J'étais de retour chez Tamiyo cette semaine là. J'appréciais la Lunaréene et la petite famille qu'elle avait assemblé au cœur des nuages de Kamigawa, et elle m'avait déjà rendu service par le passé, quelques histoires n'était qu'un maigre remerciement. Ça me sortait occasionnellement du Havre.
De quelques coups d'ailes je m'approchais finalement de la porte d'entrée. Se transplaner vers un intérieur rempli d'enfants n'est pas la plus prudente des choses, mêmes si certaines zones sont censées être réservées à cette pratique. Cela me donna un moment à voler pour me détendre et observer les magnifiques et assez uniques panoramas de Kamigawa.
Tamiyo et Genku ne furent pas les seuls à m'accueillir à la porte d'entrée, il y avait également un grand Léonin borgne et albinos. Il n'y a pas beaucoup de personnes rentrant dans ces catégories dans le Multivers, et encore moins pouvant se trouver sur Kamigawa. J'échangeais déjà les politesses usuelles avec les Lunaréens, puis me tournais vers Ajani Crinièredor et m'inclinait à la mode Kamigawanne. Je dois avouer que je ne suis pas la plus érudite en matière d'étiquette nacatle,
« Bonjour à vous, il me semble que nous n'ayons pas encore été introduits proprement. Icalia.
-Ajani Crinèredor, et enchanté de faire votre connaissance, madame. » Me répondit-il, me retournant mon salut, s'inclinant un peu plus bas. « J'ai entendu parler de vous. Merci, pour Tezzeret.
-Et moi de vous, monsieur Crinièredor, le félin qui a amené le Dragon à se retirer. Vous pouvez vous féliciter de cela, vous faites désormais partie d'un groupe très fermé dans l'histoire du Multivers. Et appelez moi Icalia, les amis de Tamiyo sont mes amis. »
Le grand léonin tiqua à la mention de Bolas
« Et appelez moi donc Ajani. Mais madame, serait-il possible que vous soyez venue m'apporter votre support ?
-Mon support ? Mais pour quoi donc ? Et je vous dis de m'appeler Icalia.
-Ah, ce n'est donc qu'une heureuse coïncidence que vous le mentionniez maintenant... Nous reprendrons cette conversation plus tard, le pas de la porte n'est pas un lieu pour discuter de telles choses, et les enfants ne me pardonneraient pas de retarder leur repas, ou leurs histoire. »
Tamiyo et Genku m'emportèrent avec Ajani à leur suite, et nous partageâmes alors un repas assez simple. Enfin,comme mes cuisiniers le savent bien, tout repas deviens plus complexe quand on y ajoute des convives aux besoins alimentaires différents, et une poignée d'enfants aux âges et races différents.
Après le repas, nous nous déplaçâmes dans la bibliothèque, dans le coin à histoire. Ajani amorça le tour des (deux) invités et nous narra la révolution de Kaladesh, regardant Nashi de son œil à chaque mention de Tezzeret. Les Sentinelles allaient décidément être à surveiller, et il faudrait que je recontacte Mme Vess à l'occasion, ce genre d'actions ne ressemblant pas à la nécromancienne que j'ai connu au cours des ans, à moins qu'Ajani n'embellisse vraiment l'histoire. Ce récit expliquait au moins l'absence de visite de Mme Rai au Havre ces derniers temps. Puis vint la fin du récit d'Ajani qui finissait par la défaite de Tezzeret le Conspirateur et le retour de la paix sous un Consulat plaisant aux deux parties.
Puis ce fut ensuite à mon tour de conter, et je commençais par un bref résumé de l'histoire de mon Embrasement, pour Ajani qui n'y avait pas assisté mais également pour les enfants, qui avaient dû entendre un certain nombre d'autres récits entre celle-ci et aujourd'hui:
« La dernière fois que je suis venue, j'ai commencé à vous raconter une histoire. Mon histoire. De mon enfance à la diplomatie, des avertissements d'Urza au grand sort d'Interdiction que j'ai lancé sur le continent d'Otaria. De l'Embrasement que j'ai accidentellement volé. De l'invasion de ceux qu'Urza appelait les Phyrexians, arrêtée par l'Interdiction, de l'arrêt de celle-ci avec celui du flux de mana de la Lune Scintillante.
Les Arpenteurs des Plans, comme je l'étais à l'époque, étaient presque immortels, avaient accès à des quantités de mana quasiment infinie et disposaient d'un esprit et de perceptions bien différents de ceux de la plupart des autres êtres conscients. Cependant, même eux avaient leur limite, et maintenir et absorber un sort à l'échelle d'un continent durant plusieurs mois les aura testé. L'énergie qui formait désormais mon corps était alors sérieusement délitée, je le sais désormais. Je n'étais alors manifestée sur Dominaria comme sans doute pas plus que quelques lumières étranges, et ma conscience était confuse au mieux. L'instinct de l'Étincelle m'emporta tout de même dans un nouveau plan : un plan appelé Moloni.
Mon esprit avait travaillé sans repos ni perceptions classiques pendant un temps qui m'avait paru être plusieurs années, en tant que Nexus de l'Interdiction. Quand je me suis « réveillée », les perceptions que je captais étaient différentes de celles que j'avais en lançant le sortilège, mon esprit et mon corps étaient différents également. Je n'eus même pas le temps de noter cette différence, que l'univers explosa en quelque chose d'indescriptible. J'étais quelque part où mes yeux et oreilles n'étaient pas la façon dont je percevais les choses, un vide dans lequel certaines directions donnais des impressions différentes de l'absence omniprésente. Il y avait plus de directions qu'un esprit normal puisse concevoir ou comprendre. Ces directions « changèrent » et un espace cultivé apparut, un instant avant que je ne perde connaissance.
Je me suis réveillée à nouveau en ouvrant les yeux sur un humain essayant de se cacher dans un champ, ou plus exactement dans une trouée dans un champ. Autour de moi, les cultures étaient inexistantes sur quelques mètres. À ce moment, je ne savais ni où j'étais, ni combien de temps j'avais passé au cœur du sortilège, ni le fait que j'étais désormais une Arpenteuse des plans, et que je n'étais bien entendu plus sur Otaria, ni même Dominaria. J'étais perdue spatialement, temporellement et personnellement, autant dire que j'étais probablement plus effrayée que lui. Enfin, peut-être pas, considérant qu'il avait dû arriver dans son champ pour découvrir une forme délitée d'Arpenteur, un nuage incohérent de lumière et de magie, faisant disparaître une partie de ses cultures.
