Depuis qu'il est devenu roi de sa propre montagne, les choses se sont passées tranquillement pour Skwi. Mais quand un vieil ennemi revient sur Dominaria, tout ce qui compte pour lui est mis en péril. Vous trouverez l'article original ici.
La mort & le salut
À la fin, tout être vivant doit mourir. Pour les humains, la mort est un nuage menaçant à l'horizon. Pour les elfes, la mort est un rendez-vous long et lointain. Pour les gobelins, la mort n'est que le prix d'entrée. De nombreuses sociétés ont développé indépendamment des expressions à cause de cela. Les citoyens de la Vieille Bénalia disaient autrefois que quelque chose arrivait « comme une mort de gobelin » pour décrire une conséquence soudaine mais inévitable de choix peu judicieux. Les comédies naines marquaient souvent la fin du deuxième acte avec la mort subite d'un adjuvant gobelin.
Par contraste, il n'y a qu'une expression gobeline en lien avec la mort. Prononcée après une perte, ses nombreuses interprétations se traduisent à peu près : « Pas moi. Pas aujourd'hui. »
Non pas que les gobelins veuillent mourir ; c'est seulement que tout ce qu'ils veulent vraiment implique un risque de mort accidentelle bien plus élevé que de coutume. Les gobelins n'aiment rien de plus que les explosions, les flammes et les pluies de pierre. Un gobelin qui vit sans risque est difficilement considéré comme un gobelin ayant vécu. Etant donné sa manière de vivre, la population gobeline de Dominaria persistait à cause d'une chance inouïe. Et aucun gobelin ne s'était montré aussi chanceux que Swki.
Depuis qu'on lui avait accordé l'immortalité alors qu'il était garçon de cabine à bord du vaisseau volant de l'Aquilon, Skwi avait aidé parmi les plus grands héros de Dominaria à repousser les forces de l'invasion phyrexiane presque quatre siècles auparavant. Il avait passé le temps en devenant à la fois le plus vieux gobelin et le gobelin le plus fréquemment tué de l'histoire de Dominaria. Chaque jour il respirait, il défiait les attentes des autres, alors il lui semblait normal de devenir roi.
Un siècle plus tôt, pendant ses voyages, Skwi était arrivé vers un clan gobelin presque dissout, qui vivait dans un profond système de grottes. Ils avaient connu des temps difficiles, se trouvant bien éloignés de chez eux et sous la coupe d'un seigneur de guerre terrible. Skwi détestait le fait que ses amis gobelins soient forcés à vivre sous l'autorité d'une créature si cruelle, et il défia donc le tyran. Il usa d'un vieux tour de guerrier qu'il avait appris quelques décennies auparavant, pendant une brève expérience comme combattant dans les fosses otarianes : se laisser tuer à répétition jusqu'à ce que l'adversaire s'effondre de fatigue. La pression de frapper le même gobelin avec un marteau deux heures durant fit faire une attaque au seigneur de guerre, et Skwi fut nommé nouveau roi. Les années avaient passé depuis, et selon les standards gobelins, c'était un temps de paix et de progrès incommensurables.
Le trône de Skwi se tenait sur le plus haut plateau de la montagne, surplombant l'agitation. Il était assis, un vieux souvenir dans la main gauche : une sphère étrangement formée de motifs rouges intriqués peints sur sa surface d'ivoire pur. C'était son seul souvenir de son passage sur l'Aquilon. Il avait parcouru de longues distances (et beaucoup de morts) pour le récupérer, et parfois il jurait le sentir encore chaud. Il avait plus que jamais besoin de la chance que son jouet lui procurait.
Pour la première fois depuis plus de dix ans, le clan s'était porté pendant une semaine complète sans aucun mort, y compris lui. Il avait promis à son peuple que quand le cap serait atteint, il y aurait un festin pour le célébrer. Une semaine sans mort dans un terrier gobelin était une cause suffisante pour des célébrations, mais une semaine sans mort pour Skwi était particulièrement rare. A partir du moment où il était devenu immortel, la mort était devenue une expérience presque quotidienne dans la vie de Skwi.
Il entendit derrière lui un tumulte soudain. Bulp monta jusqu'en haut des marches et prit un moment pour s'excuser. Il avait été gardien de Skwi depuis son enfance, et ce n'était pas vraiment sa place. Le problème de Bulp, c'était qu'il était bâti avec la large encolure d'un guerrier mais l'esprit curieux d'un érudit. Skwi l'avait autrefois vu harcelé et, en voyant dans le jeune gobelin une part de lui-même, il décida de le prendre sous son aile. Bulp était intelligent, et avec un bon guide, il pourrait devenir le gobelin le plus intelligent depuis Skwi lui-même.
