Ulf est étudiant à l'Académie tolariane de Lat-Nam, avec un don pour la recherche mais un certain manque de talent magique. Une découverte improbable le pousse à se reposer sur son esprit et l'aide d'un mystérieux étranger pour éviter les dangers. Vous trouverez l'article original ici.
L'Education d'Ulf
Ulf était, et il se l'admettait avec peine, un meilleur chercheur que mage. Sa magie pratique était au mieux rudimentaire, et il n'inscrivait presque jamais une rune correctement – mais peut-être cela viendrait-il avec le temps. En attendant, il essayait de faire profil bas dans les classes tolarianes, de n'attirer pas trop d'attention sur lui, de se rendre utile en nettoyant les écuries et en se chargeant des autres tâches de manutention dont personne ne voulait. Pendant ce temps il étudiait désespérément, espérant en une découverte capitale.
Mais il ne put échapper à l'attention des autres que pendant un certain temps. Bientôt un de ses enseignants, un artificier nain aux traits joviaux du nom de Thranegeld, lui fit signe à la fin du cours.
« Tu n'es pas bon en magie, Ulf, dit-il de sa voix rocailleuse.
– Excusez-moi, monsieur, répondit Ulf.
– Pas bon en artifice non plus. »
Ulf se contenta d'acquiescer.
« En quoi es-tu bon ?
– Je ne sais pas, monsieur.
– Pourquoi es-tu ici ?
– Je veux être mage, monsieur.
– Ne penses-tu pas que le programme agricole t'irait mieux ? J'ai entendu dire que tu étais d'une grande aide dans les écuries.
– Je suis venu ici pour être mage, » répéta Ulf, entêté. Son père y avait été opposé, avait voulu qu'Ulf reste et hérite de la ferme. Sa mère aurait pu l'encourager si elle avait été là – des rumeurs disaient qu'il y avait de la magie de ce côté de la famille – mais elle était morte quand il était encore jeune. Cela avait été un combat difficile depuis le début.
Les yeux du nain se plissèrent. Il retira une lampe étrange de la table et la souleva, pour qu'elle brille dans les yeux d'Ulf. Ulf cligna des yeux et les tourna. Quand le nain éteignit la lampe, son expression s'était adoucie.
« Je craignais que tu sois l'un d'entre eux, mais non. Bien.
– L'un d'entre qui, monsieur ?
– Un agent phyrexian, » répondit-il. Comme les yeux d'Ulf restaient vides, il continua. « Des citoyens des Enfers de Machine qui espèrent faire de notre plan le leur. Ils ont l'air humain, mais ce ne sont que des mélanges hideux de chair et de métal. Ils désirent détruire tout ce qui nous est cher.
– Ils sont là, à Lat-Nam, dans l'académie ? »
Le nain acquiesça : « Ils sont partout. » Il fronça les sourcils. « En ce qui te concerne, commençons par ce en quoi tu es bon. La recherche. Tu peux en faire, je te l'accorde. Faisons un marché. Tu peux continuer à venir en classe, mais tu vas faire quelques recherches pour moi, à côté. »
Cela semblait une requête assez ordinaire. Ulf avait entendu d'autres étudiants parler : un bon nombre s'était vu assigner quelques tâches supplémentaires par l'un des enseignants. Le cours de Thranegeld portait sur l'ancien monde, sur ce que le monde avait été avant l'Ere de la Faille. Chaque étudiant avait un projet sur lequel mener des recherches. Ce qui signifiait qu'Ulf avait son sujet assigné normalement, sur l'Explosion du Sylex, qu'il présenterait en classe. Mais à présent il avait un autre projet spécial.
« Corondor, grogna Thranegeld. Voyons à quel point tu es bon chercheur, mon garçon. Trouve tout ce que tu peux. Pas l'habituel, tu te doutes : les tunnels secondaires. » Et quand Ulf se tourna pour partir : « Ne te sens pas obligé d'en parler à tes camarades. »
Quand il menait ses recherches sur l'Explosion du Sylex, il se trouvait dans la même section de la bibliothèque que les autres étudiants, penché sur les recueils de livres longtemps feuilletés que des étudiants avaient utilisé sur les mêmes sujets pendant des années. Cela lui donna vite assez pour son exposé – bien qu'il eût cherché aussi un livre ou deux plus loin que lui donnaient un peu plus : des détails dont il pensait qu'ils n'étaient jamais apparus dans des papiers d'étudiant auparavant. Faire des recherches sur Corondor était plus complexe. Dans la section où il avait trouvé tout d'abord des informations sur l'Explosion du Sylex, il y avait vraiment peu d'informations, quelques fades détails, les histoires consensuelles que chaque enfant connaissait. Même quand il étendit sa recherche il ne trouva pas grand-chose. Sur une étagère basse où les textes importants étaient censés se trouver, il n'y avait qu'un écart vide : les livres manquaient, et il n'y avait aucune note concernant celui qui les avait empruntés. Mal placés, peut-être ? Ou y avait-il plus que cela ?