-Comment ça, tu étais un nuage ? » La question était sortie de la bouche de Nashi, le jeune Nezumi qu'avait recueilli Tamiyo. S'il était resté discret et timide lors de ma dernière visite, il semblait s'ouvrir peu à peu. En tout cas, il était désormais assis à côté d'Ajani, qui lui adressa un regard affectueux.
« Comme je l'ai dis, à cette époque, j'étais une Arpenteuse des Plans, et entre autre chose, les Arpenteurs des Plans n'étaient plus des personnes de chair et de sang, mais une forte concentration de magie et de pensées maintenus ensembles par une volonté inhumaine. En tant que telle, il arrivait que des Arpenteurs épuisés perdent le contrôle de leur forme et que leur essence se répandent naturellement, un des rares états dans lesquels ils pouvaient être vulnérables... Mais aussi extrêmement dangereux. La magie brute n'est pas très stable.
-Comme un Kami ? Ça faisait comment d'être un nuage de magie ?
-C'est... Difficile à décrire. Et à vrai dire, j'ai rarement été dans cet état, et encore moins consciente pendant ce temps. Voyez-vous quand vos esprits divaguent, que vous pensez à tout et à rien, en regardant le vide ? C'est quelque chose de ressemblant, en beaucoup plus intensément vide. Je préfère ne pas m'étendre sur le sujet, donc retournons à notre histoire.
Revenue à moi dans cet endroit inconnu, des dizaines de questions se bousculaient alors dans ma tête. Est-ce que tant de temps avait passé qu'on avait planté des champs autour de moi ? Que j'avais disparu dans les mémoires comme une statue étrange, un artefact qu'on ne pouvait approcher, et dont, après quelques années, tout le monde s'était désintéressé ? Avais-je privé mon continent de magie pendant si longtemps ?
En tout cas, je me levais lentement, et, regardant l'homme, relaxait mes bras et mes ailes, en signe de paix. Si vous vous trouvez face à un individu d'une culture inconnue, reposer vos divers membres sera souvent interprété comme une offre de paix. En fonction de la culture en question, cette offre de paix pourra être accueillie avec de la violence ou des bras ouverts (avec ou sans lame dans le creux de la paume). Ce qu'il faut en retenir, c'est d'éviter d'approcher des inconnus si vous n'avez pas idée de comment ils vont réagir. En l'occurrence je n'avais pas bien le choix, je ne me sentais pas encore de m'envoler.
L'humain devait avoir une quarantaine d'années selon mes estimations, et avait les mains serrés sur quelque chose ressemblant à une bêche. Quand le fermier eut assez de courage pour m'adresser la parole, les mots qui sortirent de sa bouche étaient dans une langue inconnue, ou suffisamment dérivée d'une langue que je parlais pour m'être méconnaissable. Cependant, dès ses premiers mots, je subis une légère désorientation et compris le sens de sa question. Cela m'étonna un moment, après mes années de diplomatie et de voyage, j'avais appris beaucoup de langues, mais aussi des sortilèges de traduction, me permettant d'avoir une conversation au moins basique avec n'importe qui. Je n'avais certainement jamais été capable d'en lancer un par réflexe, ni aussi rapidement, et la sensation était différente. Comme si je ne comprenais pas simplement le sens de sa phrase, comme le traduirait un sortilège, travaillant sur de la télépathie à un niveau basique, mais également chacun des mots, et la langue. Je remarquais même son accent ! C'était évidemment un des talents naturels des Arpenteurs des Plans, pouvoir farfouiller et instinctivement extraire ce dont nous avions besoin des esprits mortels, comme ici la langue, mais je n'en savait rien à l'époque. Les Planeswalkers ont conservé de cet époque un certain don pour l'apprentissage des langues, mais rien d'aussi intrusif, ou efficace. Pour en revenir à notre histoire, l'humain me posa donc une question. Je ne savais pas son nom et je ne me souviens pas de toutes nos conversations en détails, mais j'essaierais de vous les restituer au plus proche, mais cette première question resta gravée dans ma mémoire :
« Vous êtes une ange? » me demanda-t-il.
Cette question me perturba. La seule façon pour qu'un humain ne puisse différencier un Avemain d'un Ange, c'est qu'il n'ai jamais vu ni l'un ni l'autre, et qu'il n'ait eu qu'une description générale de l'un des deux. Les anges en règle générale ont un corps de mammifères, à l'exception de leurs ailes, et souvent une attitude déplorable. Otaria n'étais pas un grand continent, et mes pires craintes prenaient forme : j'avais maintenu l'Interdiction tellement longtemps que tout avait changé, et il ne devait plus y avoir aucun avemain sur Otaria. Je ne reverrais plus ma famille, mes parents, mes frères et sœurs, mes neveux et nièces... Pour ce que j'en savais, je pouvais être la dernière avemaine sur Dominaria !
-C'est vrai ?
-Non bien sûr, les avemains, Otaria et ma famille allaient tous très bien, mais le choc me frappa de plein fouet à ce moment. »
Un des plus jeunes profita de cette première question pour ajouter la sienne.
« C'est quoi un ange ? »
Je me rappelais que Kamigawa était l'un des quelques plans du Multivers qui ne possédait pas de ces êtres ailés. Avant que je n'ai eu le temps de répondre, d'autres dans le groupe, qui avaient déjà entendu des histoires sur des Anges auparavant, notamment de Tamiyo après ses recherches sur Innistrad, commencèrent à les lui décrire d'une manière... Assez imaginative. L'idée générale y était cependant, je ne pris donc pas la peine de les corriger, et continuais le récit:
« Mon esprit se détacha de toutes ces craintes pour ma famille et mon espèce sur l'instant. Il fallait que je fasse quelque chose si je ne voulais pas y penser de suite. Aussi, après un silence aussi gênant pour lui que pour moi, c'est avec une voix mal assurée que je lui répondis dans sa langue :
« Euh... Non ?
-Z'avez débarqué au milieu de mon champ et d'un nuage de lumière, z'avez des ailes et vous êtes pas un ange, hm ? »
Mon incertitude parut conforter le fermier, qui se redressait lentement, sa main desserrant le manche de son outil agricole. J'essaie de vous rendre son accent, mais d'une langue à l'autre...
« Z'avez faim, mon ange ?
-Je ne suis pas un ange.