Bulp vomit sur le sol au sommet des escaliers.
« Oh non, Roi. Bulp est très désolé. Bulp a fait gros déjeuner aujourd'hui et puis Bulp a essayé de courir toutes les marches pour donner à Roi importantes nouvelles.
– Bulp, on en a déjà parlé. »
Bulp acquiesça tandis qu'un air d'embarras se peignait sur son visage. Le régime gobelin était composé principalement de limaces, de ver et d'escargots. Leur estomac était évidemment bien accoutumé à ce que cela impliquait, mais une activité physique sérieuse après un bon repas grouillant n'était jamais conseillé.
« Bulp n'aura qu'un bol la prochaine fois. Bulp doit être prêt pour quelque chose.
– Alors ? On l'a fait ? »
Bulp eut soudain l'air nerveux.
« Que s'est-il passé, Bulp ?
– Rien ! Personne d'écrabouillé, c'est sûr ! » Un air de panique traversa les yeux de Bulp. Bulp détestait décevoir Skwi.
« Bulp, il faut me dire si quelqu'un a été écrabouillé. »
Bulp baissa les yeux.
« Désolé, Roi. Mais Rarp...
– Montre-moi, Bulp. »
Tous deux descendirent les escaliers pendant que Bulp expliquait la situation. Rarp était l'un des manœuvres de pierres du clan, qui travaillait près de l'entrée de la montagne. L'idée était que quelques grosses pierres seraient suspendues, par une corde liée à une stalagmite proche, au-dessus de l'entrée de la grotte. Dans l'éventualité d'une intrusion soudaine, les cordes pouvaient être coupées, et l'entrée scellée. C'était un haut-fait de l'ingéniosité gobeline. C'était, jusqu'à ce qu'une corde lâche.
Comme la plupart des gobelins à n'importe quel moment, Rarp s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et avait été écrasé. Bulp et Swki s'approchèrent du site de l'accident tandis que trois autres gobelins s'étaient débrouillés pour soulever la pierre de feu Rarp. Skwi, qui ne voulait même personne dans un plus grand danger, se dirigea lui-même vers le corps.
« Est-ce que Rarp va bien, Roi ? » demanda Bulp.
Une petite vérification quant à l'état de Rarp rendit clair qu'il avait été écrasé par une pierre. Mais à la surprise de Skwi, Rarp avait l'air d'encore respirer. Plus étonnant encore, une force qui aurait dû normalement l'aplatir complètement l'avait laissé presque intact. Le regard de Skwi croisa les yeux de Rarp, qui roulaient sous ses paupières vertes. Il les toucha avec précaution. Les yeux de Rarp s'ouvrirent d'un coup, et l'estomac de Skwi se noua quand il vit un épais pétrole noir commencer à s'en échapper. Anormalement visqueux, le pétrole coulait des dents crénelées de Rarp et commença à former une mare sous sa tête. Les yeux du gobelin blessé se concentrèrent sur Skwi, et soudain Rarp commença à crier. Puis Skwi commença à crier. Bulp cria, lui aussi.
Skwi et Bulp portèrent le corps froissé de Rarp jusqu'aux chambres privées de Skwi. Faisant attention à ne pas toucher le pétrole qui s'échappait de la tête de son corps, ils posèrent Rarp sur le sol pour l'examiner de plus près. Chaque déchirure que le rocher avait laissée dans sa chair révélait encore plus de pétrole noir. Sous une blessure particulièrement large, un câble de métal brillant saillait.
Skwi avait vu cela il y avait bien longtemps. Rarp était un agent en sommeil, une créature enlevée par les Phyrexians et augmentée de métal et de magie. C'était la première étape dans ce que les Phyrexians nommaient parachèvement. Dans leur état final, les Phyrexians perdaient tout à l'exception d'une vague ressemblance avec leur être précédent, et embrassaient une vie de « perfection » par le rejet de la chair. Après avoir été fait immortel, on l'avait laissé entre les mains d'Ertaï, un ancien camarade d'équipage parachevé, dont l'intellect n'avait d'égal que la sociopathie. Ertaï avait tué Skwi à répétition rien moins que par envie et curiosité. Bien que Skwi fût finalement parvenu à l'incinérer, ce n'était dû qu'à un heureux accident. Libérateur comme cela avait pu l'être de vaincre Ertaï, Skwi n'aimait pourtant pas trop se pencher sur ces souvenirs.
« Comment Rarp a survécu, Roi ? Il est comme vous ? »
Skwi secoua la tête. « Non, Bulp. Rarp n'est pas comme moi. Quelque chose de mal lui est arrivé. Tu te rappelles ce que j'ai dit sur les Phyrexians ?
