Pourquoi j'ai arrêté le construit au profit du limité
(aussi appelé "Retro-remise en question du modèle économique de la gestion des fonds en prévision d'une stabilité durable des investissements dans les produits de la multinationale Wizards of the Coast")
Je préfère prévenir, avant toute chose, que si tu (oui toi, lecteur) dépasses tout juste la dizaine d'années, si tu achètes tes cartes avec l'argent de tes parents, si tu es millionnaire, si tu t'appelles Paris Hilton ou Bill Gates (à noter que seul l'un des deux a travaillé pour être riche), ou je ne sais quelle autre raison qui fait que tu ne vois pas le moindre lien entre Magic et l'argent, cet article n'est pas pour toi.
Je supposerai dans la suite de cet article que le lecteur partage ma condition - classe moyenne - par des pronoms indéfinis tels que "nous", "on", etc. Donc si tu ne te reconnais pas, je t'aurais au moins prévenu. Note que tu peux tout de même lire la suite, pour t'esclaffer devant la misérable existence de ceux qui travaillent toute leur vie.
Bien. Maintenant qu'on est entre prolos, je commence :
J'ai tout récement eu le grand bonheur de participer au tournoi avant-première de la deuxième extension du bloc Innistrad : Dark Ascension. Je passerai rapidement sur mes résultats (Dans les dix premiers sur trente).
C'est alors qu'en rentrant chez moi, Le Grand Dark Mogwaï m'a éclairé de sa noire lumière. Bien qu'adulé, adoré, que dis-je, vénéré par plusieurs milliers de capitalistes en puissance (avant de nier, calculez en moyenne combien vous dépensez dans Magic par mois. Alors ?), Il m'a néanmoins transmis Sa Volonté : Que ses adeptes prennent conscience de leur aveuglement. Sans nous empêcher de vivre notre passion commune, Il nous propose un mode vie (et donc d'adoration à Son égard) différent.
J'ai donc décidé de vous rapporter Sa Parole, assaisonnée d'anecdotes personnelles.
Mise au point pour que l'on parle la même langue : Construit, Limité
1. Nous sommes tous capitalistes (assumés ou non)
Puisque vous êtes encore là, c'est que vous n'êtes pas né dans la soie et que vos bavoirs n'étaient pas en satin brodés de fils d'or. Vous savez donc certainement (sinon, renseignez-vous, vous êtes concernés) que dans la vie, il faut travailler. Et oui, triste réalité. L'Homme a besoin d'argent pour vivre, et comme l'argent ne tombe pas du ciel (Bill, rappelles-toi que tu n'es pas concerné), il faut travailler. Mais les patrons (qui, eux non plus, ne sont pas concernés par cet article) ne veulent pas employer de branleurs (on se demande bien pourquoi). Conséquence, il faut faire des études. Des looongues études (pas toujours utiles, mais ce n'est pas la question).
Bon, c'est bien interessant, tout ça, mais c'est quoi le rapport avec le schmilblick ?
Et bien pour ceux qui ne le sauraient pas (mais j'ai déja dit à ces gens de partir, il me semble), jouer en construit, ça coûte de l'argent. Beaucoup d'argent. Faisons le total, pour un joueur moyen, pour chaque extension :
- L'avant-première (AP pour les intimes) : environ 23€. Indispensable rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte par le joueur recherchant à la fois la passion du jeu, la convivialité et la compétition.
- Un FatPack (FP) environ 30€. Meilleur rapport qualité/prix à mon goût. Un booster coûte environ 4€, un FP en contient 9 pour 30€, en plus de divers broutilles comme 30 terrains de base, un dé 20, etc.
- Les extras (duel decks, premium packs et autres joyeusetés capitalistes que nos âmes de
moutonsconsommateurs se sentent obligées d'acheter).
Résultat 1 : Le joueur moyen dépense (sans compter les extras) plus de 50€ par extension.
2. Bande de lâches !
Vous jouez à Magic pour une bonne raison, entendre pleurer votre adversaire quand votre Esprit infernal attaque pour la dixième fois sans trouver le moindre bloqueur, se frapper la tête sur la table quand vous vomissez votre elfball sur la table au deuxième tour, se ronger les ongles quand votre mono-rouge avec quarante blasts pioche une carte alors qu'il lui reste trois points de vie, s'endormir quand votre mono-bleu contrôle commence son soixante-dix-neuvième tour par "Je draw, à toi."