-Bien sûr, mon ange, z'avez faim ? Vous mangez ? »
Encore une fois, une question qui amène à des réflexions. Non, je n'avais pas faim. Après je-ne-savais combien d'années à maintenir un sort massif, et sans doute un certain nombre d'heures inconsciente au milieu d'un champ, je n'avais pas faim. Enfin, je n'étais pas rassasiée non plus. Mais mon corps aurait sans doute bien besoin d'un repas, et refuser l'hospitalité offerte par une culture inconnue a plus de chance de l'offenser que l'accepter.
« J'accepterais volontiers un repas, si c'est ce que vous me proposez.
-Bon, v'nez avec moi. Après manger, vous m'expliquerez comment v'z'êtes pas un ange, mon ange.
-... Je ne suis PAS un ange... »
Une fois arrivés chez lui, nous croisèrent son fils, en train de rentrer des bêtes, le soleil descendant dans le ciel. Il me prépara et servit à manger un repas frugal, puis son fils rentra et le pris à part pendant que je mangeait. Je ne pus m'empêcher d'utiliser un brin de magie du Son pour écouter leur conversation et en apprendre un peu plus sur ce ‘futur' dans lequel j'arrivais. Il me fallut bien plus de concentration qu'habituellement pour faire appel au mana de mes plaines natales, mais je mis ça sur le compte des changements au fil du temps. J'entendis donc le fils s'adresser au père :
« Uhm, papa, je suppose que c'était ça la lumière... Un ange, chez nous ? Elle vient d'émerger ? Ma femme doit rentrer demain, on pourra trouver preneur... Une Source... On est riche, pa !
-C'est pas fait fils... J'trouverais la Source demain, et j'irais en ville avec la charrette le jour après, voir le seigneur.
-Le seigneur ? Mais il va la prendre pour rien ! On peut être riche 'pa, on aura plus besoin de vivre ici, on pourra acheter un commerce en ville et l'argent coulera tout seul. Ou la louer et vivre sans travailler le reste de notre vie ! Un ange 'pa, avec ça on est refait !
-Nan, le seigneur ne prend pas pour rien. On est chez lui d'abord, et la Source est plus à lui qu'à nous. Qu'est-ce que tu pense qu'il ferait s'il apprend qu'on l'exploite sans l'informer ? Et pis, il m'a donné ce champ à cultiver après la guerre. La vie d'ville, c'est gérer des animaux bien pire que ceux qu'attaquent les bêtes... Qu'est qu'on ferait d'une Source, tu sais pas faire de magie et moi non plus, le premier mago pas trop réglo qui se pointerait nous la piquerait... Sans compter les bandits... »
La conversation continua un moment encore, mais je n'écoutais plus vraiment, mangeant sans y faire attention pendant que mon esprit essayait de comprendre ce dont le père et le fils parlaient. À l'évidence, toute magie n'avait pas disparu, puisque même des personnes n'y connaissant rien étaient au courant de son existence, et qu'il existait des mages. Mon Interdiction avait-elle faibli sur les dernières années ? Au vu de la façon par laquelle ils en parlaient, la Source en question n'était pas une source d'eau, mais probablement de magie... Ma compréhension de ces mots semblait confondre les concepts de Source et d'Ange dans la conversation, aussi cette histoire de don, location ou exploitation me semblait un peu trop proche de l'esclavage à mes dépends pour que ce soit une pensée confortable. Nul besoin de beaucoup s'approcher du concept d'esclavage, quand quelqu'un est mis fasse à la perspective d'y être soumis, pour rendre la situation inconfortable.
-Le fils appelait vraiment sa femme « Ma femme » ? »Me demanda l'un des enfants, profitant de cette dernière note.
-Non, elle avait un nom, mais je ne m'en souviens plus. Gardez en tête que tout ça se passait il y a plus de trois siècles !
Donc, pendant qu'ils discutaient, moi je mangeais, broyant du noir sur le temps que j'avais perdu. Mon repas presque terminé et la nuit couchée, c'est en regardant par la fenêtre que j'eus une nouvelle surprise... Une seule lune brillait dans le ciel ! Je savais que la Lune Scintillante avait cessé de réguler l'Interdiction, mais de là à disparaître complètement, ce n'était pas seulement la Lune arrivant à cours de mana après des siècles ou des millénaires... On parlait là d'un astre qui avait orbité Dominaria depuis plus longtemps que toutes les légendes, même si elle ne figurait dans aucune, il ne pouvait pas simplement disparaître sans laisser de trace !
Mon esprit commençait à envisager d'autres possibilités... Si la lune avait disparu soudainement, et n'était pas tombée à cours de mana naturellement, cela voulait dire que l'Interdiction avait pu durer beaucoup moins longtemps que je ne l'imaginait alors ! D'autant plus qu'une telle extinction naturelle aurait dû être graduelle, mais en temps que Nexus, l'interruption avait semblé brusque, et imprévue. Mais comment expliquer tout les changements, si le sort avait duré moins longtemps ? Je commençais bien évidemment à me douter de la vérité. Je savais, après mes voyages dans Dominaria, et les révélations d'Urza l'Arpenteur, que d'autres mondes existaient.
Mais, à ce moment, quelque soit la vérité, le risque d'asservissement était bien plus présent dans mes pensées. N'ayant pas particulièrement sommeil, je partis donc voler pour voir où j'étais et me reposer l'esprit. Suivre un courant ascendant et planer sur un paysage nouveau, seule dans un ciel vide de tout autre être conscient, est un des meilleurs moyen que je connaisse de se calmer et de se relaxer. La ferme était au milieu d'une grande zone cultivée.
Un hameau était visible au loin, une unique route en ressortant, éclairée, dans l'obscurité, probablement vers cette « ville » dont l'homme et son fils avait parlé. Le relief était bien différent de celui des plaines Darues dans lesquelles j'avais lancé l'Interdiction, ce qui confortait l'hypothèse d'un autre monde. J'envisageais un moment de voler vers la ville, ou dans la direction opposée, mais connaître des personnes habitant ici me permettrait de récupérer des informations. Ils n'avaient rien prévu de faire avec moi avant deux jours, et je pourrais sans trop de problème partir par les airs ou la magie avant ce moment. Le Son n'est pas l'arme la plus efficace qui soit, mais il peut réserver quelques surprises. »
Grâce à un petit sort, ces deux derniers mots parurent venir de juste derrière chacun des auditeurs. Si la majorité de mon public sursauta et se retourna, Ajani s'arrêta et je vis sa pupille se dilater et ses griffes commencer à sortir pendant un bref instant. La tension retomba aussi vite qu'elle était montée avec les rires et les exclamations qui suivirent de peu cette surprise générale. Après un bref question-réponses et un retour au calme, je pus reprendre.