– Ouais ! Roi a battu une armée de monstres ! Roi les a renvoyés d'où ils v'naient ! »
Skwi avait pris quelques libertés dans le récit, comme contrepartie de son omission dans la plupart des légendes dominarianes.
« Eh bien, on dirait qu'ils vont encore essayer de nous prendre notre monde. »
Skwi sentit une vague de culpabilité en regardant la peur grandir dans les yeux de Bulp.
« Mais... Roi va leur botter le cul encore, non ?
– Je vais essayer, Bulp. Mais j'ai besoin de ton aide. »
La reconnaissance soudaine que son roi avait besoin de lui redressa la posture de Bulp. Il gonfla le torse et fit tout ce qu'il pouvait pour avoir l'air de n'avoir jamais connu la peur.
« Bulp fera tout ce que Bulp doit faire !
– C'est bien, parce que j'ai besoin que tu ailles à la surface chercher de l'aide.
– J'ai le droit de sortir ?! » cria Bulp de surprise. L'excitation qui envahit le visage de Bulp rendit Skwi nostalgique d'un temps où lui aussi ne connaissait rien d'autre au monde que sa maison.
« C'est ça, Bulp, mais tu dois aller vite. J'ai besoin que tu trouves une ville et leur dises ce qui est arrivé.
– Que Rarp a été écrabouillé ?
– Non, Bulp. Tu dois leur dire que les Phyrexians sont de retour.
– Oh, ouais ! Et Roi fera quoi ?
– Je dois trouver combien sont arrivés ici et m'en débarrasser.
– Comment tu vas le faire ? »
Skwi regardait les yeux toujours en mouvement de Rarp. Ils le fixèrent et clignaient violemment, comme s'ils souhaitaient que le corps qui les soutenait puisse toujours bouger. Les torches de la pièce vacillaient dans les pupilles humides, révélant le léger accent iridescent et doré qui gisait derrière.
« Je peux m'en charger. Mais tu dois y aller avant que d'autres Phyrexians secrets se rendent compte qu'on sait. »
Bulp acquiesça. Skwi lui montra l'arrière de ses quartiers. Il tira ce qui avait l'air d'être une étagère pour révéler une échelle fichée dans le mur. Au début de son règne, Skwi avait enrôlé une équipe pour creuser un tunnel de fuite, une manière discrète de rentrer à l'occasion dans le monde extérieur sans alerter ses sujets de son absence. Des années après, c'était le secret de Skwi. A présent ce serait aussi celui de Bulp. Il espérait vraiment ne pas l'envoyer à la mort. Skwi le serra dans ses bras en guise d'au revoir, Bulp renvoya le geste, soulevant même un peu son roi du sol.
« Quand tu leur as dit, tu reviens de suite. Pas d'exploration ! Si tu vois quelque chose qui fait peur, tu cours ! »
Bulp acquiesça : « Bulp reviendra, Roi. Bulp va y arriver, comme Roi. »
Les barreaux de l'échelle protestèrent tandis que Bulp les montait. Luttant contre l'inquiétude, Skwi remit l'étagère en place et prit une torche du mur. Il la pointa sur le corps de Rarp jusqu'à ce qu'il commence à brûler. Il était temps de se mettre au travail.
Après avoir éteint le petit feu qu'il avait déclenché accidentellement dans ses quartiers, Skwi revint dans sa salle du trône pour s'adresser aux siens. Il s'avança sur la plateforme du trône et siffla aussi fort que possible, et le silence commença à tomber dans la salle.
« Gobelins, jeunes et vieux ! Votre roi vient à vous avec des nouvelles ! » Il essayait toujours de prendre un ton royal en s'adressant à ses sujets. « Je suis sûr que certains d'entre vous ont entendu que Rarp avait été écrasé très très fort. Et c'est vrai, Rarp est en mauvais état. Mais Rarp est en vie ! »
Des murmures commencèrent à émerger.
« Ne posez aucune question sur Rarp ! Ce soir, nous célébrons une semaine de personne est mort dans not' montagne ! »
Il y eut un silence d'attente.
« Et puis, je vais faire mon porridge de limace chaude ! »
Les applaudissements déferlèrent dans la salle.