Oui mais voilà, il y a un point commun essentiel à toute motivation magic'ienne : l'existence d'un adversaire. Mis à part les collectionneurs (une race étrange, enfermant un Tarmogoyf foil flambant neuf dans un classeur sous quatre couches de plastiques, le tout enfermé dans un coffre-fort dans une banque suisse inviolable, d'où il n'aura jamais la joie de frapper le moindre Cadet impatient). Mis à part ces gens-là, disais-je, vous jouez (car eux, non, mais ce n'est pas la question) pour gagner. Encore faut-il avoir quelqu'un qui pourrait avoir l'obligence de perdre.
Tout ça pour quoi, me direz-vous ? J'y arrive. Quand toutes ces victimes potentielles arrêtent ce noble jeu qu'est Magic, pour s'occuper à la place de choses futiles comme les études supérieures, l'obtention du permis, ou encore je ne sais quelle copine (pardon les filles), que faire ? Sur qui allez-vous bien pouvoir déchaîner la colère de votre Emrakul, Déchirure des Éons ?
mavie :
Je vais partager mon expérience personnelle, qui m'a en grande partie inspiré cet article. Les gens autour de moi arrêtent tous Magic les uns après les autres.
Au lycée déja, on a senti une différence quand nos après-midi cartons se sont vus remplacés par deux heures de SVT avec un prof semi-léthargique, puis révisions des cours de maths auxquels personnes (à part moi ^^) ne comprenait rien. Est venue la terminale, et son impossible bac (c'est très dur, il faut beaucoup travailler, une heure de révisions par matière par soir, bla bla bla, moi j'ai rien branlé, je l'ai eu. Bon, au ratrapage, mais je l'ai, c'est tout ce qui compte, non ?).
L'Ours (le nom a été modifié, mais c'est tout de même un surnom en usage pour le désigner) est parti en médecine. Tout le monde sait que ces gens n'ont pas de vie sociale. Il faut vraiment être stupide pour faire une dizaines d'années post-bac dans une ambiance pleine de gens bien intentionnés prêts à vous pêter les rotules pour gagner une place, tout ça pour un salaire de... un salaire de... c'est par où l'inscription en première année ? Depuis, silence radio. Ah si, une photo sur Facebook sur laquelle il a des boutons et des lunettes, la parfaite panoplie du parfait étudiant. ScoreAmis - 1.
Jésus (idem pour le nom) est parti en Angleterre après le triste échec de son bac. Peut-être pour noyer son chagrin dans la Manche au passage, je ne sais pas. Toujours est-il que Facebook, c'est bien pour les potins, mais pour jouer, c'est pas terrible. ScoreAmis-2.
Bertrand (là, non. C'est pas son nom, mais il a pas de surnom, donc j'ai pris Bertrand) a redoublé sa première et passe cette année son bac. Avec la majorité, il s'est mis dans la tête de passer son permis. Et devinez d'où vient l'argent ? Bingo ! ScoreAmis... = 0 (en vrai, j'ai plein d'amis, hein, c'est juste qu'ils jouent pas à Magic. Si si c'est vrai. Bon d'accord, j'avoue j'ai plus d'amis).
Problème, je suis ce qu'on appelle un hard gamer.
La caricature de geek qui, de 11h du matin à 2h du matin, ferme sa chambre à clef et teste son deck UBR aggro-combo Grixis qui combote t2 / sauce t3, teste la mana curve pour éviter les color- et mana-deaths. Celui qui "Nan, j'peux pas sortir, j'ai déja un truc de prévu" et qui va au FNM de la boutique du quartier. Celui-là, oui. Du coup, je me suis rapidement retrouvé effectivement tout seul, dans ma chambre à clef, etc. Pour ne pas sombrer dans la folie, j'ai commencé à fréquenter les boutiques spécialisées un peu plus longtemps que "Bonjour. Bonjour, je voudrais (insérer ici votre argent de poche de la semaine divisé par le prix d'un booster) boosters. Voilà, ça fera (insérer ici votre argent de poche de la semaine). Merci, au revoir. Au revoir". En fréquentant, les tournois, on découvre tout un univers inconnus jusqu'alors. Des personalités inédites, une ambiance la plupart du temps très conviviale.
En extrapolant un minimum on arrive au...
Résultat 2 : Le
3. Puisqu'il faut vivre
On a vu qu'il fallait travailler pour vivre. Oui mais voilà, comment associer vie étudiante / professionnelle et Magic ? Depuis le début, je me décris comme un fainéant qui ne fait pas d'études mais, Magic oblige, je suis en fac de sciences (mais pas medecine, vous aurez compris que ce n'est pas ma tasse de thé) en première année. Car il me faudra bien rentrer dans le rang. Les moutons dont je parlais au début, vous remettez ? Voilà.
mavie :
Eh bien je suis forcé d'admettre que j'ai beaucoup moins d'occasions de jouer que lorsque j'ai commencé au collège (ah... ice age, time spiral... nostalgie quand tu nous tiens...). Tous les mercredis, tous les week-ends, on se réunissaient avec plusieurs potes et pendant plusieurs heures ont tapait le carton, on échangait les potins et les ragots sur la dernière édition.