Ou peut-être cela faisait-il partie d'une sorte de test. Peut-être que Thranegeld avait caché lui-même les livres, attendait de voir ce qu'Ulf ferait.
Pendant les semaines suivantes, Ulf passa chaque temps libre à la bibliothèque. Il écumait étagère après étagère, analysant les titres, replaçant les livres qui n'étaient pas à leur place. Tout d'abord, il n'y eut aucun signe des volumes manquants. Plus tard, il se demanda s'ils avaient jamais existé. Enfin, il se trouva éloigné des piles principales, dans les chambres secondaires qui sentaient le renfermé, où les parchemins et les tomes étaient empilés plutôt que mis sur des étagères. Mais aucun d'entre eux ne touchait à Corondor si ce n'est superficiellement.
Et puis, dans un coin oublié d'une de ces chambres secondaires, il vit là où une pile avait basculé, dont les livres étaient renversés contre le mur. Parmi eux se trouvait un vieux livre moisi, le coin déchiré. Il le souleva et nettoya la crasse qui le recouvrait, vit des cercles ronds de moisissure sur ce qui restait du frontispice, l'obscurcissant tant qu'il était impossible de déchiffrer le titre. Sont-ce vraiment des cercles de moisissure ? se demanda-t-il en y passant les doigts. Pourraient-ce être des runes usées ou brisées ? Il ouvrit le livre et vit qu'il était écrit dans une graphie qui manquait de naturel, en ancien vodalian. Il ne pouvait déchiffrer certains des mots – ils étaient inhabituels et ésotériques. La langue était si évasive et peu claire qu'il n'était pas certain de l'interpréter correctement, mais cela avait l'air de se référer à une figure mythique – Sol'Kanar, le Roi Démon de Corondor. Sol'Kanar fut autrefois un maro-sorcier, un gardien des forêts, avant d'être maudit par la Planeswalker Geyadrone Dihada. En tant que serviteur démoniaque de Dihada, Sol'Kanar avait porté la Lamenoire contre Dakkon lui-même, ainsi que Carth le Lion, fondateur de la Maison des Carthalion. Le livre détaillait la malédiction et une diversité de manières dont la malédiction pouvait être levée, l'une d'entre elles impliquant la mort de Dihada. Il sourit. La Maison Carthalion était la famille régnante de Corondor, mais le royaume avait été usurpé par Sol'Kanar quelque temps auparavant. Les détails de cette histoire véritable – et même de comment briser sa malédiction – seraient d'une grande valeur pour quiconque chercherait à libérer Corondor. Cette trouvaille impressionnerait Thranegeld. Il devrait admettre qu'Ulf avait vraiment découvert quelque chose. Tout ce qu'il avait à faire était tirer les enseignements de ce qu'il avait vraiment trouvé, écrire son compte-rendu, et alors Thranegeld reconnaîtrait qu'il avait sa place ici.
Son sourire vacilla. Et si ce n'étaient que des sottises ? Assurément si ç'avait été un tome important, il aurait été préservé avec plus de soin. Et si le livre n'était rien qu'un conte enfantin ? Ou une fiction ?
Avant d'aller voir Thranegeld, il devait quérir une seconde opinion.
Ulf frappa à la porte qui donnait sur les chambres de Silas Brotten. Brotten n'enseignait qu'aux étudiants des classes supérieures. C'était un auteur estimé, spécialiste en ancien vodalian ainsi que dans la période durant laquelle le livre avait été écrit. Pendant un long moment il n'y eut pas de réponse. Ulf levait se main pour frapper à nouveau quand il entendit Brotten s'éclaircir la gorge et dire doucement : « Oui ? »
Ulf ouvrit la porte et rentra. Brotten était assis dans une chaise rembourrée, un vieux parchemin sur les genoux, une pipe posée sur un plat en étain sur la table à côté. Un instant, il eut l'air décontenancé, puis son visage s'éclaircit. « Ah, le garçon des écuries. Pas de mauvaises nouvelles à propos de mon coursier, j'espère ? »
Ulf rougit. « Non, monsieur, répondit-il. J'ai une question. »
Brotten enroula le parchemin et le posa. « Je ne m'étais pas rendu compte que vous étiez aussi étudiant, dit-il. Au programme agricole ?
– Non, monsieur. J'étudie la magie. »
Brotten leva un sourcil. « Je... suppose que je peux vous accorder quelques minutes. » Il lui indiqua une chaise : « Asseyez-vous.
– J'ai trouvé quelque chose, » dit Ulf en lui tendant le livre.
Brotten prit le livre avec paresse, le feuilleta, lisant quelques mots. Soudain, son attention changea. Il s'assit plus droit, retourna au début qu'il commença à lire. Il lança un regard sur Ulf. « Où avez-vous trouvé cela ? » demanda-t-il. Quand il eut admis qu'il l'avait trouvé dans la bibliothèque, le regard de Brotten s'aiguisa. « Que cherchiez-vous qui vous a fait tomber sur cela ?
– Je travaille sur un projet pour mon enseignant, répondit Ulf.
– Quel enseignant ?
– Thranegeld, monsieur.