Skwi envoya chercher Spurna, chef des ambremages. Leur tâche était de maintenir en état de marche les lampes à mana qui fournissaient de la lumière à l'intérieur de la montagne. Il espérait qu'il pourrait la convaincre de les éteindre durant la célébration, ne laissant que la lumière des torches pour les gobelins en fête. En temps normal, c'eût été une idée terrible. L'anonymat des ténèbres donnait aux gobelins une prédilection au mauvais comportement d'une manière étonnamment plus puissante que leur prédilection naturelle au mauvais comportement. Cependant, Skwi avait un plan. Dans les quartiers de Skwi, en rapprochant simplement une torche du corps de Rarp, il avait remarqué un cercle d'or presque imperceptible autour des pupilles de Rarp. Skwi espérait qu'un influx soudain de lumière des torches lui permettrait de voir exactement à combien d'agents en sommeil aux yeux d'or il avait affaire. Une fois qu'il saurait l'étendue de l'infiltration, il recevrait de l'aide des gobelins en qui il pouvait avoir confiance.
Spurna rejoignit Skwi dans la salle du trône. Depuis le début, elle était bourrue et avait des avis tranchés.
« Spurna entend Roi veut éteindre lampes à mana pour fête. Pourquoi Roi veut ça ? »
Skwi s'était préparé à de la résistance.
« Les lampes à mana sont un grand accomplissement, mais la lumière est trop forte. Les gobelins veulent passer un bon moment. Les gobelins veulent danser.
– Gobelins peuvent danser dans salle lumineuse. Être mieux comme ça. Ténèbres veut dire bêtises.
– Mais est-ce que ce n'est pas bien, Spurna ?
– Ecoute, Roi. Lampes s'éteignent veut dire lampes doivent être rallumées. Si trop de mana est canalisé dans lampes, ou si canalisé trop vite, lampes explosent, toute montagne explose. Ça vaut pas le risque. »
Skwi nota dans son esprit que, s'il y arrivait, il devrait réviser le fait que la montagne toute entière était éclairée par des explosifs chargés à bloc.
« Je comprends ! Personne n'aime quand une montagne explose ! Mais en tant que roi, je dois t'ordonner d'éteindre les lampes. »
Spurna secoua la tête.
« Bien, Roi, mais souviens-toi, tu l'as demandé. »
Elle tendit les mains, ferma les yeux et se concentra. Skwi regarda en direction de l'atrium principal pour si la lumière s'était affaiblie, mais elle était restée identique. Confus, il se tourna vers Spurna et sentit un brûlant éclair de douleur dans sa gorge. Le bras de Spurna s'était tordu et reformé en un pic de métal chauffé. Avec une force anormale, Spurna le souleva dans les airs. Il sentit son sang couler hors de son corps tandis qu'elle le transportait à travers la salle du trône, vers l'esplanade. Elle sourit d'un sourire anormal en le jetant en avant, le faisant tomber sur le sol de pierre de la montagne.
Skwi traversa le hall de la mort en faisant comme chez lui. Chaque fois qu'il mourait, c'était pareil. Il se trouvait dans un grand palais ornementé, vide, au sol de granit noir, si sombre qu'il avait l'impression de marcher dans le ciel nocturne. Tout l'endroit brillait d'une douce lumière rouge. Tandis qu'il se pressait dans les halls, il vit la dernière chose qu'il voyait toujours avant de ressusciter : une impressionnante table de festin couverte de ses plats préférés. Parmi les milliers de fois où Skwi s'était retrouvé là, il n'avait jamais goûté les insectes. Cette fois non plus. En approchant de la table, il sentit la douce caresse de doigts spectraux autour de son épaule avant d'être brutalement renvoyé dans sa forme physique. Ses yeux s'ouvrirent.
Il était couvert de son propre sang. Il vit d'autres gobelins commencer à se rassembler pour la fête. Ils avaient l'air peu dérangés par la soudaine mort publique de Skwi, mais il ne les en blâmait pas. En tant qu'immortel, Skwi mourait beaucoup. A l'occasion, il sautait de la plateforme quand il ne se sentait pas d'emprunter les escaliers. En général il explosait à l'impact, et tout le monde était saisi à cette vue.
Skwi fit de son mieux pour saisir leur attention, ne sachant pas où Spurna avait fui. Il cria : « Aidez votre roi ! Préparez-vous à combattre ! » à l'instant même où Spurna atterrit à côté de lui avec un bruit métallique. De son pic, elle lui perça l'arrière de la tête.
Skwi se réveilla de nouveau. Sa vision était trouble, alimentée par des yeux nouvellement guéris liés à un cerveau nouvellement reformé. Tandis qu'elle se précisait, il vit tout le clan debout dans un cercle parfait autour d'eux deux, regardant silencieux Spurna le traquer comme une proie. Appréciant le public, elle pointa lentement son bras pointu vers son torse, le clouant au sol. Avec un sourire anormal à le rendre malade, elle claqua des doigts. Les lampes à mana s'éteignirent. Seule une lointaine lumière de torches vacillait à présent, et avec horreur, Skwi vit que chaque paire d'yeux qui l'entourait était entourée d'un anneau d'or. Il poussa un cri étranglé. Spurna le souleva pour le planter de nouveau, quand soudain elle fut projetée violemment en l'air. Elle virevolta et atterrit sur le sol, lançant des regards de colère à son assaillant : Bulp.