« J'étais donc décidée à retourner dans la ferme, mais auparavant je me suis posée sur une colline proche, et j'ai essayé de faire sens sur ce que j'avais appris. La théorie que je n'étais plus dans le même monde était plus plausible à chaque minute qui passait. A partir de là, il n'y avait qu'une toute petite liste de possibilités, soit on m'avait éjecté de Dominaria, ce qui paraissait peu probable au cœur de l'Interdiction ou quelques secondes après sa fin, ou la seconde possibilité : que je me sois déplacée moi-même. Grâce aux dégâts qu'ils avaient tendance à causer et à mes voyages, je connaissais au moins l'existence des Arpenteurs des Plans, le nom de certains et quelques histoires et légendes à leur sujet, je commençais donc à essayer d'appliquer certains des éléments communs à toutes ces légendes à ma personne.
Me souvenant de ces « directions » que j'avais ressenti brièvement après la fin de l'Interdiction, j'essayais de retrouver cette sensation, tout en me remémorant des souvenirs d'Otaria tels que ceux évoqués pour tirer du mana des terres. Si je réussis à capter du mana, ce que j'avais déjà fait par réflexe plus tôt, je n'arrivais pas à me déplacer moi dans cette direction. A chaque fois, je ressentais une sensation de dérive, mais quelque chose m'attachais en place. Je tentais même par la méditation, une technique enseignée dans l'école de magie que j'avais fréquentée enfant, et que je n'apprécie pas particulièrement, mais qui a fait ses preuves. Sans succès, à ma grande frustration. Pour ce que j'en savais, les Phyrexians d'Urza étaient déjà en train de mettre ma terre natale à feu et à sang, et je n'y pouvais rien. Au lieu de devoir faire le deuil de celle-ci, je me retrouvais confronté à l'impuissance et aux affres du doute.
Les Arpenteurs des Plans étaient aussi connus pour l'ampleur de leur pouvoir magique, capables de remodeler des pays entier à leur bon vouloir, ou provoquer des phénomènes d'une ampleur encore plus grandiose. Cependant, encore une fois, ce fut sans succès que j'essayais de conjurer plus de mana que d'habitude. Quand j'essayais de tirer le peu de mana normalement disponible en surface de chaque terre, ce fut sans résultat. J'étais limitée au mana que je pouvais tirer d'Otaria, si loin de là.
À défaut de pouvoir rentrer chez moi, je me souvins d'autre chose que toutes les histoires d'Arpenteurs des Plans avaient en commun : leur forme et âge semblait changer d'une histoire à l'autre, ce qui n'est pas étonnant, mais parfois ces changements prenaient place au cours de la même histoire. Fermant les yeux, je me rendit compte que je pouvais sentir l'intégralité de mon corps et de sa constitution. Me concentrant sur mon bras, j'imaginais mes plumes changer de couleurs. Et elles le firent, je n'eus même pas à ouvrir les yeux pour le savoir. L'excitation de cette découverte dépassa temporairement la peur de l'inconnu, puis je décidais de tester cette nouvelle capacité de manière plus drastique. Après quelques essais, je réfléchis à ce que je voulais faire. Si j'étais coincée dans ce monde, il vaudrait mieux éviter de s'y balader en tant qu'avemaine. Le fermier pensais que j'étais une ange, autant le conforter dans cette supposition pour l'instant.
Je commençais donc à imaginer le corps d'une ange tel que j'en avais rencontré, modifiant la forme des ailes, emplissant les os, retirant les plumes et ajoutant des poils, adaptant la forme du corps. Je pensait, après avoir modifié que de petites parties de moi, que cela allait prendre une éternité, mais apparemment, j'étais désormais capable de me concentrer et de réfléchir en détails sur chaque élément, tous en même temps et sans trop de problèmes, capable de reconstruire ce corps sans la moindre idée du fonctionnement de l'anatomie d'un ange. Je les savais corporels, et également constitués de mana, mais mes connaissances s'arrêtaient là. En moins d'une minute pourtant, mon corps d'ange était près, dans ma tête comme si je le voyais dans un miroir, et je le connaissais aussi intimement que mon corps actuel. D'un simple effort mental, je m'incarnais dans ce corps.
Je changeais quelques fois entre mon corps avemain et mon corps d'ange, sans problème aucun. Quand je me suis à nouveau intéressée à quelque chose d'autre que mon corps, cet esprit aiguisé et multitâche que je semblait avoir acquis (ou compris que je disposais) s'ouvrit à la colline sur laquelle j'étais. Je voyais et surveillais chaque brin d'herbe devant, et même derrière, moi, et voyait chaque animal bouger, alors que pourtant ma vue d'ange était bien moins bonne et précise que celle dont je disposais en tant qu'avemaine.
J'étais bel et bien une Arpenteuse des Plans, et je me perdis une bonne heure dans ce nouveau niveau de conscience, avant de réussir à rassembler mes pensées et retourner à la ferme. Il me fallut réapprendre à voler avec cette nouvelle forme d'aile, mais cela fut relativement rapide. Là, j'effectuais la chose la plus proche possible pour un Arpenteur des Plans du sommeil, une sorte de transe réflexive durant laquelle mon esprit traitait constamment beaucoup d'informations, sans pour autant que je ne fasse attention à aucune d'elle. Un peu comme compter des serrows, en prenant aussi le temps de compter le nombre de poil sur chacun d'eux, et en actualisant la proportion de mâle et de femelles.
Quand le vieux fermier vint me chercher, alors que l'aube pointait son nez, je pus lire sur son visage (et sentir dans son esprit) sa surprise à mon changement d'enveloppe corporelle. Je me rendis compte à ce moment que je pourrais sans doute tirer toutes les informations dont j'avais besoin de son esprit, mais je n'avais jamais aimé la magie télépathique et encore moins ses abus, aussi cela était-il une ligne que je n'osais pas franchir. Je laissais donc la conversation suivre son cours.
« Ah. Vous n'êtes toujours pas un ange ce matin ?
-J'avoue.»
Je fus surprise, dès ce mot, par ma propre voix, identique à celle que je me connaissais ! J'étais restée silencieuse la nuit précédente, mais passer d'un bec, fut-il flexible, à une bouche aurais tout de même dû changer ma voix, mais apparemment ma voix comme le reste de mon être échappait aux règles, et c'est avec la même voix et le même timbre que la soirée dernière que je finis de répondre :
« Je ne savais pas vraiment ce que j'étais hier soir. Les choses sont bien plus claires ce matin, mêmes s'il reste quelques ombres.