– Ah, l'artificier nain. Son exposé de première année.
– Pas... pas exactement, répondit Ulf en hésitant de continuer.
– Tout va bien, le rassura Brotten. Vous pouvez tout me dire. Après tout, je suis enseignant.
– Un projet spécial, monsieur, avoua Ulf. Il me fait faire des recherches sur Corondor. »
Brotten acquiesça. « Eh bien, c'est une certaine découverte, dit-il. En fait, ce pourrait être encore mieux si vous laissiez cet ouvrage avec moi. »
Ulf hésita, puis secoua la tête. « Je ne crois pas que je le puisse, monsieur.
– Non ?
– Je devrais d'abord le montrer à mon enseignant. »
Un instant Brotten garda la prise sur le livre, regardant ses mains, et puis le rendit. « Comme vous voudrez, » dit-il. Il se tourna, apparemment ennuyé, désintéressé. « Je vous laisse retrouver la sortie. »
Les mains de Thranegeld tremblaient tandis qu'il tenait le livre. « Sais-tu depuis combien de temps il est perdu ? Dans quelle abysse l'as-tu trouvé ? » Il regardait attentivement Ulf. « Je commence à croire qu'il y a plus en toi que ce qu'on peut voir.
– Qu'allez-vous en faire ?
– Moi ? Rien. Il ne serait pas sage de le garder puisque je n'ai pas fait la découverte. Une de mes règles : si tu le déterres, tu le gardes. Non, pas seulement le garder : le planquer.
– Où ça ? »
Thranegeld secoua la tête. « C'est à toi de décider, mais ne me le dis pas. Ne le dis à personne, tu entends ? Et ne dis à personne que tu l'as. »
Ebahi, Ulf acquiesça. Il prit le livre et se tourna pour partir, puis se remit face à l'enseignant. « Monsieur, n'est-ce pas justement le genre de connaissances que nous devrions partager ?
– Eh bien, oui, admit Thranegeld. En principe, au moins. » Il tapota le bras d'Ulf. « Nous le partagerons, se reprit-il. Je vais écrire à un ami pour mettre les choses en marche. Quand il sera temps et que tu seras sûr de qui sont nos amis, nous le partagerons. »
Dans les étables, sur le mur où il conservait les pelles et râteaux qu'il utilisait pour les nettoyer, se trouvait une alcôve rectangulaire. Il enroula le livre dans de la toile cirée et le mit en sécurité là, sous deux poignées de paille.
Il continua à agir comme d'habitude, retournait à la bibliothèque. Il cherchait plus de livres sur Corondor, mais sans réel succès. Quelques jours plus tard, de retour au soir d'une autre expédition futile, il trouva la porte de sa chambre entrouverte. Regardant de plus près, il vit que le cadre de la porte était craqué, la serrure forcée.
Il s'arrêta en tendit l'oreille, mais il n'entendit aucun son de l'intérieur. Étrange : à cette heure de la nuit, ses trois camarades de chambre étaient habituellement là.
Avec précaution, il poussa un peu plus la porte. Il vit d'abord des pages éparpillées au sol, puis la literie déchirée et dispersée aussi. Le placard était ouvert, son contenu vidé. Un de ses camarades avait-il lancé un sort qui avait mal tourné ?
« Y a quelqu'un ? » commença-t-il à dire, mais une fois qu'il eut ouvert la porte, sa voix se coupa.
Le bout opposé de la chambre était trempé de sang. Ce qu'il vit ensuite lui fit sentir un arrêt de son cœur. L'un de ses camarades de chambre était étendu là, des coupures sur les bras, la gorge tranchée. Un autre était étendu face au mur, dans une mare de son propre sang. Le troisième, il ne le vit pas jusqu'à se rapprocher un peu, mais c'était le pire de tous. Il avait été démembré, les parties de son corps empilées soigneusement contre le mur.
Il fuit.
Le livre se trouvait toujours là, toujours en sécurité. Mais pour combien de temps ? Non, que Thranegeld le veuille ou non, il devait le lui donner. Il lui dirait ce qui s'était passé. Ensemble, ils trouveraient quoi faire.
Il retourna des étables, le livre enroulé dans de la toile huilée serré contre sa poitrine. Il gardait la tête baissée, essayant d'avoir l'air discret. Il y avait encore assez d'étudiants dehors, qui parlaient et riaient, pour que sa présence ne semble pas trop incongrue. Pourtant, il se sentait comme s'il avait une cible au milieu du front.
Aussitôt qu'il fut à l'intérieur, il se précipita en ligne droite vers les chambres de l'Enseignant Thranegeld. Il entra sans frapper. Thranegeld était à son bureau, mais la chaise tournée, face à la fenêtre. « Monsieur, dit-il, monsieur ! Ils sont morts, tous ! Le livre n'est pas en sécurité, nous devons... »
Sa voix s'estompa. Thranegeld ne s'était pas tourné au bruit de ses mots. Il n'avait même pas bougé.
« Monsieur ? » répéta-t-il.