« Bulp ! » cria Skwi, qui n'avait jamais été si heureux qu'on lui désobéisse. Bulp se retourna et offrit une main pour l'aider à se lever. « Nous devons sortir d'ici, Bulp ! Ce n'est pas sûr, tu vois pas qu'ils... »
Skwi sentit une horrible sensation de brûlure. Avec un regard sur sa main, il vit que sa chair pourrissait. La pourriture se répandait de ses doigts jusqu'à ses poignets. Il retomba au sol tandis que son arme se détachait de son corps. Le sort nécrotique de dévoration des chairs faisait son travail écœurant, et il regardait, terrifié, le corps de Bulp vacilla. L'enveloppe qui avait caché sa véritable forme s'évanouit et là où se trouvait Bulp se tenait à présent un homme anormalement pâle avec des cheveux blond pâle. Ses yeux pleuraient de pétrole et des câbles noirs étaient intriqués à la chair de son visage. Chacun de ses bras était divisé au niveau du coude, ce qui lui donnait deux mains à trois doigts supplémentaires. L'armure phyrexiane à pointes d'Ertaï rayonnait dans la lumière des torches tandis que la pourriture atteignait la poitrine de Skwi. Il essaya de crier, mais à la place il ne fit que goûter la saleté de sa propre décomposition avant de tomber à nouveau dans les ténèbres.
Quand son corps se reforma, Ertaï l'attendait là. Skwi était submergé de ses propres anciens sujets. Ils étaient assis, pleinement calmes dans un silence complaisant. Ertaï se dirigea vers lui.
« Ça fait longtemps, Skwi.
– Je pensais t'avoir tué. »
Ertaï rit.
« Toi plus que tout autre devrait savoir que la mort peut être un état temporaire. Mais c'est vrai, Skwi. Tu as eu le pas sur moi pendant quelques siècles, j'avançais dans les ténèbres. On aurait pu en rester là si Sheoldred ne m'avait trouvé.
– Chez eau qui ? »
Ertaï secoua la tête, un rictus sur ses traits.
« Tu sais, depuis que Dominaria est sur le point d'être parachevé, j'ai beaucoup plus de patience envers ta stupidité. De plus, tu es bien plus éloquent que la dernière fois que nous avons parlé. Tu pourrais presque passer pour un enfant. »
La totalité de la situation commença à poindre devant Skwi. Son clan n'était plus. Les siens n'étaient plus à présent que des carcasses lourdement améliorées, bâties pour le tourmenter. Il ne pouvait pas même essayer de penser à ce qu'Ertaï avait fait à Bulp.
« Pourquoi faire tout ça ? Je ne comprends pas. »
Ertaï s'accroupit pour croiser les yeux de Skwi dans un regard glaçant.
« Peut-être simplement que je ne t'aime pas. Peut-être que je suis devenu jaloux à voir ces bouffons de l'Aquilon fondre devant tes bouffonneries idiotes. Ou peut-être est parce que tu m'as tué. »
Ertaï retrouva son sourire.
« Ou peut-être que je suis venu ici pour faire qu'un gobelin increvable supplie pour mourir. T'apprendre la vraie douleur afin que, quand je te libérerai, tu me remercies avec dévotion. » Ertaï chercha dans ses robes. « Mais en ce qui concerne le motif officiel, on m'a donné la tâche de récupérer et de garder ça en sécurité. » Skwi tapota ses robes, ne pouvant y croire, tandis qu'Ertaï en tirait son jouet. « Tu aimes tant ton bibelot, et pourtant je parierais que tu en sais aussi peu à son propos que nous. Il y a, pour commencer, peu de choses à lire à propos de la Sphère de Salut. Tout ce que j'ai réussi à discerner est qu'elle est plus vieille que le plan lui-même. Mais je sais deux choses avec certitude. Tout d'abord, elle faisait partie de l'Héritage, ce qui veut dire que nous devons nous en charger. Ensuite, il semble qu'elle est toujours revenue à toi, ce qui veut que nous devons nous charger de toi. »
Skwi soupira.
« Tu l'as dit toi-même, Ertaï. Tu ne peux pas me tuer. »
Ertaï s'amusait avec le jouet en le lançant d'une main à l'autre. Il se déplaça vers les agents en sommeil gobelins et désigna Skwi. Ils commencèrent à avancer vers lui.
