaima. Des ombres jaillirent d'entre les arbres, et l'immensité de Kaima chargea, chargeant à la fois sur Chishiro et le garçon avec une force ravageuse.

Chishiro sentit la pression atroce du passage du kami dans les rainures de ses écailles – mais il n'était pas piétiné, et quelques instants plus tard, il était seul.

Au sens plein. Chishiro n'avait pas connu la solitude depuis de longues années – depuis Kaima...

Il ne pouvait entendre Kaima.

La respiration de Chishiro dans le silence était accidentée, il regardait la lune entre les branches, se sentait petit, frêle, fini. Il lutta pour se tirer sur le côté, voir ce qu'étaient devenu le garçon et son partenaire.

Un sillon de terre ravagée, brisée s'écoulait du corps de Chishiro jusqu'à la berge. Il n'y avait aucun signe de son kami, de son point focal, ou du garçon qui les avait séparés.

Chishiro, engourdi, sans pouvoir penser, attendit et attendit que Kaima revienne, mais quand l'aube rampa entre les branches au-dessus de lui, il n'y avait toujours rien que lui. Alors seulement il parvint à se soulever et à découvrir ce qu'était devenu le village sous la cascade. Les dernières images que Kaima avait versées en lui lui vinrent à l'esprit alors qu'il posait les yeux sur ce carnage : Arbre ravagé. Racine scindée.

Le village était en ruines, les villageois aussi. Ils avaient été conquis par les racines de Jukai en une seule nuit, et sauvagement.

Chishiro ne savait pas quoi faire de lui-même, sans Kaima. Moins encore, avec, s'infiltrant, la certitude que la responsabilité de cette destruction ne reposait pas totalement sur le garçon, mais sur lui aussi. Sa fragilité. Sa volonté de se rendre.

Enfin, il brûla les corps de ses amis, et de chacun des villageois qu'il put trouver. Puis il partit, revenu au silence. Il n'avait pas choisi de vendre cette violence avant qu'on commence à le payer pour cela, et il avait fait ainsi depuis.

C'était ce pourquoi le kami de Coindeloin n'avait acquis que sa prudence. Pourquoi, même si ce kami aimait les siens, Chishiro ne pouvait lui faire confiance.

Pourquoi à présent, malgré cela, il le défendrait : ceux qui le menaçaient étaient ceux qu'il détestait le plus au monde, à part lui.



Les perturbateurs se déclenchèrent dans une séquence hasardeuse. Un coin de Coindeloin tomba subitement dans l'obscurité tandis que les armes des Mukotai clignotaient et s'éteignaient, tandis que les autres restaient lumineuses de menace.

Une samouraï tomba à genoux sous le poids d'une armure de plates qui n'était plus qu'un poids mort menaçant de la broyer. Un groupe des citoyens de Coindeloin déferla sur elle avec bâtons et épées, frappant et tranchant.

Un ninja planta ses dagues dans un local de Coindeloin, puis un autre, et une autre. Une par une, ses victimes trébuchaient et tombaient en un cri, les dagues ignées d'un feu violet.

Jenzo culbuta les pavés de la rue principale, éloignés d'un coup du perturbateur qu'il avait tenté de déclencher à côté de l'étrange bras à trois joints du mécha Mukotai. Le perturbateur atterrit entre eux. Jenzo rampa vers lui tandis que le mécha plantait ses pieds griffus entre les pavés qui craquelaient, et plongeait.

Ayari esquiva une autre lutte juste à temps pour pousser Jenzo en dehors de la trajectoire du mécha. Ils glissèrent hors de portée, mais le mécha s'était détourné à mi-attaque, et avec une grâce étrange, tourna sur son propre corps pour atterrir, genoux pliés, devant le perturbateur abandonné. Il saisit le dispositif entre ses longs doigts délicats et le tint devant le voile en morceaux qui cachait le cockpit, examinant son prix.

Une pression minuscule : le perturbateur fut brisé.

Puis le mécha tendit la main vers eux.

Jusqu'à ce qu'il fasse une embardée étrangement audacieuse. Quelque chose l'avait frappé dans le dos. Il se tordit pour se retourner sur l'assaillant, mais il s'était déjà accroché et avait remonté l'échine du mécha.