-J'pense bien, z'avez même pas un jour après tout. J'vais vous proposer un truc, c'matin j'vous aide à retrouver vot' Source, devrait éclaircir les choses.
-Ma "Source" ?
-Savez pas ça ? La Source qui vous a engendré ? Le Gisement, le Puit, comme ils appellent ça. Le bidule qui permet à la magie de marcher quoi.
-Mais la magie marche très bien... » dis-je en accompagnant une démonstration à la parole, conjurant une sphère de lumière.
« ...Et vous pouvez faire de la magie... En même temps z'êtes toute magique... Ben oui vous pouvez, si v'z'êtes là c'est qu'il y a une Source à côté. Du coup : magie. Allez v'nez. »
Docile pour le moment, je le suivais, ruminant sur ces informations. C'était bien d'une Source de mana qu'il parlait, et à ce qu'il disait, apparemment la magie ici n'était possible qu'à leur proximité. Et elles... Engendraient ?... des anges... Le problème, c'est que je n'était pas un ange, et que ma magie ne venait pas d'une source, mais d'un autre Plan... Enfin, rapidement, nous arrivâmes au cercle dans lequel j'avais apparu.
« Vous sentez votre Source?
-Honnêtement ? Non. » Il soupira.
« Bon... On va pas chercher à l'aveugle... Si je vous montre un truc vous promettez de rien dire à mon fils ou sa femme? » Sur le moment ça me surpris, mais je voulais voir où il allait.
« Promis
-Alors... » eu-t'il le temps de prononcer avant de farfouiller dans le sac qu'il avait pris. « Ah, la voilà. ». Il sortit un instrument qui ressemblait assez aux boussoles que j'avais pu apercevoir aux mains de certains capitaines, sauf que l'appareil avait cinq cadrans dans une plaque rotative, des couleurs associées à ces cadrans. Cinq cadrans des cinq couleurs de mana, il n'était pas difficile de deviner à quoi pouvait servir un tel guide, surtout considérant notre expédition. Par contre, je ne pouvais croire qu'un tel artefact se retrouve dans les mains d'un fermier. Pendant qu'il tournait quelques cadrans, je l'interrogeais.
Ah, mais avant, attendez ! »Je me penchais pour récupérer un compas assez similaire dans la sacoche que j'avais amenée avec moi et le fis passer dans les rangs de l'auditoire.
« Ce n'est pas le même bien sûr, il aurait un peu changé en quatre siècles, mais il ressemblait à peu près à celui-ci. »
Je l'avais amené à des fins de démonstration, mais sur Kamigawa comme sur la plupart des plans, les lignes leys perturbaient fortement l'instrument, déjà peu clair à la base. Mais il m'avait tout de même servi en quelques occasions, me permettant de trouver des êtres ou des objets particulièrement chargés de magie.
Pendant qu'il passait, je continuais de raconter
« Qu'est-ce? » Demandais-je donc à l'homme que je pensais être un fermier, bien que je commençais à en douter.
« Un compas des étoiles, un instrument pour trouver les concentrations de magie. Je n'ai pas tout le temps été fermier. Je n'en ais pas utilisé depuis un moment. J'ai besoin de me concentrer. » Durant ces phrases, je remarquais que toute trace d'accent avais disparu de sa voix. Enfin, cela faisait sens, j'avais appris la langue de son esprit et remarquais son accent...
Je m'approchais par le côté pour le regarder opérer. Quand il lâcha les cadrans et boutons, il passa sa main au dessus de l'artefact et prononça une brève incantation. L'aiguille se pointa instantanément vers moi et les cadrans se réarrangèrent, le blanc se plaçant bien sûr sous l'aiguille. Je perçu les sourcils de l'humain se soulever. Il se reprit très vite :
« Évidemment... Ça, ce n'est pas dur à interpréter. Vous pouvez faire passer un peu de votre mana par le dessous du compas ? »
Je m'exécutais, et l'aiguille se relâcha légèrement, et se tourna vers une autre direction. Nous suivîmes l'instrument pendant un moment. Le terrain semblait influer ce que suivait l'aiguille et les cadrans, ce qui fit que c'est par un certain nombre de détours que nous explorâmes la zone, à pied qui plus est. Pendant que nous marchions, j'en découvrais un peu plus sur mon hôte d'une nuit, qui restait les yeux rivés sur l'instrument qu'il tenait. Heureusement pour moi, le corps d'ange que j'occupais était bien plus à l'aise pour marcher pendant des heures que ne l'avais jamais été mes membres postérieurs avemains. Je profitais du fait qu'il pensait à autre chose pour lui poser des questions.
« Donc ? Quel genre de profession implique l'utilisation d'un tel compas ?
-J'étais Messager.
-Vous portiez des courriers ?
-Parfois, mais je portais surtout les volontés des Flux de Ganara aux autres cités.
-Les ‘Flux' ? Ganara ?
-Ah oui, c'est vrai. Nous sommes actuellement dans les terres de la Fédération de Cyr. Dont la capitale est la cité de Ganara. Ganara, et Cyr, sont guidées par les Flux, cinq Gardiens comme vous issus de la Source de la ville.
-Comme moi ?
-Oui, liés à la Source, c'est une Source Mère, libérant de tous les types de mana en quantités égales, et assez impressionnantes, puisqu'elle a cinq Gardiens, les Flux. Ange, Sphinx, Démon, Dragon et Élémental.
-Et donc, les Messagers ?
-Comme les Flux ne peuvent pas se déplacer, les Messagers ont la charge de s'assurer que toutes les cités de la Fédération respectent leur volonté. Ce sont aussi des guerriers, des mages ou d'autre choses encore, et ils ont autorité d'agents de leur loi dans Cyr.
-Et vous n'en êtes plus un ? C'est un service limité ? Attendez, ils ne peuvent pas se déplacer, ils sont tant sollicités ?
-Non, ils ne peuvent juste pas quitter l'Environnement de leur Source, comme toutes les Gardiens. Les Messagers sont libres de partir, mais peu le font avant de mourir. Je suis parti après avoir assisté à la dernière guerre interne. Complètement valide selon les Flux. Une guerre dans un même pays ne peut pas être valide selon moi. On m'a donné un lopin à cultiver, ce n'est pas ce qui manquait avec la guerre, et j'ai commencé une nouvelle vie.
-L'Environnement ? Attendez, je ne peux pas quitter la zone ? »
Il s'arrêta brusquement et leva la tête du compas.