« Oh, Skwi, je n'ai pas besoin de te tuer. Il me suffit de rappeler son potentiel à ta chair. »
Les gobelins saisirent les bras de Skwi pour l'immobiliser. Leurs corps s'ouvrirent et révélèrent du métal et des vrilles noires. Ils commencèrent à changer de formes, dans des contorsions extrêmes. Plusieurs d'entre eux se connectèrent à d'autres, leurs nouvelles formes se rejoignant pour créer une machine comme aucune de celles que Skwi avait jamais vu. La main de l'un d'entre eux s'ouvrit pour révéler une aiguille. Avant que Skwi puisse hurler, elle perça sa chair, et ses membres s'alourdirent. L'un des gobelins était devenu une table, et Skwi fut déposé dessus. Tandis qu'il glissait dans le sommeil, il espérait qu'ils ne faisaient pas de lui aussi une table.
Quand les yeux de Skwi s'ouvrirent, il se sentait plus alerte qu'il ne l'avait été depuis des années. La fatigue comme concept avait été retiré de son corps et de son esprit. Il sentait une nouvelle force dans son tissu musculaire. Ses yeux pouvaient tout voir clairement dans la pièce, qu'importe la distance. Il avait été vêtu de ses fraîches robes oranges de roi et laissé sur la table. Il s'assit et retira l'aiguille de chacun de ses bras. Quand il le fit, une machine à proximité de la table se mit à émettre un bruit désagréable. Dès que Skwi enregistra l'inconfort, le bruit sembla plus faible.
Tout était comme il s'en rappelait, mais tout ce qui l'avait inquiété semblai si petit à présent. Il voyait ses sujets bouger dans la montagne, certains ressemblant à des gobelins et d'autres ressemblant à de magnifiques symphonies de chair et de métal. Ertaï apparut devant lui dans un cercle de téléportation, répondant au bruit.
« Oh, bien. Tu es réveillé. Comment te sens-tu ?
– Puissant.
– La perfection a cet effet. Ton corps pourra te sembler étranger au début. Je te recommande de prendre un moment pour examiner tes nouvelles fonctions avant d'aller à la Plate-forme de Mana. »
Skwi se leva et regarda son corps, remarquant de fines lignes blanches le long de ses bras. A peine pensa-t-il à elles que ses bras s'ouvrirent, révélant des parties mécaniques en-dessous. Il les ferma de nouveau. Tout se mouvait à la vitesse de ses propres pensées. Skwi retira ses robes avec l'envie de voir ce dont il pouvait être capable d'autre. Ertaï avait l'air préoccupé.
« En fait, Skwi, même dans notre forme parfaite, nous préférons porter un vêtement...
– Je pensais que tu m'avais peut-être donné une armure.
– J'avais supposé qu'on t'en donnerait une sur nos... »
Nu comme un ver, Skwi observa son torse et vit encore plus de fines cicatrices. En une pensée, un panneau s'ouvrit pour révéler l'intérieur de sa propre cavité thoracique, qui contenait la Sphère de Salut en constant mouvement, là où se trouvait auparavant son cœur. Il avisa un seau, dans un coin de la pièce, qui débordait de viande. Sans doute la sienne. Au-dessus était posée sa couronne.
« Tu ne seras pas roi dans la Nouvelle Phyrexia. En fait, j'imagine qu'ils vont procéder à des recherches un peu envahissantes une fois que je t'aurai apporté, » dit Ertaï, apparemment content de lui-même, mais cette suffisance n'offensait plus Skwi. Ils servaient tous deux Phyrexia. L'immortalité de Skwi serait utile à la cause et elle aurait enfin du sens.
Ertaï continua, détournant ses yeux de la forme nue de Skwi. « Mais tu dois l'admettre, on se sent mieux de ce côté, non ? »
Skwi ordonna de nouveau à ses bras de s'ouvrir. L'un contenait une lame recourbée, et l'autre un petit canon. Il le regarda se charger. Puis il regarda la lame et essaya de l'allonger. A la place, elle fut projetée, fichée dans un mur de pierre. Il se tourna vers Ertaï.