Ulf avait la gorge serrée. Il s'avança, lentement, et passa derrière le bureau. Il fit un pas de plus, puis un autre, jusqu'à se trouver directement derrière son professeur, et il tendit la main pour lui secouer l'épaule.
Pendant un instant il ne se passa rien, et puis le nain bascula et glissa de la chaise, sur le sol. Quand il le mit sur le dos, Ulf vit son visage blanc et tordu de terreur. Quoi qu'il lui arrivât, ce n'avait pas été une mort facile.
Où puis-je aller ? se demandait-il. Il se dit ensuite : Je dois seulement continuer à bouger pendant que j'y réfléchis. En qui pouvait-il avoir confiance ? Il devait parler à quelqu'un, se représenter que faire, et vite. S'il ne le faisait pas, il serait bientôt mort lui aussi.
Il traça sa route jusqu'à des toilettes et s'y enferma. Il y resta pour respirer profondément, afin d'essayer de se calmer. Enfin, ses mains cessèrent de trembler. Il glissa le livre dans la poche de sa robe, où il resterait hors de vue.
Il pouvait prendre le livre et fuir, mais où irait-il ? A qui pourrait-il l'apporter ? Une autre académie ? Ou devait-il rester là et le donner à l'archimage ? Et s'il se rendait dans les quartiers de l'archimage et le trouvait mort, lui aussi ?
Non, il valait mieux s'enfuir tant qu'il le pouvait.
Et puis encore, s'il fuyait, ne serait-il pas accusé des meurtres ?
Il ne savait que faire, ne savait du tout. Il avait besoin de quelqu'un à qui parler, une autre personne pour l'aider à analyser les choses.
« Qu'y a-t-il, mon érudit rustique ? » demanda Brotten, avant de regarder plus précisément Ulf. Son visage se plissa avec inquiétude. « Qu'est-ce qui ne va pas ? C'est comme si vous aviez vu un fantôme.
– Il est mort, souffla Ulf. Ils sont tous morts.
– Qui est mort ? Prends ton temps, palefrenier. Arrête de dire n'importe quoi. »
Ulf expliqua par bribes ce qui était arrivé. Lentement, Brotten parvint à rassembler les pièces.
« Je ne savais pas quoi faire, » conclut Ulf.
Brotten acquiesça. Il tournait en rond dans son étude, réfléchissant. « Mon conseil, dit-il enfin avec lenteur, serait de se débarrasser de ce livre. C'est évidemment cela qu'ils recherchent.
– Mais pourquoi ? Pourquoi le veulent-ils ? Et qui sont-ils ?
– Espérons que tu n'aies jamais à apprendre la réponse de ces questions, répondit Brotten. Tu es jeune et inexpérimenté, et difficilement en position pour protéger le livre. » Et puis, comme si la pensée venait de surgir dans son esprit : « Il serait plus en sécurité, peut-être, si tu le laissais avec moi. »
Presque par réflexe Ulf commença à plonger sa main dans la poche de sa robe. Il avait l'habitude d'écouter ses enseignants, de leur obéir, et il lui était difficile de ne pas le faire. Mais à mi-chemin, sa main s'arrêta. Il hésitait.
« As-tu le livre avec toi ? insista Brotten, ou devras-tu me mener jusqu'à lui ? » Et pendant un court instant, Ulf vit le désir à nu sur le visage de Brotten.
« Je... commença Ulf, je dois... » et il se mit à reculer lentement en direction de la porte.
Avant qu'il l'atteigne, une transformation commença. Le visage de Brotten perdit toute expression, une ligne sanglante traçant soudain sa route du centre de son front jusqu'à son menton. Avec un bruit visqueux son visage se sépara et s'étendit de chaque côté sur ses épaules, comme une cape, révélant un groupe de câbles à la place d'un cou et un crâne de métal baigné d'acide. Ses yeux étaient verts, possédés par une lumière irréelle. Un Phyrexian, réalisa Ulf avec horreur. Il s'était tourné exactement vers la mauvaise personne. Il s'était jeté droit dans la gueule du loup.
Brotten se tenait là, un mélange de sang et de pétrole noir perlait sur son crâne. Il déchira presque naturellement la chair lâche qui avait été son visage et la laissa tomber au sol. Sa voix, quand il parla, était différente à présent, cruelle, mécanique, vidée par hémorragie de chaque once de chaleur humaine.
« Donne-moi le livre, grogna-t-il. Tout de suite ! »
Ulf sauta en arrière. Il parvint, en sortant, à claquer la porte derrière lui, le loquet fermé dans le mouvement tandis que Brotten bondissait en avant. Il entendit son hurlement d'irritation tandis qu'il se cognait contre la porte fermée.
Ulf se précipita comme un rat dans le hall. Un instant plus tard, la porte explosa tandis que Brotten la traversait sans s'inquiéter de l'ouvrir.