Tandis que le mécha chancelait, essayant de le désarçonner, Chishiro s'enroula autour du côté du cockpit ouvert et maintint son plafond de deux de ses bras. Il déchira le voile à l'intérieur avec un troisième, et avec son quatrième, il enfonça un perturbateur qui pulsait, couleur de jade, dans les mains du pilote.

Le pilote observa le dispositif, puis lui, horrifié. Il était enserré dans son mécha par une forêt de câbles emmêlés et de tubes, et à une seconde de là, quand le perturbateur détonnerait, il mourrait sans doute avec sa machine.

Chishiro n'attendit pas que cela arrive. Il se jeta loin du mécha quelques instants avant que le perturbateur crie et envoie la construction mécanique au sol, morte.

Chishiro se dépêcha. Il dépassa Jenzo et Ayari, tous deux de retour sur pieds. Jenzo tenta de le remercier, mais Ayari le retint. Comme à travers la fumée, Chishiro enregistra la fureur sur son visage, et le mépris.

Chishiro avait fait les erreurs qu'il avait essayé de lui empêcher de commettre elle. Maintenant des gens – les siens – mouraient, et c'était à cause de Chishiro.

Chishiro comprenait sa colère. Il savait ce que c'était de perdre des camarades à cause de l'égoïsme de quelqu'un d'autre.

Et pourtant il ne pouvait s'arrêter. Sa poursuite de Tatsunari était son idée fixe, cet homme dont la mort était un besoin pour Chishiro, comme un corps noyé avait besoin d'air.

Tatsunari avait fui le conflit. Il avait redirigé son crapaud pour le faire déferler sur la rue, au-delà de toute résistance, jusqu'au reliquaire qui l'attendait au bout. Il attendait là, à présent, lame au clair – l'ancien point focal de Chishiro, ressuscité et complet, terne de métal mortel. Il n'avait pas encore frappé. Tatsunari savait que cela prenait plus qu'un coup de tuer un kami.

Chishiro s'approcha de Tatsunari, ensanglanté et pantelant, sa lame d'argent colorée de viscères.

Le visage du chevaucheur de crapaud était froid d'une inimitié aussi profonde qu'un fleuve : « Toi, dit-il comme il l'aurait dit à un vieil ami. Je t'aurais pensé enroulé dans un trou et mort.
– Jette ton arme, ordonna Chishiro.
– Pourquoi le ferais-je ?
– Pour que je puisse te tuer avec. »
Tatsunari jeta la tête en arrière et rit de nouveau, en plein délire. « Vous, les conjoints ! Vous êtes tous les mêmes. Tellement pareils à vous-mêmes, tellement sûrs que le monde obéira à vos ordres.
– Sac à purin. » Mais même tandis que Chishiro grondait, la prise de conscience fit saillie dans sa poitrine et fleurit dans son être entier. « Tu les hais, dit-il. Les jami. »
Tatsunari serra la mâchoire, comme il l'avait dans cette lointaine nuit quand il avait levé la lame volée sur la gorge de Chishiro. « Pas plus que je déteste quiconque tuerait l'un de mes Mukotai. »

Ce fut au tour de Chishiro de rire, d'un rire né de ses boyaux et qui remplit sa poitrine comme de la fumée. La poigne de Tatsunari sur sa lame volée se serra, et il la leva comme s'il n'était sûr s'il devait frapper le reliquaire ou le guerrier fou devant lui.

« Tu les hais, c'est ça, cracha Chishiro. Tu les hais parce qu'ils te voient pour ce que tu es. Un homme vide. Un rien. »

Et c'était probablement cette même haine qui avait mené Tatsunari à envoyer ses éclaireurs Mukotai à Coindeloin au début. Towashi apportait bien peu d'opportunités de tuer un kami ; le petit nouveau reliquaire de Coindeloin avait dû être une cible irrésistible pour la colère de l'homme vide. Sa peur.

En effet, les mots de Chishiro eurent l'air de pénétrer plus cruellement la chair de Tatsunari qu'aucune lame n'aurait pu le faire. Son visage se tordit d'une douleur au-delà de toute rage. Sa lame volée, lancée en direction de Chishiro – mais Chishiro ne bougea pas, sa lame d'argent molle dans sa main.