« Oh. Désolé. Oui. En tant que Gardien de cette nouvelle Source, vous ne pouvez pas vous en éloigner. Vous ne pourriez pas survivre dans une zone sans magie. Vraiment désolé de vous l'apprendre comme ça, je pensais que vous étiez au courant... Voyez le bon côté des choses, vu la réaction du compas à votre présence, je ne serais pas étonné que votre Source soit particulièrement puissante. Vous aurez plus de distance pour étirer vos ailes, et une cité se développera probablement autour d'elle d'ici quelques années. J'ai croisé plus d'un Gardien de Source mineure dans ma courte carrière de Messager qui soit seul, coincé dans une forêt ou une colline, offrant des services aux visiteurs dans le seul but d'avoir de la discussion. »
Je jouais mon rôle de choc. Je n'étais pas bien inquiète, je n'étais pas vraiment un ange et, même si ce corps avais besoin de mana, j'avais accès à des sources extérieures, mais il n'avait pas à le savoir pour le moment. Je comprenais de mieux en mieux sa conversation de la veille, mais je restais prudente.
Quand nous nous arrêtâmes finalement, dans une cavité qui avait certainement abrité plus d'un être vivant à une époque ou une autre, mon compagnon actuel posa le compas et invoqua un autre sort, et un flot de mana commença a monter à travers le sol. Ce fut une explosion dans mon esprit, qui percevait désormais les courants de manas comme autant de feux dans une nuit sans lune. Cette Source avait-elle toujours été présente et inconnue et je m'y était liée, ou mon arrivée l'avait-elle créée ? Aucun de mes voyages subséquents sur le plan n'ont créé de Sources, pour autant que je le sache, mais le premier voyage d'un Arpenteur est toujours mouvementé, et l'était encore plus avec mon état dans ce périple.
Toujours est-il que je pouvais sentir le mana, un mana que je reconaissais, avec le goût/odeur familier de mes plaines natales, et une amertume derrière. J'essayais encore une fois de me saisir de cette sensation et de ce mana pour rentrer chez moi, sans succès. Un son me rappela au monde physique :
« Impressionnant, hein ? Première fois que je vois une source se développer comme ça. »
Quand je me concentrais à nouveau sur mes sens plus classiques, je pus voir que la Source se manifestait en un faisceau d'énergie blanche dépassant du sol, tournant à angle droits à intervalles réguliers. À sa base, suivant le faisceau, commençais à se former un cristal autour du flux de mana, et bientôt la Source fut un cristal éclairé de l'intérieur par de l'énergie que je pouvait sentir se diffuser tout autour. J'approchais ma main et touchais la structure, qui s'éclaira plus vivement et se mit à chanter. En un instant parfait de communion avec cette Source, j'appris tout ce qu'il y avait à savoir des Sources en général et de celle-ci en particulier.
Mes soupçons en furent confirmés, je n'était pas la Gardienne de cette Source, du moins pas encore, elle s'était juste alignée sur le mana que j'avais résonné jusque là. J'en devint la Gardienne lors de ce premier contact. Elle me resterait liée jusqu'à ce que l'une de nous deux meure. Le mana de ce Plan, Moloni, circulait surtout dans des lignes leys enterrées très profondément dans le cœur du Plan, isolé de sa surface par un matériau bloquant tout transfert de magie. Mais cette couche n'étais pas uniforme, et par endroit du mana arrivait à remonter en surface, formant les Sources. Ces Sources, presque vivantes, engendraient alors des Gardiens, pour éviter d'être exploitées. En général, une Source ne pouvait alimenter en mana qu'un seul Gardien sans diminuer sa puissance significativement. Milles et un détails comme ceux-ci, avec lesquels je ne vous embêterais pas cette nuit. J'entendis quelques mots de l'ancien Messager alors que mon esprit plongeait plus profondément dans cet échange avec le cristal-Source.
« Je vais vous laisser avec elle. J'irais voir le Seigneur en ville demain, il devrait envoyer des gens pour la sécuriser et vous souhaiter la bienvenue dans la Fédération. Essayez de ne pas vous faire trop remarquer d'ici là. »
Suite à quoi il s'éloigna.
Je passais le reste de la journée à renforcer le lien que j'avais avec ce que j'identifiais désormais comme MA Source. A mesure que notre lien s'épaississait, je pus percevoir les limites de son Environnement à quelques kilomètres de moi, toutes les créatures ayant en eux une étincelle de magie dans celui-ci. Je sentais le Messager s'éloigner en tant que signature particulière d'un être ayant déjà manipulé et utilisé de la magie. Je me voyais, forme presque aveuglante à côté de moi-même. Je sentais la Source observer et absorber ma mémoire, s'en inspirer et découvrir. Les courants du vent, la forme du terrain, les cultures humaines étaient autant d'éléments que je ressentais comme autant de membres de mon corps. Le terrain proche de la Source m'était connu jusqu'au moindre gravillon, tandis que la frontière de l'Environnement n'était qu'une impression du relief. »
J'aperçus Genku qui me fis un petit signe de tête vers les enfants et la fenêtre au dessus de nous, et le ciel nocturne derrière elle. Je compris qu'il commençais à se faire tard pour certains des enfants, et je lui fis signe de ma compréhension avant de reprendre mon histoire.
« Je me perdis dans toutes ces nouvelles sensations, mon esprit d'Arpenteuse des Plans se concentrant sur tout à la fois, jouant ici et là à manipuler un courant ascendant, à encourager des cultures,...
Quand je repris conscience de mon environnement, le soleil se levait à nouveau. Je me détachais de la Source, mais j'entendais toujours l'appel de ce pouvoir et ces sensations dans un coin de mon esprit. Quand je me concentrais dessus, toutes les sensations me revinrent, malgré que je sois détachée de la Source.
Retrouvant graduellement mon identité, je me détachais de ce flot d'informations, puis me rappelais les conversations des jours précédents. Malgré les appels de la Source, qui m'affirmait que ma place était à ses côtés, il fallait que je trouve un moyen de rentrer chez moi. Je ne savais pas ce qu'il était advenu de Dominaria durant l'invasion, et de nouveaux scénarios me venaient constamment à l'esprit. Et si la fin de mon Interdiction était du fait des Phyrexians ? Il fallait que je rentre au plus vite. Et l'endroit où je pourrais trouver le plus d'informations était certainement la capitale
Le fermier devait partir aujourd'hui vers le fief du Seigneur local, je décidais de l'accompagner, mais connaissant son genre, militaire ou fermier, il devait se lever à l'aube, qui avançait justement. Me concentrant sur la Source, je le retrouvait à l'intérieur de l'environnement, peu difficile étant donné qu'il était l'une des deux autres personnes à portée ayant utilisé de la magie dans leur vie.