« Abandonne, mon garçon ! criait-il à Ulf. Si tu le fais, peut-être que je te laisserai vivre ! »
Ulf accéléra à l'angle, zigzaguant entre deux étudiants déroutés. Un instant plus tard, il les entendit inspirer d'horreur. Il se tourna et vit l'un tenter de tirer un éclair d'énergie sur la créature qui avait été Brotten. Il le frappa dans la poitrine, laissant un trou béant dans la chair, qui révélait un réseau de câbles pareils à des antennes qui se tordaient en-dessous. L'un d'entre eux saillit d'un coup et s'enfonça profondément dans l'oeil de l'étudiant pour lui sortir par l'arrière du crâne. L'autre étudiante, dans un cri, tenta de courir, mais Brotten fut rapidement sur elle, des lames révélées soudain de sous ses doigts.
Et puis Ulf fut de nouveau dans un angle. Au loin, il entendit le cri aigu de l'étudiante et puis, abrupte, sa coupure. Il coupa à travers une classe et sortit par sa porte de service, puis escalada au plus vite les escaliers, deux marches à la fois. Au sommet, il retint sa respiration et attendit, mais presque immédiatement il entendit de lourds pas. Brotten devait le flairer d'une manière ou d'une autre – ou peut-être seulement qu'Ulf n'avait pas été aussi malin qu'il l'avait cru. Il parcourut le hall, vers une étudiante inattentive, une deuxième année qu'il connaissait vaguement.
« Cours ! » hurla Ulf, mais l'étudiante resta simplement sur place, glacée. Elle va se faire tuer, pensa Ulf, mais tandis qu'il la dépassait, il se rendit compte que l'étudiante pleurait des larmes noires. Du pétrole.
L'étudiante se jeta sur lui. Ulf l'esquiva désespérément et continua de courir.
« A l'aide ! criait-il. A l'aide ! »
L'étudiante aux larmes de pétrole se rapprochait, et Brotten la suivait de près. Ulf sentait la main de l'étudiante saisir sa robe, et il se tourna assez longtemps pour la pousser. Elle trébucha et tomba au sol. Ulf s'esquiva à gauche et puis à droite, mit un petit coup d'accélérateur et puis tourna à droite encore... pour se rendre compte que le hall se concluait en une impasse.
Il essaya de se retourner, mais il était trop tard. Elle lui bloquait le chemin. Un instant plus tard, Brotten arriva aussi.
« Palefrenier, » dit Brotten tandis qu'Ulf reculait lentement. Y avait-il une sortie ? Son esprit se précipitait à tenter de trouver ce qu'il pouvait peut-être faire. « Je vais te donner un choix, continua Brotten. Je suis un homme bon, même si, techniquement, je suis plus qu'un homme. » Il fit un pas. « Soit tu peux me laisser le livre et mourir d'une mort simple et propre, ou tu peux refuser et être douloureusement déchiré. » Il fit un autre pas. « Quoiqu'il arrive, tu mourras. Mais la deuxième mort, je te l'assure, sera décidément plus douloureuse.
– Un pas de plus et je détruis le livre, » menaça Ulf.
Brotten sourit, bien que sur son visage de métal le sourire ait plutôt l'air d'un rictus de douleur. « Peut-être est-ce précisément ce que nous désirons faire nous-mêmes. » Brotten fit un pas de plus. « Donne-moi le livre.
– Non, » répondit Ulf. Il ferma les yeux et attendit que sa fin vienne.
Mais la fin ne vint pas. Avec une explosion, le mur derrière lui s'effondra. Poussière et fumée remplirent l'air, et au travers apparut une créature immense, humanoïde mais pas humaine. Il avait la peau et les écailles d'un lézard et l'apparence d'un dinosaure. Un viashino. « Cours ! ordonna-t-il à Ulf. Trouve-le ! Je vais les retenir tant que je peux.
– Trouver qui ? » demanda Ulf.
Mais le viashino s'était déjà tourné. Regardant Brotten, il siffla et bondit vers lui. L'étudiante se plaça entre Brotten et lui, et avec un rugissement, le viashino l'envoya valser.
« Non ! cria Brotten à l'étudiante. Poursuis le livre ! Ne perds pas cet idiot ! »
Blessée, du pétrole coulant d'un de ses flancs, l'étudiante peina à se mettre sur pieds. « Cours ! » hurla de nouveau le viashino, et cette fois Ulf le fit.
C'était mieux, il en avait convenu, de se cacher, et de se cacher dans le lieu qu'il connaissait le mieux : la bibliothèque. Il faisait son chemin entre les piles, passant un bibliothécaire étonné, et se jeta dans la section plus ancienne, moins éclairée. Il ralentit, commença à marcher en silence. Pouvait-il se cacher dans la salle secondaire où il avait trouvé le livre ? Trop risqué : il avait pu en parler à Brotten. Autre part, alors.
Et puis il se souvent de l'étagère inférieure qui avait été vidée des livres sur Corondor. Il marcha vite dans sa direction. Y avait-il assez de place pour s'y glisser ? Oui, s'il poussait quelque livres et en déplaçait quelques autres. Il était petit : il y avait juste assez de place pour qu'il y rampe. Il serait invisible pour quiconque ne serait pas à quatre pattes. Peut-être cela suffirait-il.