Il pensait au vide. Cet homme vide bondissait vers lui, mais si Tatsunari plantait son épée dans Chishiro, il ne trouverait que plus de vide. Chishiro n'aurait pu dire pourquoi il avait ri, mais ce fut ce bruit et aucun autre qui lui échappa quand il réalisa le degré horrifique auquel ils n'étaient tous deux que des êtres de rien, épaves dans leur manque.

La lame autrefois bénie saisit Chishiro dans les tripes, sous ses côtes, où elle plongea de plus en plus profondément jusqu' ce que le sang jaillisse dans sa gorge.

Puis autre chose jaillit avec le sang. De la lumière et de la chaleur, déployées à l'intérieur de la blessure de Chishiro et étalées dans son rire – changeant son ton, jusqu'à ce qu'il fût autre chose que cet aboiement creux du désespoir, mais un étrange hurlement de satisfaction imminente.

Les yeux de Tatsunari s'élargirent avec une peur folle tandis que des racines sortaient de la blessure qu'il avait creusée en Chishiro, fines et pâles d'abord, puis plus sombres, plus sûres. Elles remontèrent le long de la lame jusqu'à sa main, et il relâcha sa main, d'horreur.

Le kami du reliquaire de Coindeloin s'était éveillé, et il dit à Chishiro : Un arbre absorbe le clou qu'on y a planté ; les racines lèchent le sang pour grandir, grandir.

Cela voulait dire : Saisis sa vengeance et fais-la tienne. Je t'en supplie. Je le souhaite. Pour moi, tu le feras.



Les racines perçaient le sol en arrangement violent. Puissantes et lacérantes, elles s'enroulaient autour des jambes, à travers les pieds, dans les torses.

Des hurlements déchiraient encore l'air, mais aussi des cris de délice et de soulagement. Les gens de Coindeloin voyaient leur kami enfin levé pour les sauver – alors même que les sombres racines fractionnaient les murs et les toits de leurs maisons pour saisir les Héliastes qui tentaient de fuir.

Chishiro n'avait de temps à perdre pour aucun autre destin que celui de Tatsunari. L'orochi toussait d'une toux saccadée, mais aucun sang ne coulait de sa bouche tandis qu'il libérait d'une main la maigre épée d'argent et saisissait d'une autre le pommeau de l'épée coincée dans ses entrailles. Le kami lui offrait de récupérer la lame ; elle semblait palpiter à même ses paumes – comme autrefois, cœur d'un engagement divin. Le kami de Coindeloin le poussa à avancer.

Dans sa fuite, Tatsunari était revenu sur son crapaud qui s'éloignait de bond en bond, coassant de peur à la vue du torrent de racines qui craquelait à sa sortie du sol.

Le kami parla de nouveau à Chishiro ; il n'osa trouver cela familier, aussi : Le sol de la forêt exige les vieux os.

Chishiro décrocha la lame de son torse. Il aurait dû à bon droit faire une hémorragie, et pendant un instant, son sang monta – mais il fut prestement bouché par les racines qui s'enroulaient comme de l'intérieur pour combler le trou. Il sentait encore la douleur, mais plus que cela, il avait adrénaline et besoin.

Tatsunari était encore en vie. Il ne le méritait pas.

Sans avoir à penser, Chishiro glissa sur une rivière de racines qui bouillonnait au sol et le porta dans les airs. De ce perchoir, il avait un panorama sur Coindeloin.

Les Mukotai s'efforçaient de battre en retraite jusqu'au coin du quartier le plus proche de Towashi, où les racines peinaient à ramper au-delà des infrastructures plus denses. Tatsunari était parmi eux, son crapaud sautant loin de la rage saisissante du kami.

Des images déferlèrent devant les yeux de Chishiro : Le faucon plonge. Le tigre bondit. Le serpent frappe...
« Pas besoin d'être si clair, » dit-il. Et il bondit, porté par une joie sans remords.

Prompt et parfait, Chishiro et sa lame et le pouvoir en eux plongèrent sur sa cible.

Tatsunari vit l'ombre de Chishiro tomber et se tourna, les yeux écarquillés. Il n'avait qu'une seconde pour choisir : faire face à la menace ou se sauver. Il se jeta de sa monture.