-Deux ?
-Oui, deux, mais pour l'instant cela n'a pas beaucoup d'importance, comme cela n'en avait pas beaucoup pour moi à ce moment.
L'ancien Messager flottait au dessus du sol, à environ un kilomètre de la frontière de l'Environnement, sûrement sur une charrette que je ne pouvais percevoir. Je dégageais mes ailes, décollait, subis un rappel douloureux que ces ailes n'étaient pas celles auxquelles j'étais habituée, décollait à nouveau et partit dans la bonne direction. Rapidement, je manipulais des courants d'air pour accélérer mon voyage et une dizaine de minutes après, je ralentissais à côté de la charrette.
« Bonjour ! »
Il se remettait déjà de sa surprise, mon arrivée n'ayant pas été particulièrement discrète de par les longues ombres et le bruit du vent.
« Oh. Bonjour, vous vous êtes séparée de votre Source ?
-Non, pas vraiment, je ne sais pas si c'est possible de nous séparer désormais.
-N'en doutez pas, c'est possible, ça a déjà été fait. S'il est très difficile de prendre le contrôle d'une Source sans la coopération de son Gardien, cela n'a pas empêché des groupes et des pays de se saisir d'une Source. En une occasion, une femme seule l'a fait. Même s'il est plus simple de tuer le Gardien, généralement.
-Uhum. Toujours avec les anecdotes joyeuses. Vous allez voir le Seigneur des lieux ?
-Oui, la femme de mon fils à ramené la charrette hier, autant en profiter.
-Je vais vous accompagner, je pourrais directement parler avec lui de mon statut.
-Ne pouvez-vous pas sentir la limite de votre Environnement ? Je suis déjà étonné qu'il arrive jusqu'ici, et il n'arrivera pas jusqu'à la cité, c'est une certitude.
-Laissez moi m'inquiéter de ça, de toute façon, si je devais arriver à ma limite, je ne pourrais pas en sortir...
-Je ne veux juste pas que vous soyez déçue. Ou que vous partiez en dépression. Ou en massacre.
-Soyez certain d'une chose. Ça n'arrivera pas. Et vous pourriez être moins lugubre...
-Écoutez, la dernière chose que je veux c'est de retourner dans les intrigues et la violence, et encore moins que cela affecte ma famille ! Nous étions tranquilles, et j'espère bien que ça perdure encore quelques temps, mais il y a peu de chance maintenant que nous nous retrouvons dans votre Environnement ! Je suis resté poli, car rien de tout cela n'est de votre faute, mais j'admets que je suis un peu inquiet de ce qui va se passer dans les mois qui viennent ! »
Il y eut un silence pendant une bonne minute après cet éclat. Son visage était un mélange d'expressions soulagées, énervées et effrayées. Je m'excusais bientôt.
« ... Désolée... J'étais prise dans mes problèmes et enivrée de mes découvertes, et je n'ai pas pensé à vous et à ce que signifie ma présence ici... Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que la région reste la plus tranquille et pacifique possible. »
Nous traversâmes le hameau du coin, traversée durant laquelle je fit disparaître mes ailes et m'habillait plus, ma forme actuelle n'étant pas très caractéristique d'un exploitant agricole. Cela fit hausser les sourcils de mon compagnon de voyage, mais il m'avait vu changer d'un oiseau à un mammifère, et je lui expliquait que je ne pouvais maintenir ce genre de déguisement trop longtemps. Il avait pour sa part repris son accent local, dont je pus remarquer la justesse par les quelques conversations qui se développèrent à notre passage.
Une fois sortis du hameau, nous reprîmes notre discussion en parlant de sa famille pendant que la charrette avançait, au rythme placide d'un cheval de trait. Il avait caché son passé à son fils dans le but de le protéger de toute envie de suivre ses traces, mais celui-ci était plein d'ambitions, et il pensait qu'il ne finirait probablement pas fermier.
Nous nous approchions de la limite de l'Environnement, et ma connexion à la Source était désormais très faible. Mon corps d'ange avait besoin d'un lien continu avec une source de mana, et bientôt, ce que je recevais de la Source ne serait plus suffisant. J'établis donc une nouvelle connexion vers Otaria afin de satisfaire ce besoin, mais je souffrais quand même de la douleur d'abandonner la Source en tant que sa Gardienne. Et j'eus une idée. Si je pouvais tirer du mana d'un autre monde, je ne voyais pas de raison que je ne puisse en récupérer de n'importe où sur celui-ci. Essayant d'utiliser les mêmes canaux que pour accéder au mana Dominarian, je réussis après quelques essais à me connecter par ce biais à ma Source, et les sensations associées revinrent comme si j'étais à ses côtés. Je bénéficiais désormais d'un accès à ma Source depuis n'importe où sur le Plan, et probablement dans le Multivers. La quantité de mana que je sentais se dégager de la Source était bien supérieure à ce que j'utilisais en temps normal sur Otaria.
Après deux heures de voyage, la conversation dériva vers un sujet inévitable.
« Je suis impressionné que l'Environnement s'étende jusque là, on doit bien être à une douzaine de kilomètres de votre Source. »
Je m'étais préparée à cette question, et j'avais décidé d'attaquer le problème directement, et de faire confiance à l'homme.
« Uhmm, en fait, pas vraiment, on a quitté l'Environnement il y a plus d'une heure maintenant.
-Quoi ?!? » Il essaya de suite d'invoquer un sort de Bandage sur une de ses mains. Ce qui fut bien évidemment sans effet. Enfin, sans effet magique, l'effet sur les convictions de l'humain fut assez violent.
« Mais... Comment êtes vous ici ?
-Je vous l'ai dis quand on s'est rencontré. Je ne suis pas un ange. Et je suis toujours connectée à ma Source. Toujours. » Je démontrais cela en invoquant le même sort, qui, cette fois, fit apparaître une bande de lumière sur sa main qui se solidifia en un bandage propre.
« Comment ? Quoi ? Vous ne pouvez pas... Personne ne peut... Qu'êtes vous ?
-Actuellement, je ne sais pas trop encore. Probablement une Arpenteuse des Plans.
-Une quoi de quoi ?
-Arpenteuse des Plans. Il existerait de nombreux autres mondes comme Monoli, et je viens d'un autre de ces mondes. Un monde ou la magie s'écoule librement en dehors de Sources. Et il est possible que je puisse voyager entre ces mondes, puisque j'ai dû le faire pour venir ?
-Et le corps ? Les ailes ?