Il resta là à attendre, essayant de respirer sans un bruit. Comment saurait-il quand il serait temps de sortir ? Assurément à présent d'autres avaient remarqué le désordre et se précipitaient pour défendre l'école des Phyrexians.
A moins, pensa Ulf, que ce soient tous des Phyrexians.
Non, il ne pouvait penser cela. C'était paranoïaque. Il devait avoir confiance dans le fait qu'il restait bien un humain là-dehors.
Il entendit un bruit dans les piles, à un rayon ou deux. Il resta silencieux. Etait-il visible ? Non, tout allait bien. Personne ne le verrait en marchant. Il serait en sécurité.
Les pas diminuèrent un instant et puis firent demi-tour, devenant de plus en plus forts. Ils étaient dans son rayon maintenant. Il retint sa respiration. Le bruit s'amplifiait encore et encore quand il vit deux jambes passer à quelques centimètres de son visage et continuer leur route.
Il expira en silence, détendu.
Et puis il entendit les pas s'arrêter.
Un instant plus tard le visage trempé de pétrole de l'étudiante était juste là, et le regardait. Mêlés à présent à ses cheveux se trouvaient des ensembles de câbles qui avaient percé sa peau.
« Donne-moi le livre, » siffla-t-elle.
La fille commença à tendre la main et, soudain, se cabra, son visage disparu. Une autre paire de jambes était là. L'étudiante hurla. Sa tête tomba au sol et rebondit, détachée. Quelques secondes plus tard, son corps suivit, s'effondrant en masse de chair et de câbles.
Ulf resta bouche bée.
Vite il sortit de sa cachette. Debout sur le corps de l'étudiante se trouvait un homme grisonnant. Ses cheveux bruns étaient parsemés de gris, ses poignets enroulés dans des bracelets de cuir. Il était fort, même immense, et portait dans une main une épée qui était censée en demander deux. Une énergie féroce s'enroulait autour de la lame, de laquelle s'écoulait le pétrole autrefois caché dans la chair de l'étudiante. Il grésillait sur l'étrange métal. L'homme se tourna vers lui, et Ulf vit sur sa joue droite, juste sous son œil, la marque des Anciens Druides – cette rare marque de distinction qu'Ulf aurait cru ne jamais devoir observer. Il avait lu des choses à son sujet dans ses recherches sur Corondor, il savait qu'elle n'était donnée qu'à de rares élus. Mais la seule personne qu'il connaissait avec une telle marque, et qui ressemblait à cela, et qui portait une épée comme celle-ci, n'avait pas été vu pendant bien des années... Ce ne pouvait être...
« Merci, » parvint-il à dire.
Il y avait une note de tristesse dans son expression. « C'était une innocente. Elle ne savait probablement pas ce qu'ils avaient implanté en elle.
– Qui êtes-vous ? demanda Ulf.
– Quoi ? » demanda l'homme. Et puis il sortit de sa rêverie et redevint bourru et alerte. « Je suis ton sauveur, » répondit-il. Il essuya son épée sur les robes de la morte et la rengaina. Et puis il saisit brusquement Ulf.
« Hé, qu'est-ce que vous faites ? lui demanda-t-il.
– Tais-toi et reste calme, » lui ordonna-t-il. Rapidement, il parcourut de ses mains les cheveux d'Ulf, tapota ses épaules, ses flancs, ses bras, ses jambes. Quand il le relâcha, il tenait dans sa main ce qui ressemblait à une petite bardane métallique. « C'est bien ce que je pensais, » dit-il. Il lâcha la bardane et l'écrasa. « Un traceur. Ils vont avoir du mal à te trouver à présent. » Saisissant Ulf par le bras, il le poussa devant lui. « Ne t'arrête pas. Nous devons sortir d'ici avant qu'il soit trop tard. »
L'homme le guidait lentement à travers les piles. « Tu l'as, hein ? murmura-t-il.
– J'ai quoi ?
– Le livre. Pourquoi penses-tu que nous sommes là ? »
Etait-il malin de l'admettre ? Ne devait-il pas se montrer prudent ? « Je... sais où il est. Vous le voulez ?
– Si je le veux ? Non, tu le gardes. Je dois garder les mains libres, » rétorqua-t-il en dégainant son épée. Elle avait l'air terriblement aiguisée. Un étudiant proche du bureau du référent lâcha un couinement et s'enfuit. « De plus, ajouta-t-il, ils cibleront quiconque a le livre. Alors que dis-tu de le garder ?
– Heu, merci ? » répondit Ulf.
Personne ne se trouvait au bureau référent. Jouxtant la porte de la bibliothèque, l'homme fit signe à Ulf de rester derrière. Il s'allongea sur le ventre et jeta un œil sous la fente.
« Cinq paires de pieds, murmura-t-il en se relevant. Qui nous attendent.
– Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Ulf.
– Tu crois quoi ? On les tue.
– Je ne sais pas comment on tue, » murmura Ulf.
L'homme le regarda de la tête aux pieds. « Bien sûr que tu ne sais pas. Ne t'inquiète pas : tu apprendras. »
Les agents en sommeil phyrexians attendaient, les câbles et pièces de métal comme des bourgeons sur leur corps. L'un d'entre eux, un étudiant elfe, demanda à celui qui fut son enseignante : « Vous êtes sûre qu'il est là-dedans ?