Au chapitre précédent, j'affirme que le hard-gamer est contraint de faire des tournois construits. Mais il a une vie, lui aussi. Des cours ou un travail. Les tournois se font plus rares. Les FNMs se font occasionnels. On essaie de tenir, on force les mercredis alors qu'on devrait réviser les exam's de la semaine prochaine / rendre ce rapport que le patron attend depuis une semaine. Mais rien n'y fait, bientôt, seuls les week ends restent libres.
Alors on pleure, seul dans sa chambre, en comptant et recomptant ses cartes. Ce qui amène douloureusement le...
Résultat 3 : Le hard-gamer moyen dépense plus de 50€ par extension uniquement pour participer à de rares tournois construits
Un format plus convivial et moins porté sur le resultat
Et un jour j'ai découvert Perle de lait. Et mon visage, s'est... hum ! pardon.
Le hard-gamer ne peut plus suivre le rythme des extensions. Il ne peut plus jouer à son jeu préféré, sans sa raison de vivre, la vie elle-même n'a plus de sens. Et c'est alors que, sa main tremblante tenant le tranchant d'une Épée de Kaldra quelques millimètres à peine au dessus des veines de son avant-bras, il se souviens de tous ces bons moments passés pendant les APs. A ce moment s'allume dans l'esprit du hard-gamer une étincelle. Une étincelle nommée espoir.
La possibilité de vivre sa passion en la conciliant à sa vie courante et à sa condition d'éudiant/travailleur. Le limité ! En effet le hard-gamer étudiant en sciences en a parfaitement conscience : quoi de mieux qu'un système qui s'auto-alimente ? Le joueur de limité, pour être heureux, n'a besoin que de sa carte DCI. "Bonjour ! Je viens pour l'AP. 25€, svp - merci, bon jeu." Le joueur de construit traîne laborieusement sa maison jusqu'au lieu du tournoi. Et l'enfer continue à la fin de la journée ! Le construit repart avec ses 7 sacs de 7 classeurs de 7 pages de 7 cartes (quizz : combien de cartes si tout est plein ?). Le joueur de limité, lui, reste à la fin et va, sifflotant d'un air guilleret et d'un pas léger, presque dansant, demander à la caisse du magasin : Ma Lilianna et mon snapcaster foil, mint les deux, je viens de gagner l'AP avec, vous me les reprenez combien ? 40 ? 50 ? Merci, vous me reservez une place pour le prochain limité.
Vous aurez compris que mon point de vue n'est pas neutre. En fait, je suis un peu comme un alcoolique qui défend la sobriété. Moi-même grand "accumulateur" (dans mon cas, on ne peut pas parler de collection) de cartes depuis plusieurs années, j'écris cet article aussi par interêt personnel. Comme le fumeur qui va annconcer à ses proches qu'il arrête pour s'obliger à le faire. Je prends chacun de mes lecteurs à témoin pour trouver la volonté d'arrêter le construit.
Bien sûr, je diabolise à l'extrême, j'exagère, mais chaque situation est unique. En général, il y aura un coup de mou au début des études supérieures, voire en terminale. Je conseille de ralentir la cadence et de se mettre au limité au moins jusqu'à l'obtention d'une situation stable. Sans aller jusqu'au tragique "je revends mon dredge vintage pour payer mes études, mon permis et mon appart", reprendre le construit en douceur à la première paie ne me semble pas exagéré. Qui sait, peut-être même n'aimerez-vous plus que le limité...
Conclusion
Le construit n'est pas un mode de vie sain et stable dans le temps (comme le capitalisme, mais on est mal placés pour en parler). Chaque extension, pour être interessante, demande un investissement d'une cinquantaine d'€uros, à repayer à chaque fois.
Le limité, lui est viable : En faisant un draft/scellé, on dépense une vingtaine d'€uros, on gagne quelques misérables morceaux de cartons, que l'on revent pour s'inscrire au suivant. Ce système s'auto-entretient.
Le construit est un format pour les riches, ou pour ceux qui ne souhaitent pas économiser pour leur retraite. Le limité permet de vivre sa passion en ne payant que la première participation, les suivantes étant assurées par la revente des gains des précédentes (pour peu que l'on soit assez bon pour bien se placer et gagner assez de cartes, et assez chanceux pour ouvrir des vraies bonnes cartes et réussir à les refourguer).