« Je me sens... » Skwi ouvrit son autre bras, chargeant son nouveau canon. Il rappela la lame vers lui, un aimant dans son bras la détachant du mur. « ... achevé. »
La lame vola vers Skwi à haute vitesse, coupant aisément la corde exposée en travers de son chemin, l'exacte corde qui maintenait les pierres que les manœuvres de pierres avaient de nouveau suspendu à l'entrée de la montagne après l'accident de ce matin. Skwi se trouvait, comme souvent les gobelins, au mauvais endroit au mauvais moment. La ligne coupée glissa, et les pierres s'éboulèrent en un instant. Skwi fut écrasé à mi-parole et pulvérisé contre le sort de la caverne dans une explosion de viscères et de pétrole phyrexian. Tandis que la pierre broyait son corps, le canon chargé du bras de Skwi tira dans les airs, frappant et surchargeant l'une des lampes à mana alignées au mur de la grotte. L'explosion fut aussi lumineuse que le soleil et ne donna pas aux habitants de la montagne le temps de réagir tandis qu'elle se transmettait de lampe et lampe, à l'exception d'Ertaï qui se protégea instinctivement. Les quelques petites villes qui s'étaient rétablies à Otaria se demanderaient longtemps ce qui était arrivé dans les montagnes cette nuit-là, car pour n'importe quel observateur, c'était comme si à un instant il y avait une montagne, et l'instant d'après, un cratère de pierre fumant.
La mort ne lui avait jamais semblé comme cela auparavant. Le palais dans lequel Skwi avait passé tant de temps n'était plus, et il se trouva à la place flottant dans une mer de lumière blanche. Rêvait-il ? S'il était mort, où était le palais ? Où était le banquet ?
Skwi. Il était temps que nous parlions.
Skwi entendait la voix tout autour de lui. Soudain, une forme astrale se mit à flotter hors de sa poitrine et mit sa masse sphérique juste devant son visage, dans la lumière. C'était son jouet, mais comme il ne l'avait jamais vu auparavant. Tout d'abord, il eut l'air de flotter dans la lumière comme il le faisait, mais sa lisse surface blanche, si similaire en teinte à la lumière elle-même, s'évanouit, ne laissa que les marques ornementées. Elles brillaient, suspendues dans l'air, et s'étendirent pour remplir l'espace, laissant Skwi submergé par sa propre incompréhension. Les marques de son jouet avaient toujours ressemblé à un visage, assez proche de celui d'une chouette ou d'un diablotin, mais à présent, tandis qu'il remplissait l'espace extradimensionnel, il se mit à avoir peur.
Pas besoin de paniquer, mon vieil ami. Laisse-moi te mettre à l'aise.
Soudain, les marques flottantes se contorsionnèrent, tournant autour de Skwi dans un mouvement flou, seule chose qu'il pouvait voir. Quand elles se dissipèrent, Skwi se trouva de nouveau dans le palais dont il se souvenait. Le banquet avait l'air délicieux comme toujours, mais cette fois, la table avait un hôte. Dans la chaise la plus proche de lui était assise une jeune femme de Zhalfir, avec une natte de cheveux noirs, qu'il reconnut en un instant comme sa chère amie et capitaine de l'Aquilon, Sissay. L'excitation submergea Skwi, mais plus il la regardait, plus il était suspicieux. Il manquait quelque chose à cette Sissay. Il lui manquait la confiance désabusée qui faisait d'elle un chef né.
J'ai emprunté une forme que tu trouverais plus à ton goût. Tu as toujours vu Sissay comme une présence d'autorité et de réconfort.
Enfin, Skwi parla. « Donc... tu n'es pas elle ? »
Non, Skwi. Sissay n'est plus. Son âme est revenue à l'éther.
« Alors qui es-tu ? »
Je suis Salut. J'étais autrefois une forme primordiale dans un monde qui vint avant celui-ci. J'étais...
Skwi s'ennuyait. Il n'avait jamais été mort aussi longtemps. « Comment est-ce que je suis arrivé ici ? »
C'est plus compliqué. Le sort de Yaugzébul était censé reconstruire sans fin ton corps avec peu de souci pour l'effet que cela avait sur ton âme. Cependant, bien avant ton immortalité, je t'avais choisi comme un réceptacle digne de ma bénédiction. Je t'ai protégé de tout ce qui pourrait menacer la pureté de ton âme. Le mélange qui en a résulté t'a placé dans une boucle. Chaque fois que tu mourais, ton corps était réparé comme c'était la volonté de Yaugzébul. Ton âme était piégée dans cet espace extradimensionnel puis revenait à ton nouveau corps avant qu'il ait une chance de poursuivre. Même après...
« Désolé, je dois être plus clair quand je pose de grosses questions. Comment est-ce que je suis arrivé ici précisément ? »
Salut sourit.
Aussi pur que jamais. La corruption phyrexiane a retiré ton âme de ton corps tandis qu'il vivait encore, et t'a libéré de la boucle.
« Donc... c'est fini. J'ai enfin été tué pour de bon ? »
A l'autre bout de la pièce, une porte de bois doré s'ouvrit dans un grincement, poussé par des mains invisibles. L'espace au-delà du seuil était trop lumineux pour être regardé.