– C'est là qu'il était quand le traceur a cessé de fonctionner, répondit-elle.
– On doit vraiment attendre Silas ? demanda un autre.
Mais aucun ne bougeait.
« Y a-t-il une autre issue dans la bibliothèque ? s'inquiéta l'elfe.
– Non, répondit l'ancienne enseignante. J'en suis certaine. Ils sont piégés. »
C'est à ce moment qu'un des murs à côté d'eux explosa. Des flammes partout, le couloir entier s'embrasa, et trois parmi les cinq furent soufflés. Les deux autres se précipitèrent en direction du trou, armes au clair. Un instant plus tard ils retombèrent, morts, poignardés, fumants.
En gémissant, les autres autres se remettaient sur pieds.
« Je ne crois pas que nous devions regarder dans le trou, dit l'elfe.
– Attendons, confirma l'enseignante.
– Oui, att... » dit une voix grave derrière eux. Ils firent volte-face pour voir un homme, l'épée pulsant de flammes, derrière eux. Ils se précipitèrent sur leurs armes, mais son sort était déjà lancé, et le couloir entier s'embrasa. Un instant, ils coururent en feu, hurlants, puis ils tombèrent, silencieux.
« Viens ! » cria l'inconnu. Il se dirigea vers l'autre couloir. Le feu derrière eux, Ulf le voyait, était hors de contrôle, il commençait à se répandre.
« On ne devrait pas essayer de l'éteindre ? » demanda Ulf.
L'autre secoua la tête. « On a besoin d'une bonne distraction. »
Ils se précipitèrent parmi les halls, esquivant les salles de classe à tout signe d'approche. Une fois, au travers d'une porte mi-ouverte, Ulf vit une créature qui n'avait jamais pu être humaine, au corps étrangement béant et réarrangé. Elle était si grande que sa tête frottait contre le plafond. Ulf s'en sentit nauséeux. L'homme attendit jusqu'à ce qu'elle soit passée, puis ferma la poignée de porte de l'intérieur. Au dehors, dans le couloir, ils entendirent la créature s'arrêter, grogner. Quand elle revint pour ouvrir la porte, l'homme lui coupa le bras, puis planta sa lame au fond de son cœur et la tourna. La créature s'effondra dans une pluie d'étincelles et de fumée.
Ils arrivèrent au niveau d'une étendue du hall brisée et carbonisée, vestiges d'une bataille. Là, parmi tout cela, reposait le viashino qui avait sauvé Ulf. Il était mort, le ventre ouvert en deux. L'homme se tint solennellement à son côté. « Tu t'es bien battu, mon vieil ami, murmura-t-il. Je te promets que ce ne sera pas en vain. »
Le hall d'entrée était enfin devant eux. Nous sommes presque en sécurité, pensa Ulf. Il commença à s'y diriger, mais l'homme lui saisit le bras pour l'arrêter.
« Non, grogna-t-il. Trop facile. Quelque chose ne tourne pas rond. »
A la place, il ouvrit la porte d'une classe proche et y entra. Il revint un moment plus tard, portant un bureau. D'une main, il le lança à proximité de la sortie.
Dès qu'il toucha le sol, il fut découpé par une douzaine de lames, réduit en copeaux. Quelques lames déviées rebondirent sur les murs et vinrent dans leur direction. Ulf s'accroupit tandis que l'homme les déviait sans difficulté d'un coup d'épée.
« Je te l'avais dit.
– Alors comment est-ce qu'on sort ? » demanda Ulf en se relevant.
L'autre haussa les épaules. « La rune est déchargée. Tout va bien maintenant. » Il regarda Ulf. « Tu ne le sens pas ? » Quand Ulf secoua la tête, l'homme plissa les yeux. « Tu n'as vraiment pas beaucoup d'aptitude magique, n'est-ce pas ? Tu es sûr d'être dans le programme magique de l'Académie tolariane ?
– Je... je suis un bon chercheur. » Il regardait la main de l'homme se poser sur le pommeau de son épée.
– Si tu es l'un de ces foutus agents en sommeil, je me chargerai personnellement de te découper en plus de morceaux que ce bureau. Dis la vérité. Pourquoi es-tu ici ?
– Je pense qu'ils voulaient quelqu'un pour nettoyer les étables. »
L'homme se détendit. « Ça me paraît logique. La dernière chose dont la plupart des mages ont envie, c'est de se salir les mains. »
Ils traversèrent la porte jusqu'au vestibule, rien que pour y trouver quelqu'un qui les attendait.
« Silas Brotten, dit l'homme. Je ne peux pas dire que je sois surpris. Prends le livre, mais laisse le garçon partir.