Chishiro trancha dans le crapaud. Il tira la lame de sa viande, hurlements démêlés dans la nuit, jusqu'à creuser assez profondément pour qu'il siffle puis meure enfin.

Le corps se fendit et s'effondra en une bouillie informe. Mais dès que ses parties eurent glissé au sol elles furent saisies et consommées par les racines saisissantes, qui cherchaient à se renforcer et à fleurir de leur richesse.

Chishiro se retourna, nettoyant le sang de sa lame. Le tranchant brillait de vert sous la lumière des lampes.

Tatsunari avait culbuté dans la rue après son saut et mal atterri sur sa jambe. L'angle du membre n'était pas normal. Chishiro s'avança de Tatsunari, qui montra les dents, les yeux humides de larmes angoissées.

Chishiro apparut au-dessus de l'homme brisé, et il sut, dans le cri de ses veines, que la brisure de Tatsunari ne suffisait pas. Cet homme avait trop tué, et il tuerait encore, parce qu'il n'était que le mépris ignoble avec lequel, depuis le sol, il regardait Chishiro, un poison, un...

Quelque chose dans ce regard brisé arrêta la lame de Chishiro. Tatsunari ricanait encore, mais Chishiro ne pensait pas qu'il cachât de la peur.

« Pourquoi ? se trouva à demander Chishiro. Qu'est-ce qui a fait de toi... ça ? »
Tatsunari ravala un rire qui mourut dans sa gorge. « Comme si tu pouvais comprendre. Tu es un élu. Je ne suis rien. Tu l'as dit toi-même. Tue-moi, maintenant. »

Une colère noire transpirait dans les mots de Tatsunari, mais sous cette fureur, à la fois fragile et stable, se trouvait le désespoir.

Et ce fut le désespoir qui invoqua une douleur dans la poitrine de Chishiro, pulsant de là où Tatsunari l'avait frappé quelques instants plus tôt.

Un vent chaud soufflait dans cette nuit calme. Chishiro leva les yeux pour rencontrer l'énormité de l'ombre vide qui frissonnait au-dessus de Tatsunari brisé. Enfin, il s'autorisa à reconnaître le kami qui avait rôdé dans le petit reliquaire noueux, qui avait dévoré un Héliaste pour s'être introduit sur son territoire, et qui les surplombait maintenant d'une silhouette autant familière qu'étrangère – la majesté qui avait été autrefois Kaima.

Un éclat bouillonnant perça l'image du kami comme un éclair. Une lumière comme un poison, car avec chaque éclair, une autre image brûlait l'esprit de Chishiro :
Broie. Tripes. Dévore. Mets fin à cette épave sans foi – mets fin au prochain, et au prochain.

D'autres cris s'élevaient dans le vent rassemblé. Des jappements effrayés et des respirations douloureuses venant de Coindeloin – pas des Mukotai en fuite, mais de ceux qui étaient restés parce qu'ils s'étaient pensés en sécurité chez eux. Mais les racines n'étaient pas encore rassasiées. Kaima non plus.

« Pourquoi ? » demanda de nouveau Chishiro. La question était tombée de sa bouche sans qu'il y pense.
Kaima répondit : Chair mortelle et œuvre mortelle. Une seule sorte de créature a assez de cœur pour en trahir une autre.

Et pour cela, Chishiro s'en rendit compte, le kami voulait leur mort ; qu'ils soient Mukotai ou non, Kaima les effacerait eux tous pour leur péché de faillibilité.

Chishiro empoigna la blessure de son torse que Kaima avait fermée. Elle brûlait, comme infectée.

A ce moment, son monde vacilla. Quelqu'un l'avait plaqué dans le dos et lancé sur le côté. Un cogneur Mukotai en armure l'avait éloigné pendant une seconde cruciale pour tirer Tatsunari du sol.

Le choc ne quitta pas les yeux de Tatsunari tandis que son allié le transportait au loin, pour le sauver d'une mort certaine. La surprise de Chishiro s'évanouit bien plus tard – remplacée par une résolution nouvelle.