-Oh, ça. Je suis une avemaine, plus proche des oiseaux que des humains. Le premier corps dans lequel vous m'avez vu est le mien. Les Arpenteurs des Plans paraissent capable d'en changer... Je suppose ? Ah et je m'appelle Icalia au fait. Désolé de vous avoir menti, je ne savais pas ce qui m'arrivait moi-même. » Je lui fit une petite démonstration en changeant entre mon corps avemain et angélique.
Durant cet échange je vis se peindre sur son visage plus encore d'interrogations et d'émotions diverses, de l'horreur à l'incrédulité. Son univers, ou Multivers plutôt, venait de changer. J'avais décidé de lui faire confiance, et je verrais bien si cette confiance se justifiait. Il resta silencieux pendant tout notre voyage jusqu'aux abords de la cité la plus proche, où nous arrivâmes en fin de journée. La Cité-Source de Trenne.
Mais il se fait tard, et le temps des histoires est passé. Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas vous laisser sur votre faim très longtemps, vous aurez la suite demain soir. »
Malgré quelques protestations, la salle se vida assez vite, sous la direction des deux adultes de cette famille. Il ne resta bientôt plus qu'Ajani et moi dans la salle. Le léonin m'adressa la parole:
« Je ne connaissais pas Moloni, les temps étaient bien différents... Vous êtes Dominarianne ?
-Je l'étais, oui, cela va faire une cinquantaine d'année que je n'y suis pas retournée.
-En arrivant, vous m'avez parlé de Bolas...
-Oui, et vous avez mentionné quelque chose à ce sujet. Je préfère ne pas trop m'attarder sur les problèmes du Serpent, mais il faut avouer qu'il est difficile de passer à côté.
-Il prépare quelque chose. Sur Amonkhet.
-Amonkhet ? Cela fait plusieurs siècles que je n'ai vu personne de nouveau de ce plan. Qu'y fait donc le dragon ?
-Nous n'en savons rien, mais quoi que ce soit, c'est dangereux. Tezzeret était apparemment sous ses ordres, sur Kaladesh. Les Sentinelles se préparent à l'arrêter, mais si vous connaissez Bolas, vous savez que nous ne suffirons probablement pas. J'ai été envoyé chercher un maximum d'alliés en vue de protéger le Multivers de ses machinations, quelles qu'elles soient. Aurons nous droit à votre soutien, Madame ?
-Je vous ais déjà dis de m'appeler Icalia, Ajani. Quand à affronter le dragon, je ne sais pas... Beaucoup ont essayé à travers les âges, et une bonne partie de ceux qui sont allés contre lui ces dernières années l'ont été par mon encouragement, et ne sont plus de ces mondes... Je l'ai moi-même combattu par deux fois, et ai à peine obtenu son retrait. Et j'étais dans le Havre !
-Envisagez-le, Icalia, le rendez-vous se rapproche, et vous ne serez pas seule... Nous pourrons réussir ensemble ce qu'aucun d'entre nous ne peut accomplir seul. Si vous voulez vous joindre à nous, demandez à Tamiyo qui vous donnera les instructions pour nous trouver. Il sera sur Dominaria.
-Je le ferais. Et j'approcherais les personnes les plus susceptibles de vouloir vous aider, ou se débarrasser de Bolas, au Havre. Et les moins susceptibles de se laisser tuer aussi, je ne veux pas que nous perdions des Planeswalkers inutilement, le Havre est toujours loin d'avoir récupéré sa fréquentation passée. »
Tamiyo revint dans la pièce, et nous invita à la suivre. Nous nous levâmes tranquillement, je récupérais au passage le compas, dont l'aiguille tournait lentement en cercles. En quittant la pièce, j'informais le léonin de mes plans:
« Je pense rester par ici encore quelques jours, je vous informerais de ma décision après.
-Je repars demain matin... Il me reste des gens à retrouver et des choses à faire, j'étais juste venu me reposer ici pour une nuit, et laisser des informations à Tamiyo.
-Quel dommage... Bon, très bien, nous nous verrons peut-être à ce rendez vous, donc.
-Merci bien, Icalia. Croyez bien que je suis également désolé de ne pas pouvoir passer plus de temps en votre compagnie, et en celle de vos histoires.
-Elles seront toujours là lors de votre prochain passage, n'est-ce pas Tamiyo ?
-En effet. »Me répondis-t-elle, un sourire au lèvre et tapotant le dernier parchemin en date de sa bibliothèque qu'elle avait en main.
« Quand à moi, »Repris-je « le Havre n'est pas si dur à trouver. Tamiyo pourra vous le montrer, n'est-ce pas ?
-Avec plaisir, si je n'ai rien d'autre à faire. Chaque passage est un délice. »
Nous eurent encore le temps d'échanger quelques mots avec Tamiyo avant que nous arrivions dans ce qui serait ma chambre pour les quelques jours à venir.
« Bonne nuit, Ajani, Tamiyo.
-Bonne nuit, Icalia. » Me répondirent-ils tout deux.
Le 30/08/2017
Super suite, le changement de format n'est pas dérangeant, au contraire plus c'est long mieux c'est !
Quand on est fan du lore de magic, on en a jamais assez !
Sa fait toujours plaisir de voir qu'il y a des fan motivé pour créer du contenue de qualité !
Note : 10/10
2 réponse(s)
Le 31/08/2017
Merci du retour et des compliments.
Ah oui par contre je ne publie pas très souvent, je n'ai pas d'équipe créative pour me construire mes mondes, moi .
Le 31/08/2017
De rien, ton travail mérite bien des encouragement, et puis maintenant je veut connaître la suite ! ^^
Tkt pour le délai, je me doute bien que c'est pas le genre de chose qui se fait en claquant des doigts, je rencontre plus ou moins le même problème pour la creation de mon jeux de rôles !
En tout cas pour l'instant Moloni m'as tout l'air d'un plan digne de l'univers (multiple) de wizard !
Quand a Icalia, je la trouve vraiment bien travaillé, que se soit au niveaux de sa personnalité ou de son destin croisé avec les personnages et plans de l'univers officiel, sa donne une vrai crédibilité a l'ensemble, on voit bien qu'il y a un gros travail de recherche et d'écriture derrière.
Le 23/08/2017
Bonjour à tous,
Aujourd'hui, première partie du périple d'Icalia sur Moloni, n'hésitez pas à laisser vos avis, critiques ou conseils par ici!
Je sais, c'est plus long que le précédent, mais le changement de style narratif et l'envie de raconter plus en détail à partir de l'Embrasement m'amène à faire quelque chose comme ça.