Cela dépend, Skwi. J'accepte le rôle que j'ai joué dans ton destin inattendu, et j'aimerais t'offrir une dernière bénédiction : un choix. En ce moment, dans le royaume des vivants, ton corps vient d'être détruit. Le sort qui le réanime cherche ton âme comme toujours. Il va crépiter et disparaître s'il ne te trouve pas bientôt. Je pourrais remettre ton âme dans la boucle. Tu te réveillerais de nouveau dans un nouveau corps. Tu restes immortel et libre d'ingérence phyrexiane.
Une autre porte du côté opposé de la porte s'ouvrit avec fracas.
Ou tu peux traverser ce seuil, et ton âme reviendra enfin à l'éther. Tu seras réuni avec tous ceux que tu as perdus, et libre de t'y reposer.
Skwi regardait les deux portes nerveusement. Il approcha du festin et tira une chaise, tendant la main à travers la table en direction d'une pâtisserie à l'asticot particulièrement alléchante. Il s'assit, y mordit, puis sourit. Il dit la bouche la pleine : « Et qu'est-ce que tu dirais de me parler d'une troisième porte, Sally ? »
Bulp avait tout fait bien. Il avait utilisé l'entrée secrète du roi et s'était assuré que personne ne le voie quitter la montagne. Il avait voyagé vite et en silence. Il avait trouvé la première ville humaine qu'il pouvait et leur avait apporté la nouvelle que Phyrexia était de retour. Certes, ils dirent que tout le monde le savait depuis des mois, mais les gens diraient n'importe quoi pour qu'un gobelin ait l'air bête. La nouvelle fut délivrée et il fit le chemin inverse.
Bulp avait vu une explosion la nuit auparavant mais n'y croyait pas vraiment jusqu'à ce qu'il se soit approché. Roi doit bien être quelque part, pensa-t-il à part lui-même.
Il passa au travers d'une étrange clairière dans les décombres. Elle avait l'air d'être le centre de l'explosion qui avait soufflé l'endroit. Il y avait un seul petit cercle net, sans même un galet de débris dessus. Quand il s'approcha, il sentit la puanteur d'une magie inhabituelle dans l'air, alors il garda ses distances. Il se mit à s'inquiéter pour son roi. Ouais, Roi peut pas mourir, pensa Bulp, mais si Roi se fait enterrer très profond, est-ce qu'il reste juste sous les pierres ?
Avant qu'il puisse commencer à creuser, il entendit une voix plus que bienvenue au-dessus de lui.
« Bulp ! Tu es vivant ! »
Perché quelques mètres au-dessus de lui, sur un grand tas de pierres brisées, se tenait le Roi Skwi.
Qu'as-tu à l'esprit ? demanda Salut à Skwi.
Skwi mordit de nouveau dans son gâteau d'asticot.
« Je ne veux pas avoir l'air ingrat, mais avant de devenir immortel, je ne suis pas mort une seule fois. Et depuis que c'est arrivé, c'est comme si ça ne s'arrêtait pas. J'étais l'un des gobelins les plus intelligents du monde avant de changer. J'ai participé à une grosse aventure et aidé à sauver tout le monde. Peu importe ce qu'on peut dire, j'étais important. Mais la seule partie de moi à laquelle les gens s'intéresse aujourd'hui est ce que j'ai eu par accident. Eh bien, je ne suis l'accident de personne. Je suis mon propre accident. »
Skwi avala sa bouchée de pâtisserie.
« Je veux y retourner, Sally, mais juste une fois. Je veux une chance de durer aussi longtemps que possible, une chance de faire exploser quelque chose, penser que je suis mort pendant une minute, me rendre compte que non, et puis rire aux larmes. »
Salut acquiesça.
Bulp n'avait jamais été si heureux de voir son roi.
« Roi !! Roi, tu vas bien :
– Tu vas bien ! Je croyais qu'ils t'avaient eu !
– Alors tous les autres... » La voix de Bulp s'étrangla, incapable de prononcer cette perte.
« Je sais. Mais pas nous ! Pas aujourd'hui !
– Mais qu'est-ce qu'on va faire, Roi ? Où est-ce qu'on va aller ?
– Si Phyrexia est de retour, alors c'est à des gobelins malins comme nous de leur botter le cul et leur régler leur compte. »
Les yeux de Bulp s'écarquillèrent.
« Tu penses qu'on peut ? »
Skwi tapa l'épaule de Bulp dans un geste qui aurait eu l'air paternel si Bulp n'avait pas fait une tête de plus que lui.
« Entre toi et moi, Bulp ? Les choses ont toujours bien tourné pour l'vieux Skwi. »