Trahison, pourriture et mort, il avait vu tout cela, oui, et il l'avait vu encore et encore. Mais ces choses-là n'étaient pas la fin. Jamais elles ne l'étaient.



Chishiro se retourna vers la scène derrière lui. Coindeloin craquait dans ses moindres fondations, ses structures effondrées sous l'assaut des racines de Kaima, les habitants s'efforçant de se libérer de la haine implacable de leur kami.

Là, au centre de la rue, s'élevait le puissant Kaima, haine et trahison fusionnés dans un énorme dos hérissé et un jaillissement de défenses boisées. Il sortait de l'ombre dans la réalité colorée, et tous ceux qui le voyaient étaient frappés de stupeur par la rage qui courait sous sa fourrure comme un incendie.

Un regard leur suffisait à savoir : il était le kami qui était venu vers eux si soudainement de la terre, qu'ils avaient tenté de nourrir d'amour et d'attention – mais cela n'avait pas suffi à calmer la rage qu'il brassait. Il voulait tous les tuer.







Chishiro ne pouvait pas le laisser faire.

Il chercha du regard Ayari et Jenzo dans la rue. Il appela leur nom, et ils sortirent de leur terreur pour le regarder lui, méfiants, les yeux écarquillés. Chishiro secoua sa tête en direction de Towashi. C'était tout ce qu'il avait le temps de leur dire.

Comme les deux jeunes gens de Coindeloin couraient pour rassembler tous ceux qu'ils pouvaient sauver et les transporter en ville, Chishiro s'avança vers son vieil ami – lame en main et racine en torse.

« Pourquoi toutes ces morts, Kaima ? demanda-t-il en glissant sur les pavés et les corps brisés. Ils t'aiment, tu t'en rends compte. »

Kaima se tourna vers Chishiro, mais Kaima ne le regardait pas. Le regard du kami, à la fois d'émeraude profond et de tempête claire, était fixé sur l'espace sous Chishiro. Sur Towashi, et sur ceux qui fuyaient vers la ville.

Mais ce fut ce que dit Kaima qui força Chishiro à l'arrêter. Ces paroles arrivèrent par l'image et les sens, comme toujours, sauf qu'à présent il y avait une précision terrible. Quand Kaima parla pour justifier ces morts, il ne parla pas du plan, mais de :
Chishiro, qui apprend aux Héliastes comment grimper aux arbres et tuer en silence. Chishiro, qui apprend aux Futuristes comment se protéger de la force dispersante d'un perturbateur. Chishiro, autrefois conjoint, maintenant sans foi et plein de hargne, mu par la faim et non la foi, se détestant non seulement lui, mais aussi...
« Tu penses que je te détestais, » lâcha Chishiro. Un vide douloureux naquit dans son cœur tandis que le jugement de Kaima traversait ses membres.

Car si le mortel dont la vie avait autrefois défini Kaima le détestait à présent, qu'est-ce que Kaima pouvait devenir, sinon haineux, aussi ? Qu'importe que cette haine ait autrefois été si loin du monde du puissant Kaima qu'il avait peine à la comprendre, maintenant c'était ce qui l'avait brisé, et donc ce qui lui restait.

Seulement, Chishiro comprit alors que ce n'était pas Tatsunari, la lame qui avait tranché leur lien ; à peine avait-il été un pivot, et sous sa pression, la chaîne avait cassé. Le poids de cette cruauté les avait défaits tous deux – ils n'avaient plus que cruautés déchiquetées en eux, brisés par leur douleur et sans volonté autre que d'exercer cette douleur sur d'autres.

Autrefois, Chishiro pensait que c'était aux kamis de choisir quand – si – un mortel devait mourir. A présent il avait pris ce choix entre ses mains ensanglantées, il l'avait fait encore et encore.

Et pourtant, là...

Coindeloin grinçait et se fragmentait autour d'eux, et Chishiro ne pouvait tenir sa langue.