– Jared Carthalion, répondit Brotten, et Ulf eut le choc de réaliser qu'il avait eu raison. Est-ce possible ? Je me moque du livre comme du garçon maintenant que tu es là. Tu fus toujours le trophée, Carthalion. Et maintenant je n'ai plus besoin d'aucune aide pour te trouver. »
Jared lança un rapide regard à Ulf, et Ulf vit quelque chose de différent cette fois, une once de curiosité. « Tu ne peux avoir ni le garçon ni moi, » affirma Jared. Et il dégaina son épée.
Ulf vit l'épée de Jared luire, vit aussi les épaules de Brotten se hérisser tandis que son armure interne faisait soudain surface. Brotten toucha sa poitrine, et un long bout de métal recourbé et barbelé jaillit soudain. Il ferma la main sur lui et le libéra. Il continua à se déplier et s'articuler pour devenir une épée barbelée, ornementée.
Ils joutèrent encore et encore, Jared avait le dessus, mais Brotten était tout juste capable de tenir le coup et, à cause de ses composantes mécaniques, ne se fatiguait pas. Ils marchaient en cercle l'un face à l'autre, puis se rapprochèrent, Carthalion beuglant un cri de guerre féroce en s'élançant, renvoyant Brotten contre le mur. Il l'avait presque à ce moment, renforçait son avantage, quand Ulf vit quelque chose d'étrange : la cuisse de Brotten avait commencé à s'entrouvrir.
« Sa jambe ! » cria Ulf, et Jared eut assez de présence d'esprit pour reculer d'un bond tandis que la scie circulaire sautait de sa jambe à une improbable vitesse. Elle coupa profondément la cuisse de Jared : s'il n'avait pas sauté, elle l'aurait coupé en deux. Jared pressa sa main contre la plaie pour étancher le sang, et soudain Brotten avait l'avantage, le faisait reculer.
Ulf continuait à s'attendre à voir Jared abandonner, mais il ne cessait de combattre. Il serait plus sage, il le savait, de fuir, mais il avait réussi à sauver Jared une fois. S'il fuyait, qui le sauverait la fois prochaine ?
Un autre échange d'attaques et de contre-attaques rendit clair que même avec le sang qui lui coulait le long de la cuisse, Jared restait le plus habile. Brotten jura et donna un grand coup d'épée de haut en bas, une attaque que Jared para en une prime qui n'avait pas moins de force. La lame de Brotten se brisa, et Jared planta son épée au-delà de la garde de l'épée brisée, dans le torse de Brotten.
Trébuchant, toussant du pétrole, Brotten tomba face contre sol.
La respiration toujours haletante, Jared le fit rouler d'un coup de botte et s'accroupit au-dessus de lui.
« Pourquoi Sheoldred t'a-t-elle envoyé ici ? » demanda Jared.
Brotten ne répondit que par un rire bouillonnant.
« Qui sont les autres agents dans l'école ? Qui d'autre a déjà été parachevé ?
– Pourquoi te le dirais-je ? marmonna Brotten.
– Cela remonte-t-il jusqu'à l'archimage ? Est-il lui aussi corrompu ?
– Il est autant humain que toi, Carthalion. Il y a bien des raisons de choisir le camp des vainqueurs. » Brotten tenta de toucher Jared, mais celui-ci renvoya négligemment sa main. « Dihada le sait, elle aussi, ajouta Brotten. Elle t'attend, Jared. Reviens-lui. »
Puis il grimaça, dévoilant ses dents artificielles trempées de pétrole, et mourut.
Enfin, Ulf s'approcha, regardant les restes de l'être qui avait tenté de le détruire. Il n'avait à présent plus l'air que d'une machine brisée. Jared avait déchiré un morceau de l'habit de Brotten afin de se faire un bandeau à la cuisse. Le sang l'avait déjà imbibé.
« Où allons-nous ? demanda Ulf.
– Nous n'allons nulle part, rétorqua Jared, l'air épuisé. Tu vas emmener le livre en sécurité. Emporte-le à Corondor. Il y a encore de bonnes personnes là-bas. Je t'y retrouverai. » Il fit un geste vers l'arrière. « Mon travail se trouve à l'intérieur. Je dois sauver ceux qui sont encore humains et tuer ceux qui ne le sont plus. » Il regarda Ulf. « Reste à distance des grandes routes et ne montre ce livre à personne. »
Un instant, ils restèrent debout en se regardant l'un l'autre, puis Ulf acquiesça. « Merci, » lâcha-t-il simplement. Jared ne répondit que d'un signe de tête. Puis il se tourna et replongea dans l'académie désormais en ruines.
Ulf prit une grande inspiration. Puis il dépassa les portes, vers le vaste monde.
Dans les profondeurs de l'académie de Lat-Nam, derrière les portes fermées de ses quartiers, l'archimage lâcha un sourire malicieux. Tout son corps se mit à trembler et, lentement, il commença à changer, sa forte silhouette s'amincissait, se tordait, se réarrangeait, jusqu'à devenir le corps d'une femme à la peau grise. Ou, au moins, le haut du corps d'une femme. Le bas, ce n'étaient que tentacules enroulées, contorsionnées, serpentant au sol.
« Oui, dit-elle. Quelle chance que tu aies trouvé le livre, Jared. Tu as encore joué au héros. Corondor va t'attendre. »