« Qui es-tu pour choisir ? » La colère tailla chaque mot dans sa bouche, mais sa voix manquait de chaleur. Chishiro le demandait comme un homme qui jugeait à peine. « Tu n'es que l'ombre de toi-même. Un fantôme meurtrier. Tu abjures les mortels, mais nous sommes autant de Kamigawa que n'importe quelle racine ou fleur – autant que tout oiseau et loup. Tu nous rejettes à présent parce que tu as peur d'être encore blessé. N'avons-nous pas choisi cela ? Être blessés, ensemble, pour leur bien. Comment peux-tu laisser la hargne d'un homme te faire tant de mal ? »

Chishiro croisa l'oeil de Kaima qui le pénétrait, le lorgnait, un abîme noir infatigable. Il pensa, au fond de son estomac : Nous allons nous entre-tuer.

Puis un craquement le parcourut, du crâne à la queue, et une image jaillit en lui : Un beau printemps embourbé par un corps qui suppure, et son propre reflet dans l'eau fétide – parce que c'était sa propre chair, traversée de racines qui étaient devenues sa couronne et ses griffes, qui avaient empoisonné le printemps de sa mort.
Oh,
pensa Chishio, et il vit la prise de conscience s'élever en Kaima, aussi, qui à ce moment diminua, sa rage concentrée sur lui-même. Oh, se répéta-t-il, on l'a déjà fait.



L'orochi et le kami qui avaient été autrefois n'étaient plus. Leur lien non plus n'était plus qu'un souvenir, qu'ils regrettaient ensemble tandis que la nuit se levait, calme et suffocante. Les racines de Kaima ne s'entortillaient plus. Coindeloin restait debout, quoiqu'en ruines.

« Je corrigerais cela, Kaima, » dit Chishiro, et il baissa la tête en offrant la lame qui avait été le cœur de leur lien. « J'arracherai ma vie de toi s'il le faut. »

Il s'était vu lui-même, après tout – la chair mortelle dans le printemps empoisonné, jumelée à la divinité de Kaima, qui la forçait à connaître la pourriture et le tort.

Un bruit étrange sortit de Kaima tandis que le kami semblait se pencher. Le puissant esprit gronda en direction du sol fragmenté, envoyant des nuages de poussière autour de sa forme affaissée, agenouillée. Il trembla de nouveau, ce bruit roulant toujours en lui. Un rire, se rendit compte Chishiro. Vieux et fatigué. Malade.

« Je ne peux pas être corrigé, » dit Kaima, dans une langue parlée nouvelle à sa gorge antique. Nouveau, mais un cadeau. Une excuse, un sifflement humide, étrangement mortel. « Je suis comme je suis. Je deviens ce que je deviens. C'est possible, par contre, que je ne veuille plus être celui que j'ai été. »

Chishiro avait encore mal d'entendre l'ombre de cette vieille pente interrogatrice – la merveille qui avait guidé le Kaima auquel il s'était donné. Le kami qui avait toujours cherché un moyen d'atteindre ceux qui ne lui ressemblaient pas.

Chishiro tendit une paume vide, comme une tentative, vers l'énorme groin, et eut le droit de le toucher. « Alors comment puis-je te donner la paix ? demanda-t-il.
– Est-ce que je le mérite ?
– Peut-être pas, » reconnut Chishiro. Ils se tenaient dans les décombres de la rage de Kaima, qui n'était que la plus récente de ses cruautés. Et pourtant. « Je te souhaite de l'acquérir.
– Alors donne-toi de nouveau à moi, » proposa Kaima, plus vite qu'il aurait dit n'importe quels autres mots. Son désir était clair, son besoin. Chishiro se vit réfléchi dans l'oeil noir de Kaima, et un instant, ils brillèrent ensemble. « Refais-moi pendant que je te reforge. Sois ma vigilance. Ma garde. Ma foi et mon lien. »
Chishiro pensa : Je ne peux pas. Il pensa : [/i]Je ne dois pas.[/i] Et il pensa : Pourquoi me ferais-tu encore confiance.

Mais cela, précisément, c'était le truc dans un lien. Même quand ils avaient perdu espoir en eux-mêmes, ils pouvaient le retrouver, réfléchi dans l'autre.

Chishiro leva de nouveau la lame focale entre eux, et quand il le fit, des fractures commencèrent à y courir. Tandis que les fragments tombaient, l'un après l'autre, ils révélèrent une lumière – réapparue.

Alors c'était comment ?

     
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—Gérard de l'Akilékon, Carnets de voyage

Proposé par Dark Mogwaï le 19/06/2012

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